Poiscaille, le circuit court des produits de la mer

 

Entretien avec Charles Guirriec, fondateur de Poiscaille.

Bonjour Charles, peux-tu te présenter et nous parler de la genèse de Poiscaille ?

Bonjour Claire, avec plaisir. Je suis de formation ingénieure, spécialisé en halieutique. Mais avant tout, je suis un fan de pêche récréative depuis toujours ! En embarquant à bord des navires au début de ma carrière, j’ai pu comprendre la spécificité de la pêche, qui comporte par essence beaucoup d’inconnues : la météo, la taille du poisson, le prix auquel on va le vendre… Le système actuel de vente du poisson réside dans un principe d’enchères. Pour pallier d’éventuels mauvaises conditions ou prises, les pêcheurs sont contraints d’attraper de gros volumes de poissons pour assurer un chiffre d‘affaires minimal.

Le souci est qu’avec cette surpêche croissante, ce sont non seulement les ressources aquatiques mais aussi les ressources humaines qui s’amenuisent, avec la fatigue des pêcheurs qui en découle.

Un jour, j’ai rencontré un pêcheur qui vendait en direct son poisson en gagnant contre toute attente bien mieux que les autres, et qui disposait de plus de temps libre pour profiter de sa famille et se reposer.

En parallèle, j’ai travaillé au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche où j’ai découvert le système existant d’AMAP et de circuits courts pour l’agriculture. Je m’en suis alors inspiré pour l’appliquer à la pêche, mais c’était compliqué de faire venir les pêcheurs jusqu’à Paris. Contrairement aux maraîchers, les pêcheurs sont souvent seuls à bord et n’ont pas le temps pour se déplacer aussi loin.

J’ai alors découvert que les AMAP de pêcheurs existaient aussi depuis les années 2010, mais avec la contrainte d’acheter par lots de 3 kg de poissons et beaucoup de décalages liés à la météo. En voulant combiner les circuits courts à la pêche, j’ai commencé à vendre fin 2012 “au cul du camion” à Paris en revenant avec une pêche fraîche de la côte. Un ami pêcheur m’a d’abord rejoint en devenant associé, puis notre premier entrepôt s’est établi à Montreuil, puis des bureaux près de République, et petit à petit Poiscaille est né !

Charles, fondateur de poiscaille
Charles Guirriec, fondateur de Poiscaille

Quelle est votre activité aujourd’hui ?

Poiscaille s’inspire du système de paniers de légumes. Chaque semaine, quinzaine ou mois, les abonnés viennent récupérer leur casier : plus ils viennent fréquemment, moins les casiers leur coûtent cher. Notre système est le plus flexible et nous ne voulons pas causer de gaspillage chez les gens ni de déception dans les produits proposés. Il est donc possible de modifier la date de son prochain casier (départ en vacances par exemple) et même de choisir le contenu de celui-ci. Pour autant, nous achetons le poisson à un prix fixe pour assurer à nos pêcheurs un revenu stable et plus élevé que via le système classique d’enchères à la criée.

Chez nous, c’est premier arrivé, premier servi ! Les franciliens ont jusqu’à 19h la veille pour choisir parmi 20 à 50 options, et jusqu’à 19h l’avant-veille pour les régionaux.  Les casiers se récupèrent ensuite dans nos points de retrait partenaires, ou bien en livraison partout en France (via Chronofresh pour les régions). L’un des avantages de Poiscaille est qu’il n’y a pas d’engagement dans la durée, et il est même possible d’annuler un casier ponctuellement si vous avez changé d’avis ou d’agenda.

A la demande de nos clients, 95% poissons sont vidés suite à un accord depuis plusieurs années avec nos pêcheurs.

Comment choisissez-vous les pêcheurs avec lesquels vous travaillez ?

Nous travaillons avec des navires de petite pêche côtière : 12 mètres au maximum, qui sortent à la journée, utilisant des techniques douces (ligne, filet, pêche à pied ou en plongée). Ces méthodes de pêche excluent évidemment la drague et le chalut qui ont un impact fort sur la biodiversité, utilisent des énergies fossiles et ont une faible capacité à filtrer les poissons voulus (toutes sortes de poissons non voulus ou trop petits vont être attrapés au passage).

Ces navires s’engagent donc à respecter un mode de pêche durable, et comme la  filière pêche est plutôt de taille réduite (4 500 navires de pêche en France Métropolitaine), nous aurions rapidement des échos si un navire ne jouait pas le jeu ! De plus, l’infrastructure d’une pêche conventionnelle n’est pas du tout la même que celle d’une pêche durable et responsable ; elle est très difficile à changer du jour au lendemain.

L’objectif de Poiscaille est de ne pas travailler pour de trop petits volumes : nous prenons a minima 50 à 100 kg à chaque déplacement chez un pêcheur, sinon ce n’est ni intéressant pour lui, ni pour nous.

Les collectes se font via des grands transporteurs en froid du lundi au vendredi. Les pêcheurs mettent les poissons dans des caisses qui sont collectées puis traitées juste après dans notre entrepôt de Wissous dans la nuit, et c’est au petit matin que les commandes partent. C’est là notre vraie plus-value chez Poiscaille : la fraîcheur des produits. Nous nous engageons à ce que vous soyez livrés 72h maximum après la pêche. Parfois, il peut même s’écouler 24h seulement entre la pêche et la livraison, où que ce soit en France. Nous ne sommes pas les seuls à le faire, mais les seuls à le garantir pour l’intégralité de nos produits.

Poissonnier tenant un poisson frais dans les mains.
Poisson frais vendu par Poiscaille

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ?

Le risque est que nos clients ne voient pas certains poissons sur le site de Poiscaille, mais qu’ils les trouvent sur des étals classiques, puisqu’il y a forcément des aléas liés aux conditions climatiques, aux saisons.

Dans le contexte actuel, nous avons évidemment dû augmenter les prix début 2023. Le problème du système classique d’enchères est qu’il ne prend pas en compte les coûts de transport et d’énergie, devenant encore moins intéressant pour les pêcheurs qui subissent l’inflation de plein fouet. Conséquemment, ⅔ des produits de mer sont aujourd’hui importés.

Avec la baisse du pouvoir d’achat, nous avons constaté depuis ce début d’année quelques fermetures parmi nos 1 500 commerces partenaires qui distribuent les casiers Poiscaille. Ces commerces sont rémunérés en nature (abonnement à prix réduits) et nous leur permettons d’étoffer leur offre en proposant à leurs clients des produits de la mer vertueux que peu de commerces proposent en temps normal.

Par rapport à la GMS, nos prix sont environ 40% plus cher, ce qui peut représenter un réel frein pour le consommateur. En revanche, en comparaison avec une poissonnerie classique de quartier, nous sommes sur des prix à peu près similaires pour une composition identique.

Quels sont les projets et ambitions de Poiscaille pour les prochaines années ?

Une récente étude de l’INRAE a montré que Poiscaille payait ses pêcheurs encore plus que les 20% que nous mettons en avant : nous les rémunérons plutôt 40 à 60% de plus que le marché. Grâce à cette rémunération fixe et plus élevée que le système d’enchères, les pêcheurs sortent environ 14% de chiffre d’affaires supplémentaire par rapport aux pêcheurs dans le circuit classique et ont l’assurance de revenus stables. Ils peuvent également attraper des espèces initialement peu rentables mais faciles à attraper, réduire leur nombre de sorties en mer et ainsi profiter de plus de temps libre. Nous fournissons même parfois des attestations pour confirmer à leur banque la grille de prix et une estimation des volumes potentiels, et ainsi leur permettre de contracter un prêt par exemple.

L’objectif de Poiscaille est d’atteindre les 50 000 abonnés idéalement à horizon de 3 ans (pour l’instant nous sommes à 20 000), ce qui permettrait de soutenir environ 10% de la flotte métropolitaine.

Le secteur des produits de la mer n’est pas le plus innovant et il n’existe pas encore d’alternatives durables (contrairement aux néo-bouchers, épiceries en circuits courts, AMAP, etc). Même au bord de la mer, il existe des problèmes pour se fournir auprès des pêcheurs qui ont déjà vendu leur poisson très tôt le matin, et le reste proposé sur les étals n’est finalement plus très local. Les restaurateurs et les marchés doivent donc s’approvisionner auprès de fournisseurs parfois lointains. Il est alors difficile pour les consommateurs de s’y retrouver car la notion de local et de saison pour les produits de la mer leur est parfois étrangère.

site de poiscaille
Le site internet permet de choisir la fréquence et le nombre de paniers souhaités

Êtes-vous optimiste quant à l’évolution de la filière vers des modèles plus durables ?

Les grèves récentes des pêcheurs ne sont pas très rassurantes : parmi les sujets abordés, certains sont là depuis 15 ans déjà (capture des dauphins, bateaux consommant trop de carburants, impact du chalut de fond). C’est une petite filière qui doit faire face à de nombreux changements.

Je pense plutôt que ce seront les attentes des consommateurs qui feront bouger les lignes. Certains souhaitent avoir l’essentiel de leur consommation vertueuse et durable quand d’autres cherchent simplement à avoir accès à du poisson frais (notamment ceux situés loin de la côte). Dans ces cas-là, Poiscaille peut justement être la solution idéale pour consommer du poisson frais même dans des zones reculées (à titre d’exemple, nous avons 15 points relais rien que dans le Jura).

Nous avons également développé une offre en fumaison et conserve : le poisson est confié à des ateliers de transformation non loin des zones de pêche afin de proposer du poulpe, du thon, des soupes de poissons, etc. Certains de nos ateliers travaillent en partenariat avec des chantiers d’insertion.

À terme, Poiscaille pourrait aussi évoluer vers le développement de ses circuits de collecte, ou encore l’aide à l’installation de jeunes pêcheurs vers des pratiques responsables.

L’avis de FoodBiome

Poiscaille tente de passer à l’échelle le circuit court d’un secteur souffrant encore d’un système assez vulnérable. La fraîcheur du poisson, la préservation des océans et bien sûr la juste rémunération des pêcheurs forgent la mission de l’entreprise.

Tout comme FoodBiome, Poiscaille est convaincu de la nécessité de changer en profondeur nos modes de consommation en les rendant plus durables, aussi bien pour la planète que pour ses habitants.

Partagez notre article