Connaissez-vous l’histoire de l’arbre à 2 troncs ?

Parlons cuisine,

Parlons de la cuisine en tant qu’art de nourrir l’autre.

Filons pour cela deux métaphores.

La première serait de comparer la cuisine, d’où qu’elle vienne, à une langue universelle.

Comme toutes les langues vivantes elle serait composée d’une syntaxe et d’un vocabulaire. « Le vocabulaire de toutes les cuisines du monde serait donc fait de tout ce qui est comestible sur notre planète, immense vocabulaire dont une vie entière ne suffit pas à faire le tour.

Et la grammaire ? La syntaxe de cette langue éminemment vivante, quelle serait-elle ? Et bien imaginons que tout ce que nous savons faire depuis la nuit des temps pour transformer, décliner, conjuguer ce vocabulaire, c’est-à-dire couper, détailler, peler, écraser, désosser, se servir du feu, de la glace de la fermentation etc… Tout cela serait la grammaire de cette langue qu’aucun érudit jamais ne pourrait prétendre posséder entièrement non plus.

Cette métaphore-ci a pour mérite principal de nous apprendre l’humilité. En effet, quoi de plus humble que de s’attaquer à un sujet dont on sait pertinemment que l’on ne le maitrisera jamais à fond ?
La deuxième métaphore que je vous propose, toujours à propos de la cuisine, c’est de la comparer à un arbre à deux troncs. Un tronc énorme, gigantesque mais relativement jeune et un autre bien plus petit, bien moins imposant mais beaucoup, beaucoup plus vieux. Les deux partageant bien sûr la même souche et les mêmes racines, nous parlons bien d’UN arbre à DEUX troncs.

Le tronc géant et tout jeune, c’est ce que l’on appelle le « génie culinaire », c’est ce que l’on apprend aujourd’hui dans la plupart des écoles de cuisine, c’est aussi ce qui a donné, in fine, le plus gros de notre industrie agro-alimentaire. C’est une démarche de production culinaire qui part du résultat.

Un exemple :

– Je veux faire de la poule au riz pour dix personnes (ou cent, ou mille, peu importe), je sors ma fiche technique de la poule au riz, j’établis un « bon d’économat » (une liste de courses) pour cette recette PUIS (et seulement puis, on va voir que c’est important) je me tourne vers le marché, le super-marché ou mes fournisseurs habituels afin d’acheter, le mieux que je peux tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration de ce chef-d’œuvre de la cuisine bourgeoise.

C’est ça le génie culinaire et, comme le génie civil ou militaire, cela présente l’avantage d’éviter les surprises à condition que le volailler ait la poule idoine, le primeur les oignons et l’épicier le riz rond. 

C’est bien pratique et c’est pour cela d’ailleurs que tout le monde ou presque fait comme ça. L’inconvénient, et il est à mes yeux de taille, c’est que cela ne laisse aucune place à l’inspiration ni à la saison ni aux opportunités. C’est ce que l’on pourrait appeler de la cuisine « Top-down ».

Cuisine - découpe

Le petit tronc de cet arbre, petit mais beaucoup, beaucoup plus vieux c’est que nous allons appeler la « cuisine de marché » c’est ce qui a prévalu pendant des millénaires chez nos ancêtres et qui continue à exister encore chez une minorité de cuisinières (et cuisiniers (dont moi dans tous mes restaurants successifs)).

Il s’agit-là plutôt de partir de la fonction et de se laisser inspirer par le disponible, par ce que l’on trouve de mieux et de plus adapté au moment, au budget, à la saison au terroir etc…

Un exemple :

– J’ai dix (cent, mille, vous avez l’habitude) personnes à nourrir, je me tourne avec curiosité et sans idées préconçues vers mes sources d’approvisionnement habituelles :

Voyons, voyons ! Ah tiens, mon volailler me propose de belles pondeuses de réforme bien dodues, ça me tente. Oh les beaux oignons de Trébons, pas cher en plus on  est en plein dans la saison, allez zou dans le panier ! Tout ça tombe bien car j’ai un sac de riz rond à la maison que le cousin a ramené de Camargue, c’est décidé… Ça sera Poule au riz !!

Une poule au riz entièrement « Bottom-up ».

Dans le premier cas, on demande, voire on exige de la part de l’outil de production (le Vivant) des choses précises et en quantité définies. Bref, on recopie des phrases dans la langue (voir plus haut) que l’on a apprise, comme on recopierait les chapitres d’un livre.

Dans l’autre on est attentif à la production d’un biotope et on exploite au mieux sa prodigalité. L’état d’esprit n’est pas du tout le même. Autrement dit on utilise au mieux la syntaxe que l’on maîtrise au service du meilleur vocabulaire disponible autour de soi.

Un des vieux rêves qui m’animent serait que l’industrie agro-alimentaire soit un jour capable de pratiquer cette cuisine-là. C’est possible et surtout c’est souhaitable car on réduirait le gaspillage de façon drastique en fonctionnant de la sorte.

Votons donc pour « L’industrialisation de la cuisine de marché » !!

Vous me direz que dans les deux cas on se retrouve à manger de la poule au riz et je vous l’accorde, mais comme disait le vieux sage (oui oui celui du doigt et de la lune) : « Ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage ».

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