Entretien avec Nicolas Ayrald, chef de projet du réseau Les Bergers
Bonjour Nicolas, pourrais-tu nous présenter le réseau Les Bergers et la genèse de ce projet ?
Le réseau Les Bergers est le premier réseau qui accompagne les agriculteurs dans la création et le développement de magasins directement implantés à la ferme, valorisant ainsi leur travail et leurs produits tout en (re)dynamisant les circuits (ultra-)courts. Notre mission principale est de démocratiser la vente à la ferme pour connecter les producteurs et les consommateurs autour de produits locaux et frais à prix juste, favorisant ainsi l’agriculture du territoire, l’alimentation durable et le soutien de l’économie locale.
Cette idée est née en 2021 lorsque Christel Jaffres – fondatrice du réseau Les Bergers et ancienne Directrice Générale de Bureau Vallée pendant 15 ans – a souhaité lancer un projet en lien avec le monde agricole. Pour cela, elle est partie sur le terrain visiter 500 fermes, toutes filières et pratiques confondues, et est revenue avec un constat : plusieurs producteurs locaux commençaient à commercialiser en vente directe leurs produits avec plus ou moins de mal.
A partir de ces rencontres, un premier groupe d’agriculteurs, engagés dans les circuits-courts, s’est formé et a aidé Christel à définir les enjeux pour le réseau Les Bergers. Aujourd’hui, 3 salariés travaillent dans le réseau et 6 magasins sont accompagnés dans leur développement : 5 étaient déjà existants et 1 a été ouvert. Derrière ces commerces, une diversité d’agriculteurs avec des pratiques raisonnées ou en agriculture biologique (AB) :
- 3 maraîchers : La Ferme de Basile à Fosses (95), Les Plaisirs du Jardin à Cergy (95), Le Clos du Verdelot (77).
- 1 arboriculteur en pommes : Vergers de la Grande Monnerie à Botz-en-Mauge (49).
- 1 producteur de fromage de chèvre : Fromages de Chèvre de Moret à Tancrou (77).
- 1 producteur de fromage de vache : La Ferme Sainte Colombe à Saint-Mars-Vieux-Maisons (77).
Selon toi, quelles sont les principales motivations qui poussent les producteurs à vous rejoindre ? Est-ce qu’il y a des pré-requis pour l’adhésion au réseau ?
Loin d’une franchise classique ou d’un groupement de producteurs, le réseau Les Bergers rassemble des magasins partenaires et propose un accompagnement structuré aux agriculteurs souhaitant développer ou optimiser leur point de vente à la ferme. Avant de nous rejoindre, la majorité des producteurs commercialisent leurs produits via différents canaux de vente (ex. marchés hebdomadaires, AMAPs ou en grandes et moyennes surfaces). En entrant dans le réseau, ils ont pour principale motivation de rationaliser ces canaux, de renforcer la maîtrise de leur business et ainsi augmenter leur productivité. Par ailleurs, nous portons une attention particulière à ce que la personne ait des valeurs qui résonnent avec les nôtres avec une réelle envie de progresser et d’être accompagnée.
Nous n’avons pas une liste de critères précis pour l’adhésion mais nous portons plutôt une attention particulière sur la viabilité du modèle que souhaite développer l’agriculteur. Pour que le magasin soit rentable, le producteur doit soit avoir un magasin à la ferme déjà en activité ou avoir accès à un bâti sur sa ferme qui permettrait de développer cette activité (env. 100 m², avec peu ou pas de loyer à charge). En général, l’investissement moyen pour ouvrir un magasin à la ferme est de 30 000€ si tu possèdes déjà le bâti. Il faut compter une charge horaire de 20h à 25h par semaine par magasin, qui peut être répartie entre les propriétaires du magasin et d’éventuels salariés. Les horaires doivent être ajustés et convenir aux habitudes d’achats des clients. Également, le magasin doit avoir une large gamme de produits disponibles à la vente. Le réseau Les Bergers aide notamment aux référencement des producteurs locaux pour compléter les gammes du magasin.
La structure commerciale nécessite donc une certaine taille critique pour assurer la pérennité et la rentabilité du magasin avec un chiffre d’affaires de 300 000€ en moyenne par an. Par conséquent, les producteurs qui nous rejoignent sont souvent des personnes avec une exploitation agricole assez solide, qui souhaitent la renforcer au travers d’une activité commerciale.
En tant que producteur, comment adhérer au réseau ? Et concrètement, quel est l’accompagnement fourni ?
Pour adhérer au réseau Les Bergers, le producteur doit s’acquitter d’un droit d’entrée de 9 000€ et d’une redevance calculée selon son chiffre d’affaires (2% du chiffre d’affaires global et 2,5% sur la croissance). Ce montant comprend, tout d’abord, un bilan des activités mises en place dans la structure (étude de la zone de chalandise, calcul des marges, définition des gammes, mode d’exploitation du magasin, qualité des produits, stratégie de communication, santé financière, écriture des actions et définition d’un objectif commun), puis la définition et la mise en place d’un plan d’action avec des points hebdomadaires. Le producteur a également accès à un pack d’inauguration (événement réalisé lors de l’ouverture du magasin) et à tous les outils du réseau Les Bergers (communication, signalétique, promotions, centrale de référencement, liste de fournisseurs, etc.). Toutes ces ressources et expertises permettent d’apporter une dynamique dans la construction du magasin à la ferme et constituent un réel gain de temps et d’énergie pour le producteur. La mise en réseau permet de créer du lien entre les personnes. Nous organisons deux séminaires par an pour renforcer les relations entre adhérents. Il y a un groupe WhatsApp pour qu’ils puissent échanger sur leurs difficultés, et nous proposons régulièrement des formations sur des thématiques précises ou des visites terrain.
Toutefois, malgré la qualité de notre offre d’accompagnement et de suivi, nous sommes conscients que le prix de la redevance et du droit d’entrée constituent un frein à l’arrivée de nouveaux producteurs qui souhaiteraient rejoindre le réseau Les Bergers. C’est pour cela que le bouche-à-oreille est très important pour se faire connaître dans le milieu agricole. Les producteurs comprennent mieux notre fonctionnement en voyant les résultats du voisin, ce qui leur permet parfois de se lancer dans l’aventure.
Un autre frein que l’on remarque aussi est le manque de disponibilité des producteurs pour l’organisation et le développement d’un magasin, c’est un métier à part entière !
Après avoir ouvert 6 magasins qui fonctionnent très bien aujourd’hui … Pourrais-tu nous énoncer les conditions de succès de ce modèle de vente à la ferme ?
Il est nécessaire de garder en tête que c’est tout un métier de gérer un magasin et d’accueillir des clients. Le réseau permet donc la transmission de connaissances et compétences commerciales aux producteurs. Finalement, nous pouvons résumer les conditions de réussite pour la pérennité de son magasin à la ferme par :
- Bien tenir son magasin, selon la règle des 3P : Propre, Plein, Prix.
- Avoir une large gamme de produits, notamment des produits frais qui constituent 80% du business, ce qui permet aux consommateurs de s’approvisionner entièrement dans le magasin.
- Savoir communiquer sur son offre.
- Avoir un sens du contact client.
Que pouvons-nous souhaiter à l’équipe du réseau Les Bergers pour la suite ?
Nous voulons continuer à développer le réseau en ayant des magasins de plus en plus performants. À terme, notre objectif est de démocratiser la vente à ferme et d’aller chercher la rentabilité économique d’ici 2 à 3 ans, ce qui revient à une densité de 15 magasins.
Sur le sujet de la logistique, si les producteurs sont dans la même zone, ils peuvent faire des ventes entre eux ou alors les fournisseurs font des tournées pour récupérer les produits. Dans les mois à venir, un de nos principaux projets est de continuer le développement d’une centrale de référencement, en profitant de la densité logistique (nombre de points de vente) déjà existante et en étoffant le nombre de fournisseurs (s’élevant à 5 à date). Ce projet aurait pour vocation de livrer les différents magasins avec de belles gammes de produits (ex. clémentine de Corse) et d’écouler les volumes de marchandises des producteurs. Parallèlement, nous essayons aussi de créer des partenariats avec des ateliers de transformation pour distribuer les productions. Toutefois, ces sujets restent encore à la marge aujourd’hui … Mais en attendant, nous faisons de la pédagogie autour du fonctionnement de ces systèmes, typiques du commerce, auxquels les producteurs ne sont pas habitués.
💡 L’avis de FoodBiome ?
Le réseau Les Bergers permet aux agriculteurs d’avoir des clés commerciales et de les accompagner dans le développement de leur magasin à la ferme. Ce type de modèle valorise l’agriculture de territoire en mettant en avant les producteurs et leurs marchandises au contact direct des consommateurs. En vendant eux-mêmes leurs produits, les exploitants agricoles reprennent la main sur leurs revenus et renforcent leur autonomie en étant au centre des décisions stratégiques et organisationnelles de leur commerce. Ainsi, la redynamisation des circuits de proximité comme soutien à l’économie locale au travers de l’alimentation durable répond aux enjeux de relocalisation des chaînes alimentaires, la mission principale de FoodBiome.
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