Entretien avec Eric Petrotto, co-fondateur des restaurants La Fabuleuse Cantine
Bonjour Eric, peux-tu nous présenter La Fabuleuse Cantine ?
Bonjour, oui avec plaisir ! Nous développons des tiers lieux nourriciers qui prônent un modèle alimentaire et social plus durable. Notre fil rouge, c’est la lutte contre le gaspillage alimentaire, et nous associons chacun de nos projets à une programmation socio-culturelle forte.
Chaque cantine propose un même triptyque d’offre :
- De la restauration sur place, mettant à l’honneur une cuisine créative et de saison, principalement végétale, et un burger “superwaste” réalisé à base de pain recyclé
- Une offre de repas bio en bocaux, vendus sur place, ou dans des épiceries partenaires
- Une activité de traiteur zéro-déchet, pour des évènements
Depuis notre création en 2017, nous avons développé 6 cantines sur deux territoires : en Auvergne Rhône Alpes, avec les cantines de Lyon, Villeurbanne et Saint Etienne, et à la Rochelle. Chaque projet est unique, et présente un format, une histoire et un ancrage territorial propre. A Saint-Etienne par exemple, nous sommes installés dans les 600 m2 de la Cité du Design, avec un fonctionnement de “self service”. A La Rochelle, dans les 450 m2 de l’ancien marché aux poissons, une scène située au centre du restaurant permet de le transformer en bar musical le soir venu.
Peux-tu nous en dire plus sur vos engagements en termes d’économie circulaire et les valeurs que vous prônez ?
Toutes les Fabuleuses Cantines se rassemblent autour de 3 partis pris forts :
- D’abord, la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui est vraiment le pilier central de notre démarche. Nous achetons des invendus bio et en agriculture raisonnée, issus de surproductions, ou considérés comme “hors normes”, directement auprès de producteurs et grossistes locaux situés à moins de 80 km. Aujourd’hui c’est plus de 30% de la production alimentaire mondiale qui est gaspillée, et nous sommes convaincus qu’avec un peu d’astuce et de créativité, la restauration a un rôle fondamental à jouer pour réduire ce pourcentage. Notre produit phare qui incarne cet engagement, c’est le Superwaste : un burger dont le pain est fait à base de farine de pain bio recyclée, en provenance directe des boulangers du territoire, grâce à l’outil Crumbler développé par Franck Wallet.
Ensuite, l’accessibilité à une alimentation saine et de qualité, pour tous les porte-monnaies. Nous souhaitons démontrer que manger local et durable, ce n’est pas réservé qu’à une petite partie de la population. Notre stratégie de sourcing nous permet notamment de proposer des tarifs préférentiels (entrée + plat entre 7 et 12€), en particulier pour les étudiants et minima sociaux, qui bénéficient d’une réduction de 50%.
- Enfin, chacun de nos lieux se veut être l’incarnation d’une créativité sans limite, dans les assiettes comme dans l’évènementiel. Notre cuisine est audacieuse, colorée et changeante, à la manière d’un festival qui se réinvente chaque jour. Il n’y a pas de carte dans nos restaurants car nous adaptons le menu quotidiennement en fonction des productions du territoire. Au-delà de la restauration, nos cantines sont des lieux de vie et de rencontres animés par une programmation socio-culturelle riche. Conférences, expositions, concerts, événements associatifs, elles font vivre les quartiers dans lesquels elles s’implantent et rassemblent acteurs locaux et habitants d’un même territoire.
Vous prônez un modèle d’économie bleue, peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
L’économie bleue, c’est une économie qui vise à répondre aux besoins de tous, en transformant ce qui est généralement considéré comme des déchets, en ressources. Elle va au-delà de l’économie circulaire, au sens où elle ne se contente pas de réemployer, mais use de techniques et de technologies pour créer de la valeur sociale, environnementale et économique localement. Dans nos lieux typiquement, cela se manifeste par le rachat des invendus alimentaires bio et en agriculture raisonnée pour en faire des plats créatifs, ou encore au travers du design de nos espaces, qui sont construits avec des matériaux récupérés comme des tôles de bateaux ou des palettes. En d’autres termes, on intègre tout ce qui est mis à disposition dans notre environnement, déchets inclus, pour subvenir aux besoins de tout le monde.
Quels sont pour vous les défis à relever pour imaginer un modèle de restauration, davantage relié aux productions des territoires ?
Ce qui est un peu complexe avec notre modèle de Fabuleuse Cantine, mais qui apporte tout son sens à la démarche, c’est que la chaîne de valeur est complètement inversée : on ne drive pas notre sourcing en fonction de ce qu’on désire faire, on s’adapte à ce que l’environnement nous offre. Cela suppose de former des cuisiniers créatifs, capables de gérer des approvisionnements changeants, de transformer des produits hors calibres ou à date courte, et de faire preuve d’ingéniosité quand ils se retrouvent face à un surplus de matière première par exemple. Il y a aussi tout un travail d’acculturation à mener auprès des consommateurs, pour qu’ils s’habituent à avoir une carte évolutive et des produits dé-standardisés dans leurs assiettes.
Comment s’est passé le début du projet ?
A l’origine je suis issu du monde de la musique, et de l’innovation digitale. C’est à l’occasion d’un premier projet de tiers lieu à la cité du design de Saint Etienne, que j’ai rencontré Boris Fontimpe et Julien Morel, les deux autres cofondateurs. On travaillait au coeur d’un quartier créatif, et nous avons croisé nos visions artistiques et entrepreneuriales pour faire émerger ce qui deviendrait par la suite la première Fabuleuse Cantine. Nous étions animés par l’envie de créer non pas un simple concept de restaurant mais un lieu de vie, qui vient fédérer des valeurs fortes et universelles au cœur des quartiers. C’était en 2017, et bien que nous ayons grandi et essaimé le modèle depuis, nous avons conservé la même authenticité et le même désir de casser les codes et de réinventer des modèles plus durables.
Quels sont vos projets et ambitions futures ?
Nous venons de clôturer notre deuxième levée de fond, et en prévoyons une 3ème pour l’année prochaine. Pour le moment, nous souhaitons consolider les projets existants, et se concentrer sur les 4 prochaines ouvertures de cantines à Roanne (42), Luzech (46), Paris 11ème (75) et le Chalet du Parc de la Tête d’Or à Lyon (69).
Nous avons aussi inauguré en septembre notre toute première conserverie de territoire à Bussy-Albieux. Ce grand laboratoire de 250 m2 va nous permettre de confectionner des bocaux pour approvisionner nos différents sites, toujours avec un sourcing dans un rayon de 80 km. Le but à terme serait d’essaimer ce modèle et de s’appuyer sur des conserveries existantes, pour mailler différents territoires de ces outils qui offrent des débouchés aux productions locales et permettent de revaloriser des produits jugés “hors calibres”.
L’avis de FoodBiome :
Les Fabuleuses cantines réinventent des lieux de vie durables et expérientiels au cœur des villes, et nous démontrent qu’une autre façon de se restaurer est possible.
Elles reconnectent les mangeurs à leurs territoires en rendant accessible la cuisine de marché : une cuisine créative et anti-gaspi, mettant à l’honneur les produits locaux et les chefs qui les transforment (voir notre article sur le sujet).
Comme le mentionne Éric avec la notion de “festival”, nous sommes convaincus que la restauration de demain se doit d’être agile et inventive pour s’adapter aux productions changeantes des territoires, et que remettre un peu de fête dans les assiettes est la meilleure façon d’intéresser les consommateurs à ces sujets.
En savoir plus sur La Fabuleuse Cantine, visitez leur site internet.
