Invitation à la Ferme : des produits laitiers bio, locaux et en direct de la ferme

Entretien avec Jean-Michel Péard, président et co-fondateur du réseau Invitation à la Ferme

Bonjour Jean-Michel, peux-tu nous présenter l’initiative Invitation à la Ferme et la genèse du projet ?

Invitation à la Ferme est un réseau de paysans bio créé en 2015 avec à l’origine 3 fermes en production laitière avec transformation. Personnellement, ça faisait depuis 2005 que je travaillais dessus, mais il a fallu tester et affiner le modèle au travers du lancement de l’activité de transformation d’ultra-frais sur notre ferme (la Ferme Péard) en 2007 et de différentes collaborations avec des fermes voisines. L’idée a toujours été de mutualiser sans perdre son identité.

Aujourd’hui, le réseau est composé de 45 fermes de la Meuse aux Pyrénées en passant par la Bretagne qui transforment directement à la ferme leur lait (de vache, chèvre ou brebis) en yaourt, fromage ou glace Bio et fermiers. Les produits sont ensuite commercialisés en circuit court et prioritairement en local dans un rayon de 80 km. La marque ombrelle “Invitation à la Ferme” permet de les repérer facilement en magasin. Nous sommes plus de 240 salariés et fermiers et vous pouvez retrouver nos fermes dans plus de 2 000 points de vente (liste ici).

marque invitation à la ferme
Marque ombrelle Invitation à la ferme

Quelles sont les valeurs que défend Invitation à la Ferme ?

En créant Invitation à la Ferme, nous avons voulu créer un nouveau modèle agricole en remettant la valeur sur nos  fermes via la transformation. Pour cela, nous nous sommes retrouvés autour de 4 valeurs communes pour créer notre réseau national : partage, biodiversité, professionnalisme, famille & convivialité.

Notre modèle fonctionne aussi car les patrons…ce sont nous, les éleveurs. Plus précisément, tous les éleveurs sont actionnaires du réseau et donc au cœur de la gouvernance du réseau. C’est d’ailleurs tous ensemble que nous fixons à l’avance le prix auquel nous nous « auto-achetons » notre lait. Tous les éleveurs associés  sont propriétaires de la marque et nous décidons à chaque trimestre des grandes orientations du réseau. L’ambition  qui nous unit tous est de pouvoir rémunérer justement  tous les membres de la ferme et de proposer des produits laitiers bons, sains et écologiquement responsables !

Pour cela, nous avons un objectif de 100 % de traçabilité en utilisant uniquement le lait de nos fermes. Voici le triptyque gagnant : être éleveur Bio, transformer sur sa ferme, vendre à proximité ses produits .

 

Concernant le mode d’élevage, comment votre cahier des charges l’oriente-t-il ?

Tout d’abord, il n’y a pas de bon lait sans une bonne alimentation ! Nous préconisons ainsi une alimentation à base d’herbe. Concernant les vaches (qui représentent la majorité des fermes de notre réseau), nous priorisons au maximum le pâturage et garantissons pour nos produits plus de 70 % d’herbe (fourrage) dans la surface utilisée pour l’alimentation des vaches, plus de 7 mois dans les prés et plus de 0.3 hectare accessible par vache laitière. Chaque ferme qui entre dans le réseau doit respecter ces trois critères. L’objectif est que l’alimentation de de nos animaux soit basée sur l’herbe. Cette herbe de la ferme garantit l’autonomie alimentaire, le bien-être des animaux, et permet le stockage du carbone.

Pour respecter cet engagement, nos fermes pratiquent la technique du pâturage tournant dynamique Cette dernière permet une rotation des parcelles pour préserver au mieux la qualité et la quantité d’herbe des prés. Nos vaches pâturent plus de 7 mois dans l’année, mais jamais très longtemps dans le même champ, ce qui permet de respecter le stade de développement des plantes en favorisant une repousse plus rapide et plus abondante, sans puiser dans leurs réserves.

vaches
Pâturage tournant dynamique à la ferme Colas (53)

Enfin, nous avons fait le choix tous ensemble d’avoir seulement des salles de traite, et non des robots de traite. Cette solution est à la fois une occasion privilégiée de créer du lien avec l’animal, mais aussi de favoriser l’emploi local. Elle favorise également le pâturage car les vaches n’ont pas besoin de venir au cours de la journée une par une pour se faire traire. Elle permet d’avoir à la fin de la traite du lait déjà chaud à 37°C pour la transformation.

Ce choix est aussi économique puisque l’installation d’un robot de traite coûte plus de 150 000 €, auquel il faut ajouter la maintenance, l’énergie…

Les 2 traites quotidiennes permettent de surveiller le troupeau et de mettre en place si besoin un soin alternatif. Nous favorisons les méthodes de prévention alternatives pour nos bêtes : phytothérapie, homéopathie, aromathérapie et même ostéopathie.

traite manuelle
Pas de robot mais uniquement des salles de traite (Gwenael de la ferme de Kerdestan (56) en action)

J’imagine que votre exigence concernant la transformation et la commercialisation des produits est du même ressort ?

Je vous confirme ! Après la traite, nous avons fait le choix de ne pas homogénéiser ni standardiser la matière grasse du lait (processus industriel), c’est pourquoi vous retrouvez cette petite couche de crème sur nos yaourts étuvés (non brassés), et dans les yaourts brassés elle aura été mélangée par nos soins avec toutes ses vitamines. Sur nos fermes, pas de standardisation du lait : nous utilisons le lait tel qu’il sort du pis de la vache, de la brebis ou la chèvre (sauf élevage en vache jersiaise) afin de ne pas retirer les vitamines A et D qui sont liposolubles Concernant nos fromages, ils sont fabriqués au lait cru du troupeau.

Côté ingrédients, nous avons fait le choix de produits bio équitables et d’une provenance cohérente. Le sucre de canne, café et cacao sont équitables, le riz provient de Camargue, la fraise, les abricots sont français la vanille est un extrait de vanille Bourbon (et non d’un arôme), et le caramel au beurre salé est uniquement constitué de sucre et de beurre salé sans aucun additif.

Nos emballages pour les yaourts et fromages (pots, cartons, étiquettes) sont fabriqués en France. Cela nous permet de rencontrer facilement nos fournisseurs pour un partenariat durable. Après tout, pourquoi faire des kilomètres quand on peut dynamiser l’emploi local ?

Concernant nos circuits de distribution, nous vendons nos produits dans des magasins bio ou de producteurs, des grandes et moyennes surfaces, mais aussi à la restauration scolaire. Pour faire fonctionner le collectif, chacun laisse un % de son CA. Nous utilisons le même outil de gestion commerciale Socleo, notre partenaire depuis le début de l’aventure.

 

Vous commercialisez également vos produits via la marque Les P’tits Fermiers : pouvez-vous nous en dire plus ?

La marque Les P’tits Fermiers est exclusivement réservée aux  fermes en conversion. Il faut savoir que passer un élevage en Bio demande une période d’adaptation et l’adoption de nouvelles pratiques et règles : il faut convertir à la fois la terre et les animaux  … C’est déjà un grand pas de franchir le cap !

Pour aider nos collègues à passer ces 2 années difficiles de conversion, nous les intégrons au réseau dès le début de la conversion. Concrètement, ils bénéficient des mêmes services et ressources que les fermes déjà bio .la marque Les P’tits Fermiers implique de n’utiliser que des ingrédients issus de l’Agriculture Biologique, hormis évidemment le lait puisque la ferme est en conversion.

les p'tits fermiers
Marque Les P’tits Fermiers

Une fois la certification Bio obtenue, tous les produits pourront être vendus sous  la marque « Invitation à la Ferme ». Ce dispositif leur permet ainsi de passer des nuits plus tranquilles et aide à rassurer les banques. Pour les consommateurs, c’est un moyen de profiter des produits issus d’une ferme engagée et d’encourager les fermiers dans leur démarche de conversion.

 

Finalement, l’objectif de votre réseau est avant tout humain ?

Complètement, notre but premier est de pérenniser nos fermes familiales grâce à la transformation de notre lait en produits fermiers bio. Cela permet d’offrir sur nos fermes, une juste rémunération pour nous et nos équipes.

Concrètement, nous nous sommes réunis en septembre pour voter le prix d’auto cession de notre litre de lait en vache, brebis ou chèvre. Nous l’établissons de manière collégiale en tenant compte de notre prix de revient. Pour nous, c’est le prix auquel tous les paysans bio devraient être payés.  Pour 2024 en lait de vache, nous l’avons fixé  à 580 € les 1 000 litres soit plus de 25% du prix moyen en collecte. Évidemment, à ceci s’ajoute le bénéfice de la transformation. Ce mode de fonctionnement est vital pour assurer l’équilibre économique et poursuivre le développement de nos fermes : nous comptons jusqu’à 11 personnes salariées par ferme (en plus de l’éleveur). C’est aussi gratifiant de recréer de l’emploi local non délocalisable à la campagne, beaucoup de parisiens en rêvent !

éleveurs
Trois générations à la Ferme des 3 Vallées (62) en bio depuis 1998

Quels sont les axes de développement de votre modèle ?

Notre modèle a pour atout majeur d’être exclusivement au service de nos fermes.

Pour sa gouvernance, il existe un comité de fermes, des commissions et nous nous réunissons 3 fois par an lors des conseils de fermes sur une de nos fermes. Les moments d’échange et de rencontre comme le font déjà d’autres réseaux de magasins indépendants (Biocoop, Système U…) ou de paysans (Biolait) sont vitaux pour assurer la cohésion.

Cette approche demande aux associés paysans de se dégager du temps pour être acteur du pilotage du réseau et des choix stratégiques et opérationnels qui sont faits.. Notre but sur le long terme est de couvrir le territoire national, et ainsi de participer à la résilience alimentaire des territoires. Un des freins que nous rencontrons au vu de la conjoncture est de convaincre des fermes non bio de se convertir. 

En  axe de développement sur lequel nous travaillons quotidiennement figure la réduction de notre empreinte carbone. Comme il n’existait pas d’outil de mesure de l’empreinte carbone du pis au pot, nous l’avons créé avec le soutien de l’ADEME et nommé LAITCOLOscore (on aime bien les jeux de mots).

Cet outil repose sur un premier diagnostic  CAP’2ER de l’institut de l’élevage qui permet de calculer les émissions et le stockage de carbone de la production du lait.

 Nous rentrons les données du CAP2R dans notre outil Laitcoloscore qui complète le calcul avec la transformation du lait jusqu’à la livraison des produits laitiers dans les points de vente. Nous avons décidé de mettre à disposition gratuitement cet outil de mesure à tous les transformateurs laitiers. L’urgence climatique fait que chaque outil qui permet de prendre les bonnes décisions doit être diffusé largement à notre sens.

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Le Lait’colo score, créé par Invitation à la Ferme

Aujourd’hui, nous sommes fiers d’être le premier yaourtier à afficher son empreinte carbone directement sur ses packs, et de diminuer de -31 % l’empreinte carbone de nos yaourts nature par rapport à un yaourt nature industriel ! Mais nous ne souhaitons pas nous arrêter là et chaque ferme a un plan de réduction de son empreinte carbone avec moins d’émissions et plus de stockage. Nos fermes ont un atout énorme : elles sont couvertes de prairies et de haies qui stockent le carbone et nous souhaitons continuer à travailler ces leviers parmi d’autres.

impact carbone yaourts
Empreinte carbone d’un pack de yaourts Invitation à la Ferme

Dans une logique zéro déchet, nous développons une offre appelée “Débalait” de produits en vrac avec des seaux de 5 kg et un contenant apporté par le consommateur, toujours en local. Vous pouvez retrouver cette offre dans les magasins vrac, des boutiques bio, des magasins de producteurs (liste ici).

Si vous souhaitez découvrir nos fermes bio,  nous organisons tous les premiers mercredis du mois des “traites ouvertes” s : c’est l’occasion de venir découvrir de vos propres yeux la réalité de la vie d’une ferme en transformation laitière fermière biologique !

 

L’avis de FoodBiome

Depuis le décrochage des prix en septembre, la filière laitière bio est tiraillée entre une collecte en forte hausse et une consommation en déclin. Le déclassement de 30 % du lait bio en 2021 et la baisse de rémunération des producteurs (source : Ouest France) sont autant de symptômes d’une filière fragile qui peine à écouler sa production. La raréfaction progressive des élevages et des outils de transformation du lait, déficitaires sur presque tous les territoires, la confronte à une crise sans précédent.

Le réseau fermier Bio Invitation à la Ferme est un bel exemple à suivre pour revaloriser la production laitière grâce à la transformation à la ferme. Le succès de leur démarche démontre le potentiel d’outils de transformation complémentaires au service d’éleveurs engagés dans des démarches transparentes et responsables. Chez FoodBiome, nous avons à cœur de restructurer les filières alimentaires via ce modèle, notamment pour les fruits et légumes via notre filiale Cuisinons nos Paysages.


Pour en savoir plus sur le réseau Invitation à la Ferme, visitez leur site internet.