Analyse d’une initiative hors du commun et d’un nouveau modèle d’agriculture urbaine
Une approche novatrice en matière de planification urbaine
À environ 150 km à l’est d’Amsterdam, un modèle de développement urbain vient fortement contraster avec la rigidité traditionnelle de l’urbanisme néerlandais. Très loin du formalisme, Oosterwold abrite un ensemble assez hétéroclite de maisons aux formes irrégulières, de caravanes et de yourtes.

Ici, les résidents jouissent d’une grande liberté : il n’existe aucune contrainte d’esthétisme. Le processus de construction est totalement autogéré, mais les habitants doivent collaborer sur des aspects communautaires essentiels, tels que la dénomination des rues, la gestion des déchets, l’aménagement des routes, etc.
Si les premières réflexions autour du projet ont débuté à la fin des années 2000, il a fallu attendre 2015 pour voir les premiers habitants s’installer. Si les premiers habitants ont dû faire preuve d’énormément de résilience pour tout bâtir de zéro, sur ces 4 300 hectares, la ville compte aujourd’hui plus de 5 000 habitants et constate une longue liste d’attente.
L’initiative s’est éloignée d’un plan d’urbanisme classique. En collaboration avec le cabinet d’architecture MVRDV, les autorités locales ont conçu un cadre de règles simples axées sur l’autosuffisance, le vivre-ensemble, et un aménagement de l’espace où l’agriculture occupe une place centrale. En effet, chaque terrain doit consacrer 50 % de sa surface à l’agriculture urbaine et seulement 12,5% du terrain est éligible à la construction. Une démarche inédite, qui fait écho à une révolution dans l’organisation de l’espace urbain.

Sur le terrain …
Les pratiques varient. Certains résidents prennent tout en charge eux-mêmes, cultivant leur propre potager, tandis que d’autres préfèrent déléguer cette tâche à des agriculteurs professionnels qui exploitent leurs parcelles en leur nom.

Au-delà de l’agriculture, nombre de résidents ont également opté pour l’autosuffisance énergétique, en installant des panneaux solaires et en mettant en place des systèmes de gestion de l’eau pour réduire leur impact environnemental.
Un soutien opérationnel par la Coopérative d’Agriculture Urbaine d’Oosterwold
Afin de surmonter les défis rencontrés en matière d’agriculture urbaine par certains habitants, une coopérative a été créée pour faciliter cette transition. Soutenue par le Fonds Agricole Européen pour le Développement Rural, la coopérative accompagne les résidents notamment à travers deux outils clés :
- Une application mobile dédiée au partage d’informations et à la mise en réseau des producteurs locaux.
- Un accompagnement professionnel pour la préparation des sols, le semis et la récolte.
Également, la coopérative se voit donner le rôle de soutien dans la commercialisation des produits agricoles en faisant le lien entre les producteurs individuels et les restaurants de la région, savoir qui produit quoi, et à quel moment de l’année.
Quel résultat ?
En effet, l’agriculture urbaine a fait l’objet de critiques récentes. Certaines études ont constaté des émissions de CO2 plus importantes que sur de l’agriculture dite conventionnelle. Cependant l’agriculture urbaine offrirait en échange « une variété d’avantages sociaux, nutritionnels et environnementaux, ce qui en fait une caractéristique attrayante des futures villes durables » (Hawes et al., 2024). Si à Oosterwold on ressent petit à petit cet esprit de communauté et de vivre ensemble qui se crée, il faudra tout de même attendre plusieurs décennies pour une évaluation complète du projet. Les ambitions sont grandes : aménager 1.800 hectares de jardins privés pour répondre à 10% de la demande alimentaire sur le territoire d’Almere.
Une tendance de fond qui essaime au-delà des Pays-Bas.
En fait, la démarche n’est pas si nouvelle. En Russie l’agriculture urbaine collective s’est largement développée depuis le début du XXème siècle. C’est environ 60 millions de Russes qui se consacrent au jardinage dans un but de production alimentaire (Union des Jardiniers de Russie). Et ce phénomène ne concerne pas uniquement les villes de province, où près de 80 % des habitants sont des jardiniers, à Moscou et Saint-Pétersbourg, c’est plus de 50% des citoyens qui disposent de ce type de parcelle (Marloie M., Boukharaeva L., 2011).
Concrètement, les jardins sont organisés en collectifs de tailles variées, qui peuvent comprendre de quelques dizaines à plusieurs milliers de parcelles, avec environ 80 000 jardins recensés (Marloie M., Boukharaeva L., 2011).

Bien que cette pratique ait émergé de manière informelle en réponse à des pénuries alimentaires, elle a été très rapidement encadrée et régulée par l’État. En effet, jusqu’en 2006, le foncier était redistribué sous forme de parcelles égales, allouées aux travailleurs et l’État exerçait une surveillance étroite, imposant des règles strictes concernant les cultures autorisées et la surface de terrain consacrée à chaque type de culture.
Les avantages de ces jardins sont multiples : accès à une alimentation diversifiée et locale, sentiment d’indépendance avec des retombées sociales importantes, biodiversité améliorée grâce à une variété de cultures. Contrairement aux jardins ouvriers français, dont la taille moyenne est de 30 m², les jardins russes s’étendent sur environ 600 m², ce qui permet également d’y établir une résidence principale.
Si les jardins collectifs restent un héritage culturel fort en Russie, on observe une diminution du nombre d’espaces cultivés (en raison notamment de l’augmentation du niveau de vie) et une certaine transition vers un modèle de développement urbain inspiré des quartiers pavillonnaires européens.
Peut-on penser à la réplicabilité en France ?
C’est l’un des défis qu’à souhaité se donner la startup Lively Farming en proposant des fermes collectives en agroécologie associant entre 100 et 200 familles à des agriculteurs salariés. Ces fermes, d’une superficie de 20 à 30 hectares, permettent à des citoyens vivant à proximité de co-investir et de participer à la gestion de la coopérative aux côtés de 2 à 3 agriculteurs employés. Chaque foyer s’engage à hauteur d’un investissement initial de 1000 euros, à donner 5 à 6 jours de son temps par an et à verser une cotisation mensuelle de 60 euros par personne. Cette dernière permettant de couvrir environ 60% des besoins alimentaires, ce qui représente une économie de 30 à 50% par rapport aux prix pratiqués en supermarché. Ce modèle génère de nombreux bénéfices, tant sociaux que environnementaux, pour les différentes parties prenantes (i.e. les agriculteurs, les citoyens, et les territoires).
A suivre, ce projet, organisé sous la forme d’une SCIC, prévoit son lancement en 2025, avec une organisation sous forme de tête de réseau…
L’avis de FoodBiome
En réinventant l’aménagement urbain traditionnel, ces différents projets proposent des modèles uniques visant à raccourcir les chaînes alimentaires, et à promouvoir une transition vers un système alimentaire plus durable. Également, cette approche replace les citoyens au cœur des sujets d’alimentation en les érigeant en caractère principaux, les incitant à développer leur propre résilience, et à prendre conscience des différents enjeux. In fine, ces démarches favorisent une véritable reconnexion avec la nature et le vivant.
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