Entretien avec Fabien Marzeliere, co-fondateur de Tête Haute

Bonjour Fabien, peux-tu nous raconter l’histoire et le concept de Tête Haute ?
Avec plaisir ! C’est en 2018 que l’on a, mon frère Samuel et moi-même, créé Tête Haute avec la promesse de réunir notre envie d’entreprendre et notre passion commune pour la bière. Même si cette boisson est vieille comme le monde, la filière a connu une forte évolution ces dernières années avec l’arrivée des bières artisanales et nous souhaitions apporter notre pierre à l’édifice. En parallèle, j’ai travaillé longtemps dans le social et j’avais besoin d’intégrer des sujets actuels comme l’insertion sociale au cœur de notre projet. L’idée globale était alors de participer à la reconstruction de la filière brassicole en se tenant à une promesse d’insertion sociale et de cohérence environnementale. Comme le statut de PME était pour nous un format idéal pour agir socialement à l’échelle du territoire, nous avons créé Tête Haute sous le statut d’entreprise d’insertion. En d’autres termes, nous nous engageons auprès de l’Etat, via des contrats clairs, à œuvrer pour l’insertion sociale & professionnelle des personnes éloignées de l’emploi et nous bénéficions d’aides au poste pour mener à bien ce projet. Notre volonté est par-dessus tout de donner une autre image de l’insertion, souvent réduite à des métiers peu visibles, via une filière populaire et attractive comme la bière.

Combien de personnes travaillent sur le site ?
Sur la micro-brasserie, située au Cellier 30 min à l’Est de Nantes, nous sommes 25 personnes à travailler au sein des différents ateliers dont une dizaine de personnes en situation d’insertion. D’ailleurs, nous avons ouvert au printemps dernier, un brewpub (restaurant & microbrasserie) toujours sous forme d’entreprise d’insertion, dans le cœur de Nantes sous le nom de Mashup où nous vendons une partie de notre production brassicole. Au total, nous sommes un petit peu plus de 30 personnes sur les deux sites.

Peux-tu nous en dire plus à propos du fonctionnement de l’insertion au sein de Tête Haute ?
Les salariés que nous embauchons proviennent d’horizons sociaux assez larges. Globalement, nos salariés sont éloignés de l’emploi pour de multiples raisons comme: personnes non francophones et/ou en situation de handicap … bref des personnes pour lesquelles les entreprises sociales et solidaires (ESS) sont une case idéale par laquelle passer pour rejoindre progressivement l’emploi. Nous fixons des contrats de 2 ans maximum pour chaque salarié en insertion avec l’idée de servir de tremplin professionnel pour ces personnes afin qu’elles rejoignent l’emploi à l’issue de leur expérience chez Tête Haute. Nous réalisons des stages,proposons de la formation à l’insertion pour nos employés et nous engageons aussi dans une démarche de suivi de nos ex salariés pendant 6 mois afin d’accompagner leur départ. Pour ce qui concerne les métiers au sein de l’entreprise, nos salariés occupent toutes les chaînes de travail au sein de la brasserie que ce soit la préparation de recettes, la préparation de commandes ,le brassage de nos produits ou encore leur livraison.

Combien de volumes de bières produisez-vous et quels sont vos canaux de vente ?
En 2024 par exemple, nous produirons environ 3700 hectolitres, ce qui est assez faible au vu de la masse salariale sur site. La productivité maximale n’est évidemment pas notre objectif majeur dans cette démarche sociale mais nous ambitionnons de produire tout de même plus de volume, pour tendre vers un meilleur équilibre économique. Nous tenons également à maintenir notre engagement environnemental ce qui implique des efforts financiers supplémentaires donc les choses progressent doucement. Concernant les types de bières, nous produisons 3 gammes majeures de bières dont l’originelle 100% BIO assez classiques et puis des gammes plus fantaisistes. À l’origine, nous vendions beaucoup auprès d’épiceries locales et engagées mais nous nous sommes tournés vers la grande distribution qui est notre canal de vente numéro 1 aujourd’hui pour des raisons de robustesse économique. Dans cette démarche d’ancrage territorial, nous vendons également pour les CHR (Café, Hôtel, Restaurant) de proximité, les festivals et autres événements de la région et enfin aux cavistes même si le contexte économique est de plus en plus compliqué pour cette filière de vente.

L’enjeu des matières premières est une vraie question dans la filière, comment gérez vous vos approvisionnements ?
La bière c’est beaucoup d’eau, le reste c’est plus compliqué. En effet, le malt issu de l’orge nous provient de la filière traditionnelle française via la Malterie du château . Pour ce qui est du houblon, il faut savoir qu’il s’agit d’une matière première mineure dans le processus de brassage final d’une bière. Le résultat est que cela ne constitue pas toujours un marché suffisamment porteur pour lancer une production BIO et locale sur nos territoires. Même si cela existe, la différence avec le marché concurrentiel mondial est énorme et constitue un vrai frein pour le développement de la filière. Nous utilisons une partie de notre propre houblon (produit sur 1 ha à proximité de la brasserie), une bonne partie en provenance de l’association houblon de l’ouest et des USA pour les houblons spécifiques. Ce qu’il faut retenir c’est que notre modèle économique et social implique une masse salariale conséquente et plus élevée que la moyenne au vu de notre production. Nous avons très peu de marge pour nous permettre des produits certes locaux mais hors de portée. Nous essayons de concilier au maximum nos engagements mais la marge de manœuvre n’est pas toujours évidente.
Peux-tu nous en dire plus que votre marque Pow Wow et ses engagements ?
Pow Wow, c’est un de nos projets phares et qui nous tient vraiment à cœur. C’est une gamme de bières en canettes à l’effigie de nos salariés. Le concept, c’est que chaque salarié qui prend son envol après deux ans chez Tête Haute, développe une bière de la recette à la production à son image et ses envies. On retrouve alors son nom sur la canette et un QR Code qui mène vers un podcast où chaque salarié mêle sa propre histoire à son expertise pour la bière en question. Cette démarche est un rite de passage pour chacun et célèbre le travail et l’évolution salarié.es en insertion. On essaie de prôner ces valeurs de fierté et d’entraide à travers ce slogan: “C’est la Tête Haute que nous brassons cette bière”.

Tu parlais d’ancrage territorial, comment cela se matérialise-t-il à travers vos actions ?
De beaucoup de manières différentes. Nous sommes en bordure de Nantes dans le territoire d’Ancenis donc nous sommes évidemment en lien avec les acteurs des deux territoires. Premièrement, nous faisons partie du réseau d’ESS aux alentours. Nous faisons également partie du groupement houblonnier Grand-Ouest avec lequel nous travaillons dans une optique de relocalisation de la production de houblons mais nous nous heurtons à une vraie problématique de concurrence et de manque de filières. Nous travaillons régulièrement avec les collectivités territoriales locales comme pour la création de projets d’alimentation et de pédagogie. Nous cherchons également à travailler avec les agriculteurs à proximité pour discuter de potentiels partenariats de production de houblon et de transformation par nos soins. Notre mission sociale prend beaucoup de temps dans notre quotidien donc les projets aux alentours mettent du temps à voir le jour mais nous avons de nombreuses ambitions de développement. Nous produisons d’ailleurs nous même du houblon à l’échelle d’1ha sur une parcelle à côté de la brasserie. Ce volet production reste marginal mais nous permet tout de même de réaliser quelques visites pour le grand public et de faire découvrir notre métier et nos engagements.


Pour finir, quelles sont vos ambitions de développement à court et à long-terme ?)
À la base, nous voulions développer de la restauration sur place pour valoriser notre production et cultiver notre propre houblon, mais désormais nous désirons en priorité atteindre l’équilibre financier via une augmentation de la production. C’est seulement suite à cela que nous pourrons prétendre à essaimer nos projets à travers la région, voire la France ! Notre restaurant Mashup dans Nantes fonctionne plutôt bien, c’est encourageant et c’est un modèle qu’on aimerait bien étendre plus tard. Pour ce qui est de nos ambitions long-terme, nous envisageons d’accompagner les brasseries existantes sur les thématiques d’insertion voire même de créer de nouvelles structures ancrées au sein de leur territoire comme Tête Haute !
L’avis de Foodbiome
FoodBiome s’inscrit depuis maintenant 4 ans dans une démarche de dynamisation des territoires via le développement d’infrastructures alimentaires de proximité comme le fait Tête Haute à travers ses deux sites de transformation et de restauration dans la bordure nantaise. Au-delà même de l’impact environnemental, ce genre de démarche génère un impact social à travers la création d’emploi mais un impact aussi économique via des partenariats avec les producteurs locaux et la mise en lumière d’une production artisanale. Transitionner vers des systèmes alimentaires plus durables passe aussi par le volet social, de recréer tout une chaîne du houblon à travers le producteur, les chaînes de transport locales, du transformateur jusqu’au consommateur. Valoriser les productions à l’échelle des territoires est un des enjeux que relève au quotidien Tête Haute et nous ne pouvons que soutenir ce projet qui a du sens et qui ne demande qu’à s’essaimer.
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