Le salut serait-il hétéro…gène ?

Qu’il nous soit permis céans de faire allusion à l’excellent (comme toujours) article de Léa Lugassy dans le numéro de décembre du magazine « La Terre » dont je ne me lasse pas de conseiller la lecture.

Cet article traite de la résilience souhaitable et tout à fait possible de nos systèmes agricoles et alimentaires face aux changements climatiques de plus en plus aigus constatés (et déplorés) par les agriculteurs.

C’est en particulier sur le paragraphe dédié à la diversité des pratiques et surtout à l’hétérogénéité des productions (et donc de la consommation) que j’aimerais m’étendre un tantinet.

Tout ce que vous lisez entre guillemets est tiré de cet article (quel paresseux ce vieux cuistot !)

Intéressons-nous à l’émergence de certaines pratiques (en fait vieilles comme l’agriculture mais abandonnées dans le but de massifier les productions en faisant de larges « économies d’échelle » (nous nous attarderons dans un prochain article sur le coût exorbitant à postériori desdites économies)) :

« …En effet, plusieurs leviers agronomiques sont déjà connus, qui permettent de « tamponner » les risques climatiques en misant sur la diversité cultivée. La première manière de tirer parti de cette diversité est de cultiver plusieurs espèces dans le même champ. Cette méthode bien connue depuis plusieurs siècles (les fameux « méteils » de seigle et de blé par exemple) consiste à cultiver ensemble des plantes dont les besoins, les cycles, les sensibilités aux maladies ou encore les profils racinaires sont différents afin qu’elles se complètent et tirent au mieux partie des ressources disponibles. »

Formidable ! me direz-vous, voilà LA solution ! 

Malheureusement (ou pas), en agriculture comme ailleurs, LA solution n’existe pas, ce qui existe, ce sont des pistes variées, adaptées à leurs écosystèmes et aux humains s’y activant (lesquels en font intrinsèquement partie bien sûr). Nous lirons plus avant que ces pistes de progrès se heurtent souvent aux paradigmes de l’existant. Un exemple :

« …les agriculteurs sont généralement tenus de trier les grains afin de séparer les espèces avant de livrer leur récolte au silo. Les coopératives ont par ailleurs des critères très restrictifs sur la présence d’impureté (des pois présents dans un lot de blé par exemple) qui découragent fortement les agriculteurs de pratiquer des mélanges. Certaines coopératives se sont équipées de trieurs pour être en mesure de réaliser elles-mêmes le tri, mais facturent alors à l’agriculteur une partie du coût du tri, ce qui peut représenter de 10 à 30 euros par tonne de blé. »

Et voilà, certes l’agriculteur peut nous sauver la mise par des pratiques agroécologiques mais… il faut qu’il paye pour cela. Vous la voyez venir la difficulté majeure ?

Puisque nous parlons des pistes de progrès, en voici une autre qui fait ses preuves :

« … Une autre manière de rendre les cultures moins sensibles aux évènements climatiques est de cultiver des mélanges de variétés d’une même espèce. Les différentes variétés du mélange ayant des cycles légèrement décalés, les périodes de floraison, d’épiaison (etc.) ne seront pas tout à fait les mêmes, et la probabilité d’obtenir in fine une récolte correcte sera maximisée, quelles que soient les conditions climatiques. L’intérêt de ces mélanges variétaux est d’autant plus élevé que l’agriculteur pratique la sélection au champ. En effet, prélever à chaque récolte des semences qui seront re-semées l’année suivante permet de faire évoluer progressivement le génome des plantes, en sélectionnant celles qui ont bien poussé et produit des grains en quantité et qualité satisfaisantes dans les conditions qu’elles ont rencontrées. »

Et oui, la bonne vieille sélection massale (honnie des laborantins et autres professeurs Nimbus adeptes du « toutes choses étant égales par ailleurs » qui, comme on le sait, n’existe nulle part dans le Vivant) marche bien, mais là aussi nous nous heurtons à la réalité de l’époque :

« … Cette hétérogénéité génétique au sein des mélanges est une source précieuse de résilience face aux aléas climatiques, mais elle pose un « problème » dans les filières destinées à une transformation industrielle. En effet, cette hétérogénéité entraîne une qualité de produit variable, c’est-à-dire que le même mélange semé deux années de suite ou sur deux fermes différentes ne donnera pas la même qualité de blé, et aura une incidence sur ses « performances » au cours de la panification. Ces différences ne posent pas de problème avec un processus de transformation artisanal, dans la mesure où il est possible d’ajuster la quantité d’eau, le temps de pousse (etc…) pour obtenir le résultat souhaité. Mais elles sont très problématiques dans un processus de transformation industriel qui ne peut pas être adapté en permanence aux caractéristiques de la matière première. »

On pourrait multiplier à l’infini ou presque les exemples de ce type.

Il va donc bien falloir se rendre compte, et le plus vite sera le mieux, que ce sont les filières EN ENTIER qui doivent maintenant s’adapter et se transformer en vue d’accélérer le plus possible cette nécessaire « transition ».

L’agriculture est capable de se transformer, elle l’a toujours fait au cours de notre Histoire, elle sait et saura créer la capacité de résilience et de régénération, c’est du côté de l’aval que se situent les freins majeurs aujourd’hui.

Les acteurs de l’agro-alimentaire doivent impérativement (et rapidement) prendre la mesure des changements culturels et économiques nécessaires à cette transition.

C’est là tout le sens que prend le travail de Foodbiome : dynamiser, renseigner, transformer, qualifier, connecter, pour que le monde de l’alimentation, production incluse, soit capable, avec les consommateurs, de relever les immenses défis qui nous échoient.