3 freins à lever pour relocaliser les filières légumes

Avec la promulgation des lois EGalim, qui prévoient 50% de produits sous signes d’origine et de qualité (dont 20% de bio) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 et au moins un menu végétarien par semaine dans les cantines scolaires depuis 2019, la production et la consommation de légumes locaux sont devenus des sujets importants pour de nombreux acteurs.

La France est le 4e pays producteur de fruits et légumes en Europe derrière l’Espagne, l’Italie et le Portugal. La production s’élève à plus de 8 millions de tonnes en 2020 avec 6 millions de tonnes pour les légumes frais (Agreste). 

Malgré cette importance de la filière, l’approvisionnement français en fruits et légumes frais demeure marqué par les importations (48% de la consommation totale), qui prennent une importance croissante. La part de légumes français dans la consommation métropolitaine a baissé de 13 points de pourcentage en 15 ans (cf graphique ci-dessous) et la balance commerciale pour les légumes se dégrade, atteignant un déficit de 2 milliards d’euros en 2018.

Graphique

Par exemple, les 5 légumes composant la ratatouille (tomates, courgettes, poivrons, aubergines, oignons) sont massivement importés. Le déficit pour ces produits était de 650 millions d’euros en 2019 (cf graphique ci-dessous). Pour les tomates fraîches et transformées, le taux d’auto-approvisionnement français n’était que de 37,4 % en 2018. 

Graph
Source : Le chiffre du commerce extérieur, Site de la direction générale des Douanes et Droits indirects, nomenclature NC8, 2020

Relocaliser la filière légume de la production jusqu’à la consommation permettrait de réduire notre dépendance aux importations, mais présenterait aussi des bénéfices du point de vue : 

  1. De la rémunération des agriculteurs en réduisant leur exposition aux fluctuations des prix internationaux, et en favorisant le développement de filières de qualité non substituables à des filières d’import. Ces filières sont une condition importante pour la mise en place de  partenariats de long terme avec les acteurs de la restauration collective mais aussi de la grande distribution.
  2. De l’équilibre écosystémique des fermes par la diversification des productions en réintroduisant des variétés qui ont été supplantées par les importations. Cette diversification est un facteur clé de résilience économique des exploitations et de résilience alimentaire des territoires. 
  3. De la qualité de l’alimentation, en permettant de maximiser la part de produits frais et le maintien de leurs qualités nutritionnelles grâce à des filières locales bien structurées.

     

Relocaliser la production et la consommation de légumes  implique de lever 3 freins

  • Résoudre le dilemme du micro-maraîchage

Il existe aujourd’hui un fossé croissant entre les pratiques des exploitants maraîchers partant à la retraite, qui cultivaient des surfaces relativement importantes et mécanisées, spécialisées sur quelques variétés et alimentant les circuits de distribution “classiques” (GMS, grossistes, industrie),  et les néo-maraîchers qui s’inscrivent dans une production beaucoup plus diversifiée, moins mécanisée, sur des surfaces moins importantes, et qui privilégient la vente en circuit très court (AMAP, marchés) ou en direct à la ferme. 

L’initiative de la Ceinture verte, que FoodBiome soutient, illustre bien cette tendance : elle accompagne l’installation de maraîchers sur des surfaces de 2 hectares équipées en irrigation et serres couvertes, à proximité des agglomérations.

Cette production artisanale répond à une appétence d’une partie des consommateurs, mais peine à répondre aux attentes en termes de volume et de prix de la GMS et de la restauration collective. Le risque est alors de voir se développer deux systèmes parallèles. D’un côté le micro-maraîchage diversifié avec des schémas de vente directe, et de l’autre du maraîchage d’industrie importé pour les besoins de la GMS et des grossistes. Il est donc indispensable d’accompagner la reprise et/ou l’installation de nouveaux maraîchers sur des tailles suffisantes d’exploitation avec des schémas de production suffisamment industrialisés ; ou alors de mutualiser des assolements au sein d’un groupement de plusieurs petits maraîchers pour pouvoir fournir des produits à des volumes et prix cohérents. 

  • Faciliter l’accès aux producteurs à des capacitaires de transformation de proximité

La filière de transformation des fruits et légumes ne peut répondre qu’à 69% des besoins nationaux (Utopies, mars 2022). Cette insuffisance se reflète dans le déficit commercial des fruits et légumes transformés, qui s’élève à près de 1,5 milliard d’euros (FranceAgriMer, 2019). 

Par exemple, la France est le premier exportateur mondial de pommes de terre fraîches, mais importe cinq fois plus de chips qu’elle n’en exporte. Au total la France est en déficit de 322 millions d’euros pour les produits transformés à base de pommes de terre hors fécule (Haut commissariat au plan, 2021). 

Au delà de l’aspect stratégique de diminuer la dépendance aux importations de produits étrangers et de rapatrier  la valeur ajoutée sur le territoire, relocaliser la transformation est impératif pour pouvoir :

  1. Lutter contre les pertes et gaspillages en stockant 100% de la production agricole sous différentes formes (soupes, purées, surgelés, conserves, etc.) ; en effet, selon une étude réalisée par l’ADEME, environ 24% des légumes produits sont perdus ou gaspillés à une étape de la chaîne alimentaire ; le taux de perte à l’étape de production est d’environ 11%.
  2. Développer l’approvisionnement des produits locaux en restauration collective, car les cuisines de restauration collective n’ont pas la capacité à traiter des légumes bruts et terreux, et se tournent donc vers des légumes prêts-à-l’emploi (déjà lavés, épluchés, découpés soit en conserve, surgelés ou frais)

Les outils de transformation de légumes tels que les légumeries ou conserveries sont donc des maillons indispensables pour relier les producteurs locaux aux clients d’un territoire (restauration collective, hors domicile, particuliers…). Mais ils doivent être pensés à la bonne échelle et avoir des débouchés suffisamment diversifiés pour garantir leur pérennité et leur équilibre économique.  

A titre d’exemple, la conserverie locale de Metz transforme les denrées écartées de la production/distribution de fruits et légumes en conserves, propose des options de transformation à façon aux agriculteurs locaux souhaitant valoriser leurs surplus et offre des possibilités de location de matériel pour les producteurs souhaitant réaliser leurs propres produits. 

  • Convaincre les consommateurs d’acheter local

Pour que la production relocalisée trouve des débouchés en dehors de la seule restauration hors domicile, il est nécessaire d’amener les consommateurs à développer une préférence locale. Selon une enquête IFOP de juin 2021, 66 % des Français interrogés se disaient prêts à acheter davantage de produits locaux et de Made in France, quitte à les payer 10 % ou 15 % plus chers. Mais entre la déclaration d’intention et l’acte d’achat réel, il y a le portefeuille. Le produit local doit donc être capable de défendre son prix face au tout venant international. Nous identifions pour cela deux pistes d’innovation à explorer.

Piste #1 – Rendre les légumes simples à cuisiner et libérer la créativité culinaire

Le temps passé en cuisine diminue de plus en plus, ce qui pousse les consommateurs à rechercher des solutions repas qui simplifient la cuisine. Les légumes n’y font pas exception. Des unités de transformation locales pourraient par exemple développer des gammes locales, saines et respectueuses de la saisonnalité et des qualités gustatives des produits, qui accompagnent le geste culinaire à l’aide de légumes pré-découpés, épluchés et / ou pré-cuits (rôtis, braisés). 

Piste #2 – Singulariser l’origine locale des produits au delà de la simple photo de producteur sur le packaging

Les produits proposés dans ces gammes locales pourraient également raconter une histoire sur le terroir, et donner des informations sur la traçabilité du champ jusqu’au produit fini avec des informations telles que la date de semis et de récolte, la localisation de la transformation, les pratiques agricoles, ceci pour éveiller le consommateur et différencier les produits par rapport à d’autres en provenance d’Europe et du monde entier.

En conclusion, relocaliser la consommation de légumes en France ne pourra se faire sans l’existence de projets de filières complètes du champ jusqu’à l’assiette pensés à la bonne échelle. La transformation est un maillon particulièrement important à cet effet. Les Projets Alimentaires de Territoires (PAT) sont une première réponse apportée par les collectivités à cet enjeu de relocalisation. Cependant, la pérennité et l’équilibre économique des projets issus des PAT n’est pas toujours garantie. Chez FoodBiome, nous nous attelons à mettre autour de la table toutes les parties prenantes (agriculteurs, coopératives, associations, collectivités, startups, grande distribution) pour massifier les filières à l’échelle locale et permettre aux projets d’atteindre une taille critique en mesure de pérenniser leur activité.

 

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