Moi Moche et Bon, la conserverie qui valorise les écarts de tris

Entretien avec Adrien Priss, Directeur Général de Moi Moche et Bon

Bonjour Adrien, peux-tu nous expliquer comment Moi Moche et Bon est passé d’un projet étudiant à l’installation d’un atelier de transformation anti-gaspi ?

La réflexion a été initiée en 2015 par 3 étudiants de l’EM Strasbourg, qui ont constaté la quantité de pommes gâchées au sein des vergers Alsaciens. Le calibrage alimentaire écarte aujourd’hui 15% des fruits et légumes produits de nos circuits de distribution, ce qui est énorme. Alors, ils se sont lancés via le bachelor jeune entrepreneur dans la création d’une marque de jus de fruits anti-gaspi, valorisant ces écarts de tri “moches”, pour en tirer du “bon”.

Le projet s’est ensuite rapidement concrétisé et a été immatriculé sous forme de SCIC en 2017, grâce aux premières contractualisations avec des agriculteurs, et aux premiers partenariats avec des supermarchés locaux. J’ai rejoint Xavier et Jeremy et l’aventure Moi Moche et Bon en 2020.

L’intérêt du statut de SCIC, Société coopérative d'intérêt collectif (source : Moi moche et bon)
Jeremy, Adrien et Xavier, les associés de Moi Moche et Bon

Au-delà de la valorisation des écarts de tri, quels sont vos engagements en termes de sourcing ?

Tout d’abord, nous garantissons des approvisionnements locaux et en circuit court : 90% des fruits et légumes sont d’origine Alsace, les 10% restants sont principalement les agrumes que nous achetons en Corse. Nous contractualisons en direct auprès de coopératives ou d’agriculteurs indépendants : cela sécurise nos approvisionnements en produits frais et de saison, et assure une juste rémunération côté producteurs. Nous entretenons un lien vraiment privilégié avec eux, et échangeons en permanence pour voir comment améliorer nos pratiques et les accompagner au mieux dans leurs démarches. A titre d’exemple, nous allons lancer une gamme de jus bio, car un de nos fournisseurs principal vient de terminer  la conversion de son exploitation et nous souhaitons continuer de garantir ses débouchés.

Depuis 2017, nous avons ainsi sauvé près de 600 000 kg de fruits et légumes ! A terme, nous envisageons de diversifier nos canaux de sourcing et de récupérer les invendus et produits hors calibres d’autres structures, comme les grossistes ou supermarchés.

Peux-tu nous parler de la mise en place de votre atelier de transformation  ? 

Au début du projet, nous sous-traitions la production des jus auprès de pressoirs artisanaux et fermiers de la région, mais avons rapidement vu les limites de ce modèle. Nous n’arrivions pas à produire et vendre en quantité suffisante pour répondre à la demande de la grande distribution et de nos clients CHR, et ainsi toucher assez de consommateurs et passer à l’échelle.

Nous avons donc souhaité internaliser la production et nous installer directement en villepour avoir un impact plus important. Nous sommes ainsi en pleins travaux pour implanter notre conserverie au MIN de Strasbourg, un lieu qui a beaucoup de sens pour nous car c’est le carrefour où transitent tous les acteurs locaux de l’alimentation.

Tout est en train d’être mis en place : nous rénovons et adaptons le bâtiment aux normes alimentaires, et achetons notre matériel et équipement d’occasion auprès d’industriels locaux ayant cessé leurs activités. Nous faisons de l’anti-gaspi jusqu’au bout finalement, en redonnant vie à des anciens lieux et équipements, tout en faisant travailler tout un tas de corps de métiers différents.

Normalement, tout devrait être opérationnel d’ici juin 2023.

L’implantation sur le MIN de Strasbourg constitue une belle opportunité de développer des synergies avec d’autres acteurs de l’alimentation. Comment vois-tu cet aspect collaboratif ? 

En effet, nous allons pouvoir bénéficier de la présence de tout un écosystème d’acteurs qui enclenchent des démarches en faveur d’une chaîne alimentaire plus durable : d’autres transformateurs, des grossistes locaux, tout un réseau de restaurateurs et de distributeurs engagés… Pas mal de choses sont en train de bouger sur le MIN et nous sommes ravis d’inscrire notre projet dans cette démarche territoriale.

Au-delà du MIN, nous sommes aussi partie prenante d’autres modèles coopératifs, notamment au sein de l’Économie Sociale et Solidaire. Nous faisons partie du GIE (Groupement d’Intérêt Economique) qui exploitera une boutique solidaire au sein de Kaleidoscoop, un tiers lieu développé dans le cadre de la revitalisation d’un quartier de Strasbourg, qui regroupe entre autres des espaces de bureaux partagés, un café-épicerie solidaire, de la réparation de vélo et tout un collectif d’acteurs engagés.

Quels sont les défis à relever pour vous et que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Notre enjeu principal, c’est de trouver notre place au sein des circuits de distribution et de faire changer les habitudes de consommation qui sont encore très ancrées. Aujourd’hui, nous commercialisons une 12aine de références au national auprès de supermarchés, acteurs de l’hôtellerie et de la restauration, mais nous nous retrouvons  confrontés à certains acteurs “premium” qui ne souhaitent pas distribuer des produits qui sont aussi vendus en GMS, pour des raisons d’image. Il y a de réels enjeux marketing derrière tout ça, pour faire comprendre aux professionnels et aux consommateurs que les produits anti-gaspi sont excellents et très qualitatifs, et ainsi casser cette image de “second choix”. 

Exemple de produits de la gamme Moi Moche et Bon (source : page Facebook MBB)

Un autre sujet auquel on souhaiterait s’attaquer est celui des emballages et de la mise en place des bouteilles consignées, mais c’est une réflexion qu’il faut avoir à l’échelle des filières. L’Allemagne est très inspirante par rapport à ça, ils ont maillé leurs territoires de centres de lavage et de capacitaires logistiques dédiés, et les consommateurs jouent le jeu et ont pris l’habitude de ramener leurs contenants. C’est un sujet complexe mais clé à aborder dans le courant des prochaines années.

Pour le moment, on se concentre sur notre installation au MIN et la pérennisation de notre activité. Nous sommes aujourd’hui 5 dans l’équipe, mais comptons recruter cette année pour développer le volet commercial, la communication et la production : nous serons probablement une 10aine d’ici un an.

Ensuite, nous élargirons probablement nos gammes vers des préparations à base de légumes ou d’autres types de bocaux comme des confitures. L’idéal serait également de pouvoir produire à façon pour des producteurs qui en auraient le besoin.

A terme, nous souhaitons dupliquer le modèle et ouvrir d’autres ateliers de transformation de territoire, pour développer un maillage d’outils locaux et toucher un maximum de consommateurs, tout en contribuant à la souveraineté alimentaire.

L’avis de FoodBiome : 

Les outils de transformation de proximité sont les clés de voûte de la relocalisation de nos filières alimentaires. A travers leur atelier de transformation, Moi Moche et Bon propose un modèle vertueux et à la bonne échelle pour s’attaquer à la problématique du gaspillage alimentaire à la source. En se positionnant à l’interface entre le monde agricole et les metteurs en marché locaux, ils recréent du lien sur les territoires et démontrent l’intérêt et l’impact que peuvent avoir les collaborations.

Une vision très en phase avec ce que nous prônons chez FoodBiome : nous sommes convaincus de la pertinence d’essaimer ces outils sur les territoires, et d’optimiser leur performance par leur mise en réseau. C’est tout l’objet du projet FoodGrid que nous initions, et dont nous vous reparlerons très prochainement ! 

En savoir plus sur Moi Moche et Bon, visitez leur site internet.