Parce que ce que nous lisons nous inspire, nous avons décidé de vous partager les lectures marquantes de l’équipe. L’occasion de vous transmettre ce qu’on en retient, ce qui nous interpelle, et de vous donner envie d’aller le lire par vous même. On démarre ce nouveau format avec Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse, de Noémie Calais et Clément Osé, qui vient tout juste d’être récompensé par le prix Mange Livre 2023.
“Aux Paysannes et Paysans qui nous nourrissent”
Comme l’indiquent les premières pages, ce texte est avant tout un hommage “Aux Paysannes et paysans qui nous nourrissent”.
Ce livre relate la rencontre entre Noémie Calais, ancienne cadre supérieure, qui a engagé un nouveau chemin professionnel en devenant éleveuse de porcs dans le Gers, et Clément Osé, ancien camarade de promotion, auteur engagé à partager les récits et vécus liés aux sujets d’effondrement de la société. En miroir l’un de l’autre, ils tentent de répondre à la question suivante : peut-on vivre d’un modèle agricole respectueux des terres et des animaux qui y vivent ?
A travers ces regards croisés, on découvre l’engagement de Noémie au sein du monde paysan, avec ses joies et ses luttes, et le regard de Clément qui s’interroge sur la place de la viande dans notre société, en suivant pendant près d’un an le parcours de Noémie. Le troisième regard fort du livre, c’est celui des porcs noirs : Merveille, Nougat, Mimosa, sont présents par la photographie et la description sensible de leur espèce, du terroir dont ils sont issus et du lien qu’ils ont avec Noémie.
Organisé en 4 grands chapitres et composé d’extraits personnels de Noémie et de photographies, ce livre aborde le métier d’éleveuse en plein air sous ses très nombreuses facettes, et reflète ainsi la complexité du sujet.
Le choix d’un mode d’élevage viable et respectueux de son territoire
Jeune reconvertie formée au métier de responsable d’exploitation agricole et à la transformation de viande, Noémie explique son choix d’élever le porc noir. Cette espèce est certes moins rentable que le porc rose des élevages industriels (comme la race Large White, Landrace) mais elle a la chair plus savoureuse et grasse. En effet, le porc noir produit deux fois moins de porcelets par portée, grandit deux fois plus lentement : ses coûts de production sont donc au minimum 10 fois plus élevés que ceux du porc rose classique. Ce choix, Noémie l’a fait pour défendre la “génétique des races rustiques qui concourt à l’indépendance alimentaire de nos territoires”.
Au-delà de la race, Noémie a choisi un mode d’élevage de petite taille, en biologique et extensif car cela correspond à la vision globale qu’elle a du rôle de l’élevage dans notre société. “J’élève cet animal pour rendre au terroir ce qui lui appartient […] et préserver la diversité des saveurs face à la tristesse de la standardisation du goût”
Ce qui nous interpelle, c’est qu’aujourd’hui des cochons de race rustique, vivant au grand air, sans manger de pesticides, il en existe en France 1 pour mille.
L’importance du collectif dans un choix d’installation
Dès le choix du lieu de son installation, la dimension collective de son projet se confirme. Elle rejoint plusieurs agriculteurs engagés dans une démarche de diversification (maraîchage, élevage caprin, ovin) sur une ferme historiquement dédiée à de l’élevage intensif.
Pour la jeune agricultrice, penser la complémentarité agronomique des activités agricoles est nécessaire : chaque culture rend des services à l’autre et vice versa. “Trouver des débouchés pour le fumier des cochons, valoriser grâce à eux les sous-produits comme le petit-lait ou les légumes abîmés”. Et entre chaque membre du collectif (où chacun conserve son activité indépendante), la coopération permet de mutualiser du matériel et de s’entraider.
Abandonner le mythe du paysan qui peut tout faire lui même
Installée en plein hiver, Noémie se confronte vite à la dureté du métier et des conditions physiques : manoeuvrer, soigner, nourrir ses cochons, puis se rendre à la CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériels Agricoles) à près de 30 minutes de route, pour transformer en viande les cochons qui ont été abattus, découper les pièces, sceller sous vide, étiqueter et tout nettoyer. Ce travail, très exigeant physiquement, met son corps à rude épreuve. Et puis il y a aussi le matériel, parfois défaillant, qui ralentit toute l’activité, ou les erreurs comme confondre le sel et le sucre, qui rendent tout un lot invendable.
Ces marathons de découpe et de marché sont très éprouvants. A terme, cette dureté ainsi que la pression économique accentuée par la hausse des coûts de production et le besoin d’équilibre poussent Noémie à revoir son organisation, en fonction de ses capacités et de ses limites. En fin de roman, Noémie nous explique qu’elle fera le choix de réduire la taille de son cheptel, pour gagner en résilience, en limitant ses dépendances, et pour retrouver un équilibre.
Penser la mort des animaux en conscience
“Choisir la vie c’est choisir la mort.” A travers son choix d’installation, Noémie Calais interroge par sa pratique le regard que nous portons sur la condition animale. Pour elle, il s’agit avant tout de comprendre la complexité et l’ambivalence que cette question recouvre.
Inspirée par « L’Animal et la Mort » de Charles Stépanoff et les travaux de Jocelyne Porcher, elle nous invite à dépasser le sujet de la souffrance animale, en considérant la pensée systémique et rôle global des animaux dans l’écosystème.
“Ma seule façon de vivre avec cette idée, de côtoyer ce dilemme en conscience, c’est la promesse que la mort de l’animal n’est pas la finalité de son élevage. Si mes cochons servent leur écosystème en étant les poubelles, les tondeuses, les fertilisants, alors ils ont un rôle à part entière dans le cycle du vivant. L’acte de mort vient alors réguler un nombre, rétablir un équilibre.”
Créer un pacte moral avec ses clients
“Le marché est notre agora, le lieu privilégié pour informer les consommateurs en direct”
La vente directe est pour Noémie un moment vraiment particulier : exercice au début redouté, elle finit par y trouver une forme solennelle d’engagement. Ce qu’elle essaie de créer au contact de ses clients (ils sont une centaine), c’est une communauté qui se rend mutuellement service. Les clients lui confient leur santé et moralement elle leur doit une viande de qualité : une forme de dépendance organique qui constitue le socle de leur communauté.
Entrer en résistance pour défendre les combats de demain
Enfin, cet ouvrage est aussi l’occasion de nous partager les combats qui semblent nécessaires à mener pour atteindre la résilience alimentaire. On en retiendra notamment trois :
- La viande artificielle est avant tout syndrome d’une distance toujours plus grande avec le vivant (et la mort). Voulant faire mieux que la nature, cette industrie contribue à simplifier le débat en promettant de passer de la viande sale à la viande propre grâce à des procédés d’ultra transformation, très polluants.
- Les indicateurs, en particulier ceux du carbone, risquent de réduire les débats à des calculs, s’ils s’intègrent dans une réflexion systémique du sujet de la résilience alimentaire. “Comment peut-on réduire la complexité de nos pratiques paysannes, la cohérence de nos choix militants à un bilan comptable, à une empreinte carbone ? “
- Enfin, les règles sanitaires semblent souvent pointer du doigt le plein air comme source de contamination, alors que les carences immunitaires des bêtes en élevage intensifs ainsi que les longues phases de transport ont une part de responsabilité certaine dans ces épidémies . “Pour informer et soulever les consciences, nous devons parvenir à révéler le mouvement de fond de l’élaboration des normes, les racines de ces évolutions et l’insidieuse dynamique de substitution de l’industrie à la paysannerie”
Ce qui nous a plu
Ce livre nous a plu car il est une invitation sensible à sortir du débat simpliste “Pour ou contre l’élevage” en opposant véganisme et industrie de la viande. Il nous appelle à ré-interroger la complexité de notre relation à l’animal, à la sensibilité des animaux, à sa mort et celle de l’empreinte écologique de la viande.
En suivant le quotidien d’une éleveuse de porcs noir engagée jusqu’à la vente de la viande, ce livre nous permet de mieux comprendre la réalité et les contraintes du métier. En miroir, on appréhende les limites du modèle industriel actuel et de son système de contrôle sanitaire, déconnecté du vivant et de son rôle fondamental dans l’équilibre de notre écosystème.
Ce livre résonne particulièrement avec l’attachement de Foodbiome, à remailler les territoires d’ateliers de transformation et notamment les abattoirs pour valoriser les productions agricoles engagées comme les élevages rustiques de petite taille.