La ferme du Temple, une exploitation agricole qui revitalise la ruralité 

Entretien avec Gautier Fihue, agriculteur de la Ferme du Temple.

Entre prairies, pommes et pluie – une ferme typique du pays de Bray.

La ferme du Temple est une ancienne exploitation familiale qui héberge aujourd’hui plusieurs activités agricoles et artisanales, qui se sont associées avec Gautier Fihue. D’après l’agriculteur, la complémentarité de ces activités fait leur force. La ferme est située en Haute-Normandie à Osmoy-Saint-Valéry, dans le pays de Bray, dont le terroir a été essentiel au projet. En effet, le pays de Bray était historiquement jalonné par des prairies verdoyantes, parmi lesquelles fleurissaient de pommiers et où broutaient des vaches Made In Normandy. Aujourd’hui, ce paysage bucolique se fait rare. Suite à un parcours d’ingénieur agronome et plusieurs expériences à l’étranger, notamment dans les fermes laitières de Nouvelle-Zélande, Gautier Fihue a repris l’exploitation familiale, bien décidé à y remettre de la verdure.

La ferme du Temple vue du ciel, source : Bazar des Marques

A la rencontre de Gautier, l’éleveur à l’origine de la Ferme du Temple, afin d’en savoir plus sur le projet et notamment sur sa dimension collective et multidisciplinaire !
 
La ferme du Temple est une ferme de polyculture-élevage bio avec 80 vaches laitières de race Kiwicross ainsi que quelques bœufs et génisses croisées Angus. Le cheptel est nourri exclusivement à l’herbe des prairies de la ferme avec un pâturage toute l’année. Gautier produit principalement du lait, vendu en partie en direct à la ferme et le reste à une coopérative laitière BIO, Biolait. Il vend également la viande de ses Angus à raison d’une fois par mois, et produit et commercialise quelques céréales et légumineuses (sarrasin, lentilles). L’agriculteur a aussi des poules pondeuses qui pâturent avec un poulailler mobile.
Il y a quelques années, le fonctionnement de la ferme a pris un tournant radical. A l’époque, Gautier avait beaucoup de bâtiments inutilisés. L’essentiel de ses terres étant en prairies, il n’avait plus besoin de beaucoup de machines pour son exploitation. Par conséquent, il s’est retrouvé avec un excès de matériel et surtout de bâtiments. C’est alors qu’il a fait la rencontre d’Hugo, professeur d’économie en reconversion professionnelle pour devenir brasseur à la recherche d’un local pour s’installerAttiré par le projet collectif et le loyer modéré, il choisit d’installer sa brasserie au sein de la ferme afin d’occuper un espace alors inutilisé. C’est ainsi que l’histoire a débuté, et à partir de ce moment-là une nouvelle personne s’est installée sur la ferme chaque année. D’abord Will, ancien expert automobile en reconversion, qui a rejoint  l’aventure en tant qu’artisan-boulanger. Ensuite Marceau, un jeune ingénieur agronome qui s’est installé en tant qu’apiculteur sur la ferme. Puis Mado en tant que céramiste. Dernièrement, et c’est un gros projet pour l’exploitation, Rémi a rejoint la ferme du Temple pour monter une fromagerie. Même si ce n’est pas une évidence pour tous les exploitants, le collectif voit de nombreux intérêts dans son fonctionnement : la synergie entre les productions, la collaboration entre les artisans, la mutualisation des infrastructures, le fait de bénéficier de loyers plus modérés qu’en milieu urbain, …

L'ensemble des artisans de la Ferme du Temple. De gauche à droite : Mado, Will, Marceau, Gautier, Hugo. Source : Facebook
Quelles méthodes d’élevage sont mises en place pour le troupeau ?

Gautier dit avoir eu la chance de ne pas reprendre directement l’exploitation car cela lui a permis de faire des études en tant qu’ingénieur et de voyager à travers différents pays pour explorer ce que pouvait être l’agriculture. Durant son voyage en Nouvelle-Zélande, il a découvert les systèmes laitiers intensifs à l’herbe. Aux côtés de ces champions du monde du lait et grâce à la rencontre de pionniers du système herbe en France, il s’est inspiré de certaines techniques pour les amener sur la ferme du Temple. Aujourd’hui, la spécificité du système de la ferme repose sur 2 principes : le pâturage tournant-dynamique (PTD), le vêlage groupé de printemps (VGP) et la monotraite. Ces techniques sont encore peu répandues de nos jours.

Le pâturage tournant-dynamique :
Les vaches se nourrissent à l’air libre d’une herbe fraîche dans un pâturage « tournant », car elles changent de prairie, et « dynamique », car elles le font souvent. En clair, les vaches pâturent tous les jours sur une parcelle différente de la veille, selon une rotation savamment orchestrée. Les avantages de ce système sont nombreux pour l’animal et son environnement comme pour l’agriculteur.


Tout d’abord, pâturer est bénéfique pour le métabolisme de l’animal car il se nourrit de diverses espèces végétales (trèfle blanc, violet, ray-grass etc.), ce qui lui apporte plus de nutriments que s’il se nourrissait que d’une seule espèce. Cela évite aussi à l’éleveur de devoir fournir des compléments alimentaires à ses bêtes. Nourrir ses bêtes peut vite représenter une importante corvée de temps pour l’exploitant,  d’autant plus que les produits proviennent souvent de loin et sont très chers. Ensuite, l’aspect tournant-dynamique est essentiel afin de permettre aux vaches de toujours avoir de quoi brouter, tout en laissant le temps à l’herbe de repousser. La rotation doit veiller à faire arriver les animaux sur une parcelle dont le développement de l’herbe est optimal, afin d’assurer un cycle vertueux. Cette diversité végétale permet d’héberger une faune indispensable à la biodiversité de son environnement (pollinisation, portance du sol, stockage du carbone etc.). Aussi, les déjections animales sont essentielles à la fertilisation du sol des pâtures. Alors que dans le cas d’animaux élevés en étable, les tâches de nettoyage des bâtiments sont très chronophages .

Cependant, ce modèle de pâturage représente certaines contraintes. Pour commencer, cela nécessite une surface suffisamment grande et adaptée à la taille du troupeau. De plus, les pâtures doivent être assez proches de l’exploitation afin de garantir le trajet salle de traite-prairie tous les matins. L’aménagement de la “plateforme de patûrage” est un pré-requis. Il faut impérativement créer un réseau de chemins d’accès aux prairies et des abreuvoirs dans chaque parcelle. Enfin, le système nécessite une bonne organisation de la part de l’agriculteur, qui doit anticiper en permanence la rotation des pâtures. Enfin, les conditions climatiques auxquelles sont exposées les vaches nécessite de sélectionner des races rustiques. Mais s’il est bien organisé, ce système permet aux vaches de se nourrir tous les jours dehors sur une nouvelle pâture et ce pendant 10 mois, pas mal non ?

Le vêlage groupé de printemps :
Le deuxième pilier du système fonctionne en synergie avec le pâturage. L’ensemble du troupeau vêle (met bas) sur la même période, soit durant une plage de 6 semaines au printemps. C’est à ce moment que débute la lactation des mères (production du lait), et que leurs besoins nutritionnels augmentent. La plupart des exploitations laitières en France répartissent volontairement les vêlages tout au long de l’année. De cette façon, les vaches produisent du lait à différents moments, qui peut être vendu tout au long de l’année et assurer un revenu stable. Sauf que cela correspond à un mode de vie à l’étable, dans lequel les animaux sont nourris à l’auge une bonne partie de l’année.

 

Dans le cas de Gautier, les vaches mangent ce que les prairies leur fournissent. Donc en réunissant les vêlages au printemps, la courbe des besoins nutritifs est la même pour toutes les vaches et surtout elle correspond à la quantité d’herbe présente dans les prés c’est-à-dire un fort besoin nutritif au printemps, puis de moins en moins jusqu’à décembre quand la lactation se termine (le tarissement). Il y a d’autres avantages à cette méthode de vêlage. Même si cette période requiert une grande vigilance chez l’agriculteur, notamment lors de l’insémination et durant la période de mise bas, le vêlage groupé de printemps lui permet de restreindre cette phase à quelques semaines. De plus, le fait de mettre bas au printemps est plus naturel pour l’animal et pour son veau, notamment du fait des conditions climatiques propices au vêlage. 


Bien évidemment, ce système n’est pas parfait et il faut être très vigilant à la coordination entre le pâturage et le vêlage, car ils sont interdépendants. En plus de la planification qu’il nécessite, ce système condense potentiellement les risques en généralisant le même cycle pour tout le troupeau. Par exemple, une sécheresse et donc un manque d’herbe au moment des vêlages, pourrait condamner le fonctionnement de l’exploitation.

Le troupeau en train de pâturer, source : Facebook

Comment se définit ce système et quelle est sa pertinence dans le contexte agricole difficile actuel ?

 

Selon Gautier, ce système trouve sa véritable force dans l’économie, qui est le maître-mot de tous les secteurs. Tout d’abord, les économies résident dans la prévention des charges économiques, puisque les dépenses sont limitées au maximum, tout comme les emprunts et les frais d’exploitation. De nombreux exploitants s’endettent à cause d’une cascade d’investissements d’où ils sortent souvent perdants. Grâce au PTD et au VGP, le système de l’élevage est quasiment autonome, évitant des frais de fourrages supplémentaires, ou encore des frais d’achats et de réparation de machines puisqu’il ne cultive quasiment pas de céréales (ou du moins il fait appel à un prestataire pour l’occasion). Les charges se limitent au strict minimum et c’est un système peu productif mais très rémunérateur.
 

La deuxième économie est celle du temps, car Gautier est en monotraite. Ce qui est rare, puisque la plupart des exploitations réalisent 2 traites par jour (matin et soir). En faisant une seule traite le matin, il gagne beaucoup de temps car il faut compter environ 2 à 3 heures par traite (le temps de ramener les animaux des pâtures, les traire puis nettoyer la salle). Surtout que traire moins ne veut pas forcément dire gagner moins ! Le lait produit par les vaches de la Ferme du temple est en réalité plus riche que la moyenne (taux butyrique et protéique élevés) et ses vaches réalisent plus de lactations car on leur en demande moins (économie). En parallèle, l’éleveur économise du temps pour nourrir son troupeau, car il pâture presque entièrement en autonomie, à condition d’être bien organisé et d’anticiper. Dépendamment des saisons et du travail à faire sur la ferme, il y a des périodes durant lesquelles la majeure partie du travail est faite une fois que les vaches sont traites le matin. 

Grâce à toutes ces économies de temps et d’argent, le métier de Gautier est supportable. Il peut amener ses filles à l’école ou les récupérer le soir, et surtout, il peut s’autoriser quelques semaines de vacances par an. Cette philosophie résonne d’autant plus en lui dans un contexte de dépeuplement du monde agricole, où de plus en plus d’agriculteurs mettent la clé sous la porte et que les reprises se font rares notamment à cause de la pénibilité du métier. Il n’y a pas de formule magique, son cas est particulier et fonctionne car il avait des prédispositions : fils d’agriculteur, il avait déjà du foncier hérité, et ce foncier est regroupé autour de la ferme, indispensable à ce mode d’élevage. Mais il est nécessaire de trouver des systèmes agricoles viables et sains pour les agriculteurs afin d’installer de nouvelles personnes, mais aussi pour l’environnement, afin de préserver nos territoires.

Les différentes activités de la ferme, source : CDC Biodiversité

Qu’est ce que l’on peut souhaiter à la ferme du Temple pour les prochaines années ?

La volonté du collectif de la ferme est de continuer à réunir d’autres personnes prêtent à s’investir. Depuis le début, Gautier rêve d’une ferme collective et multidisciplinaire où un maximum d’activités interagissent. Il y a encore tellement de synergies à imaginer avec les futures activités et même avec les activités déjà existantes. Par exemple, aller plus loin dans la transformation des céréales, développer un petit élevage de porcs pour valoriser les drêches de brasserie et le “petit lait” de la fromagerie ou même encore, développer de l’arboriculture. Ils aimeraient continuer sur cette lancée d’accueillir une nouvelle personne chaque année, avec pourquoi pas un ou une responsable des cultures bientôt, ou encore un ou une responsable de l’agroforesterie voire d’arboriculture pour planter de jolis pommiers normands !

Enfin, la volonté est aussi d’accueillir du monde sur la ferme pour parler du système et pour parler agriculture au plus grand nombre. Il y a un réel enjeu de société de rappeler ô combien l’agriculture est un secteur d’enjeu pour tout le monde. Pour cela, la ferme du Temple organise un festival à la ferme avec camping sur leurs pâtures et nourriture made in Ferme du Temple. Ce festival est une opportunité exceptionnelle car il ramène un public pas du tout prédisposé à visiter une ferme. De la même façon, la ferme organise des visites du site 2 fois par an et collabore souvent avec le lycée de proximité pour des ateliers de plantation d’arbres par exemple.

Affiche promotionnelle du festival de la Ferme du Temple, édition 2024, source : Temple Fest

Pour conclure, Gautier, nous livre sa vision de l’agriculture, et plus particulièrement la place des fermes au sein de la société.


Selon lui, les fermes ont un véritable rôle à jouer dans la revitalisation de la ruralité. Les campagnes s’essoufflent de plus en plus, au point de se transformer en village dortoir pour celles dont les habitants travaillent en ville. Hors, une ferme peut participer à recréer de la vie et du lien au sein de son village par bien des moyens. La vente directe est l’un des exemples déjà bien connus. Mais l’accueil de festivals ou l’aménagement d’hébergements sont tout autant d’exemples pouvant participent à
diversifier les activité d’une exploitation. Et grâce à cette diversification, créer de la vie d’abord au sein de la ferme et à fortiori, puis cœur du village. Localement, le collectif de la ferme du Temple est justement en train de créer un bar associatif avec une gestion alternée entre bénévoles. Il est encore trop compliqué d’installer un restaurateur sur un modèle durable, ce système pourrait ainsi permettre aux gens de se retrouver dans ce lieu et recréer ainsi un début de vie dans le village. Les synergies entre la ferme, le bar, les gîtes pourraient être nombreuses et plus les activités fleuriraient, plus elles seraient solides économiquement. Selon Gautier, les fermes ont tout intérêt à accueillir des activités et à tendre vers la diversité dans leurs pratiques.

Photographie de journées portes ouvertes sur la ferme, Paris Normandie

L’avis de Foodbiome: 

La Ferme du Temple fait partie des projets multidisciplinaires que nous tenons à promouvoir, car en plus de promouvoir un modèle d’élevage qui s’inscrit réellement dans son écosystème, elle est un modèle de coopération. Chez Foodbiome, nous sommes convaincus que cette valeur sera centrale au sein des projets alternatifs qui émergent depuis plusieurs années, et qui souhaitent  perdurer. Aussi, la question de la revitalisation de nos campagnes est essentielle pour accompagner la transition alimentaire à l’échelle territoriale. Afin que l’écosystème dans lequel s’inscrit une ferme puisse dépasser ses pâtures et ses étables, et rendre aux exploitations la place centrale qu’elles devront retrouver dans le territoire. 

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