Le retour des céréales anciennes chez Vieille Graine

Entretien avec Aurélien Amir, co-fondateur de Vieille Graine

Bonjour Aurélien, peux-tu te présenter ainsi que ton associé, et nous partager la genèse de Vieille Graine ?

Bien-sûr ! Kévin et moi-même sommes amis d’enfance, et nous nous sommes lancés dans l’entrepreneuriat en 2022 pour créer Vieille Graine. Au travers de ce projet nous souhaitons mettre en valeur deux céréales anciennes; le millet et le sorgho, dont les avantages sont si nombreux que cela nous a convaincu de l’intérêt de développer une filière à l’échelle nationale, et de les faire découvrir aux français. Nous proposons trois types de produits, les farines, les pâtes (100% sorgho et sans gluten) et les graines entières.

Mon intérêt pour ces céréales est d’abord passé par la découverte du  fonio, alors que je voyageais au Sénégal il y a une dizaine d’années. Appartenant à la famille des mils, le fonio est une plante particulièrement bien adaptée aux climats de l’Afrique de l’Ouest. Traditionnellement cultivée et consommée par les populations locales, elle a été progressivement délaissé en faveur du riz. Le fait que nos alimentations reposent de plus en plus sur le blé, le riz et le maïs limite notre autonomie alimentaire dans le cas où nous devons les importer. C’est le cas au Sénégal, où de plus en plus de communautés réagissent et se rassemblent autour de la production de fonio pour être de nouveau capable de cultiver elles-même leurs aliments. La faible sélection de ces plantes au cours des siècles permet aux producteurs de ré-employer leurs propres graines d’une année à l’autre.

De retour en France, j’ai cherché une alternative que l’on pourrait cultiver sur nos territoires, car le fonio n’est pas adapté à notre climat. En revanche, le millet est issu de la même famille et est cultivé depuis 2000 ans, notamment en Vendée et dans les Landes. Nous avons également découvert le sorgho, qui est cultivé en France depuis 70 ans mais surtout à destination d’une consommation animale.

Photo de sorgho
Plant de sorgho (vieille graine)
Photo de millet
Plant de millet jaune (intercéréales)

Quels sont les intérêts de ces céréales ?

Ce sont deux plantes issues de la famille des mils (du latin milium), au sein de laquelle on retrouve une grande variété d’espèces (voir illustration). En France on consomme surtout du millet jaune et blanc, qui forment des plants relativement bas, d’une cinquantaine de centimètres de haut. Pour ce qui est du sorgho, les plants sont similaires au maïs et peuvent atteindre 3m de haut. Les grains des millets forment de très petites billes prochent de la semoule, alors que le sorgho présente des grains plus gros avec plus de mâche. Du fait des différences importantes entre les variétés, il est difficile de parler de façon généralisée “des avantages nutritionnels ou agronomiques des mils”, mais ils partagent tout de même certaines caractéristiques intéressantes.

Tout d’abord ces plantes s’adaptent à des conditions de sécheresse, ce qui est un plus face aux épisodes climatiques que nous subissons de plus en plus en France. Ces sécheresses parviennent à compromettre la culture de certaines céréales gourmandes en eau, comme le maïs. Le sorgho consomme 40% d’eau en moins que ce dernier, ce qui en fait une alternative plus économe et plus viable. Si l’on se penche sur les intérêts pour le sol, le plant de sorgho possède un système racinaire profond qui permet d’aérer le sol et produit une quantité importante de biomasse. A l’instar des graminées tropicales (maïs, canne à sucre …) le sorgho et le millet sont catégorisés comme plantes C4, ce qui signifie que leur captation de CO2 est plus importante que les plantes catégorisées C3 (riz, orge, soja…). Globalement, les plantes C4 vivent dans des milieux chauds et tropicaux, les C3 dans des milieux tempérés, quand les CAM vivent dans des conditions arides.  

D’un point de vue nutritionnel, bien que ces céréales nous apportent majoritairement des glucides, on remarque que leur apport en protéines est au-dessus du blé, mais en dessous du quinoa. Mais ce sont surtout des céréales sans gluten et sans FODMAP, qui sont des sucres de petite taille facilement fermentescibles. De plus en plus de personnes présentent des intolérances au gluten et souffrent de la maladie de coeliaque. Ces céréales leur offrent, ainsi qu’à l’ensemble de la population, l’opportunité de varier leur alimentation. Même si leur production à l’échelle mondiale ne représente que 2% de l’ensemble des céréales (source : rapport sur le millet (2023) de la FAO), les mils représentent la 5ème famille de céréale la plus consommée au monde, derrière le blé, le riz, le maïs, et l’orge.

Comparaisons variétale
Illustrations de plusieurs variétés de la famille des mils. Légende dans le sens de lecture : Sorgho, fonio noir, millet kodo, petit millet, teff, millet proso, fonio blanc, millet japonais, larmes de job, millet de doigt, millet perlé, millet queue de renard. Source : rapport sur le millet (2023) de la FAO.

Quelles parties du processus externalisez-vous, et quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?

Nous avons eu pas mal de difficultés à lancer la production de notre marque car malgré tous les avantages de ces céréales. Les filières françaises concernant les variétés destinées à une consommation humaine sont très peu voire pas développées. Il a d’abord fallu sélectionner les variétés adaptées aux produits que nous souhaitions commercialiser. Les millets que nous transformons proviennent d’exploitations implantées dans l’Ain et en Mayenne. Ces agriculteurs en cultivaient déjà, avait sélectionné leur semence en fonction du climat de leur région.

En revanche, nous avons passé beaucoup de temps en R&D afin de trouver le bon sorgho, permettant de faire des pâtes qui répondent à nos exigences. Pour cela nous collaborons avec des chercheurs spécialisés, et il nous arrive d’échanger avec des chercheurs de l’INRAE et du CNAM. Pour l’instant, la plupart de notre sorgho destiné à la production de pâtes provient d’Italie, car la variété qui nous intéresse n’était alors produite que là-bas. Mais nous commençons progressivement à tester la culture de cette variété de sorgho chez nos partenaires français, cette année nous avons planté une vingtaine d’hectares .

Photos équipe
L’équipe de vieille graine, Monia, Aurélien et Kévin.

Bien que nous soyons le premier pays cultivateur de sorgho à l’échelle européenne, on remarque que 40% de notre production est exportée, et que le reste est destiné à la consommation des animaux. Il est possible qu’une partie de notre sorgho parte en Italie pour être transformé, pour finalement être consommé en France. Cela s’explique par l’absence d’infrastructures pour la transformation des céréales sans gluten, alors que notre voisin italien est bien plus avancé que nous dans ce domaine. D’ailleurs, notre producteur de sorgho possède des outils spécifiques qui lui permettent de réaliser la première transformation, et sʼen charge pour nous. Mais nous sommes en train dʼacquérir une décortiqueuse afin de pouvoir assurer nous-même cette étape

Une fois les céréales décortiquées et moulues, nous devons encore transformer notre sorgho en pâtes. Si l’on souhaite obtenir des pâtes à partir de farine de sorgho, nous devons procéder à un procédé spécifiquement développé pour cette céréale,  qui permet à notre pâte sans gluten d’être homogène et de conserver sa forme une fois cuite.

Paquet pâtes
Présentation des pâtes 100% sorgho de vieille en salade

Nous avons fait le choix de faire appel à des transformateurs spécialisés dans leur domaine, comme un pastier pour nos pâtes. Mais nous avons pour ambition de nous équiper pour nous charger de la première transformation. Ce sera un atout pour avoir des ingrédients prêts à être employés dans nos produits, ou ceux d’autres. Bien que nous souhaitions à l’origine faire du 100% français, nous nous sommes vite rendus à l’évidence que la filière mettrait des années à se développer. Donc en attendant, nous préférons travailler de cette façon.

Quelle est votre clientèle type et quels sont vos canaux de vente ?

Bien évidemment nous touchons en particulier les personnes ne pouvant pas consommer de gluten, qui sont contents d’avoir des alternatives au riz et au maïs. Le millet est déjà bien connu en France, alors qu’il y a deux ans le sorgho ne l’était pas du tout, mais cela commence tout doucement à arriver auprès de certains magasins bio que nous contactons. Nous sommes partis d’un plat consommé très fréquemment en France, les pâtes, pour poursuivre le déploiement de notre gamme par la suite. D’autant plus que le goût du sorgho est assez neutre, on compare nos pâtes au produits de blé complet, ce qui rend leur consommation plus simple. Nous commercialisons au sein des magasins bio, nous sommes sur deux plateformes biocoop depuis peu. La diversification des produits nous semble indispensable à la diffusion de ces céréales dans les habitudes alimentaires des consommateurs

Développement vieille graine

Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?

Nos objectifs pour la suite de l’aventure découlent de quatres points, le premier étant le développement  de la filière. Nous allons faire l’achat d’une décortiqueuse qui serait installée chez l’un de nos agriculteurs situé dans l’Ain. Nous avons reçu une subvention de la ville de Lyon pour cette occasion. Ensuite, l’idée serait d’acquérir un outil de triage afin de finalement lancer cette filière à l’échelle locale. Ces équipements nous permettront peut-être de faire des liens avec la filière légumineuses. Non pas en incluant des légumineuses dans nos produits, nous souhaitons pousser plus loin le potentiel du sorgho et du millet, mais parce qu’une mutualisation des équipements est possible. Et que nos producteurs de céréales produisent également des légumineuses.

Le volet développement de nos produits est la seconde étape. Nous aimerions proposer des produits à la restauration collective, comme des perles de sorgho, qui seraient précuites afin de réduire son temps de cuisson. Nous aimerions parvenir à baisser le prix de vente de nos produits à l’avenir. Nous testons également la production de teff.  Cette céréale issue de la même famille est surtout connue en Ethiopie, mais l’Espagne la cultive de plus en plus. Elle présente la même capacité à résister aux sécheresse, mais la graine est encore plus petite que le millet et ce qui la rend difficile à travailler. Mais nous poursuivons la recherche.

Nous poursuivons notre référencement auprès des magasins bio, ce qui est notre troisième point de développement. Actuellement nous avons 220 partenaires, et nous espérons atteindre 300 à la fin 2024. Et enfin le dernier concerne le lancement de notre première levée de fonds d’ici la fin de l’année. Cela nous permettra de passer à la vitesse supérieure sur l’ensemble de nos projets.

L’avis de Foodbiome 

Chez Foodbiome, nous sommes convaincus de l’importance des initiatives telles que celles de Vieille Graine qui visent à renforcer la souveraineté alimentaire, et cela à différentes échelles. Tout d’abord, limiter notre dépendance vis-à-vis d’autres pays producteurs pour nous approvisionner en matière première. Surtout quand il s’agit de céréales qui représentent une part aussi importante dans notre alimentation. Ensuite, limiter notre vulnérabilité aux aléas climatiques en choisissant de cultiver des espèces plus résistantes, notamment à la sécheresse. Ces évolutions sont  bien évidemment liées à une acceptation en aval de la production, chez les consommateurs, qui ont leur part de responsabilité dans leurs habitudes alimentaires.  Enfin, nous émanciper du pouvoir économique de grandes entreprises sur les semences essentielles à notre agriculture. Nous ne pouvons qu’encourager les initiatives similaires à se développer sur d’autres territoires.