Entretien avec Philippe Breuil, Directeur du développement chez Coco Locaux
Bonjour Philippe, pour commencer est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours professionnel et nous raconter comment il t’a mené vers l’aventure Coco Locaux ?
Oui, je vais essayer d’être synthétique ! J’ai fait des études de commerce avec une spécialisation en entrepreneuriat à Grenoble, en passant par Vancouver et Berlin. Au cours de ma formation, j’ai eu des expériences professionnelles et mené des projets autour de l’incubation de startups et le développement de programmes d’innovation. J’ai eu la chance de côtoyer des secteurs divers (Bancaire, Administration, BTP, Design…), ce qui m’a donné ensuite l’envie et les compétences de me lancer en freelance dans l’accompagnement d’entrepreneurs, qui travaillaient sur des sujets variés. A la sortie de mes études, j’avais l’opportunité de travaillé en investissement startup (Venture Capital) à Berlin mais c’est là que j’ai rencontré Stéphane Lagarde, mon associé actuel, m’a proposé de développer ce qui est aujourd’hui l’ancêtre de Coco Locaux, qui s’appelait à l’époque BIO-CHRONO.
L’idée de BIO-CHRONO, c’était de répliquer le modèle de micro logistique des entreprises de livraisons de courses à domicile en 15 min —qui se multipliaient et levaient facilement des fonds à ce moment-là—, mais avec une offre engagée (bio, équitable, antigaspi,…) et une autre proposition de valeur sur le service. À l’époque, Stéphane était déjà un entrepreneur accompli et connaissait très bien le réseau bio. Il gère entre autres, encore aujourd’hui, la fabrication, l’import et la distribution de marques de produits bio et équitables comme du gingembre confit, des tisanes, du charbon de bambou pour filtrer l’eau. Nous n’avons pas fait de levée de fonds, nous voulions construire un projet sur la base d’un modèle économique rationnel en termes de coûts. Après 6 mois de ce premier projet, nous avons arrêté pour pivoter vers ce qui est actuellement Coco Locaux.
Pourquoi avez-vous arrêté Biochrono à ce moment-là ?
Pour plusieurs raisons. À ce moment-là, personne ne livrait de produits bio frais à des particuliers, le jour-même de la commande. Les acteurs du e-commerce bio comme La Fourche ne comptaient pas encore de produits frais dans leur offre, et les acteurs plus traditionnels du bio comme Naturalia, Biocoop ou Bio C’Bon, ne faisaient pas de livraison. Donc il y avait une place à prendre. Mais c’est aussi à ce moment-là, il y a 3 ans, que le bio s’effondre, notamment à cause de l’inflation due entre autres à la guerre en Ukraine et aux difficultés économiques post-Covid. Bien que notre modèle soit basé sur des coûts rationnels, nous étions obligés de faire de la publicité en ligne parce qu’on était une plateforme, pas un magasin physique, visible par nature. Or, cela coûte cher. Dans ce contexte peu favorable, nous avons raisonnablement préféré faire marche arrière.
Pour autant, nous sommes restés engagés dans la réflexion sur l’acheminement des produits locaux vers les consommateurs. BIOCHRONO nous a permis d’observer que le local et l’anti-gaspi étaient les catégories qui intéressaient le plus les consommateurs. Nous nous sommes aussi rendu compte, que là où sur une offre classique permet de se fournir auprès d’un ou deux acteurs pour un nombre donné de références, le segment local nécessitait de passer par une cinquantaine de fournisseurs. Commander des produits locaux demande beaucoup plus d’efforts aux distributeurs qui doivent engager de nombreuses commandes, tout en respectant le minimum de commande auprès de chaque fournisseur. Nos impressions ont été confirmées par la majorité des magasins spécialisés interrogés : le local, logistiquement, c’est complexe. Le blocage existe aussi côté producteurs. En discutant avec eux, on a appris qu’ils étaient nombreux à ne pas livrer à Paris, voire en Île-de-France, parce que c’est compliqué à gérer logistiquement.
Sur ce constat nous avons décidé de lancer une activité en B2B, nécessitant des efforts commerciaux moins coûteux et moins risqués en un sens, puisqu’on ne fait pas, comme pour une plateforme numérique en B2C, des interprétations incertaines d’analyses de données, mais on appelle des gens, avec qui on discute directement. En plus, nous connaissions déjà bien les producteurs, ce qui facilite les premiers efforts de prospection. C’est ainsi que nous avons lancé Coco Locaux.
Coco Locaux c’est quoi ?
Coco locaux part donc du constat de la difficulté à réunir deux mondes : les producteurs, et les magasins. D’un côté les producteurs ont besoin de vendre une quantité minimum à chaque client pour rentabiliser la logistique de chaque commande. En face, les magasins, eux, ont besoin de flexibilité : ils souhaitent pouvoir décider de ne pas commander en gros volumes au risque de ne pas tout vendre et de ne pas avoir l’espace de stocker, et ce, d’autant plus que les conditions économiques ne sont pas optimales et donc la situation pas propice à la prise de risques.
Pour répondre à cette problématique il existe déjà 3 types d’acteurs majeurs (pas les seuls mais les plus importants) : les grossistes, les centrales d’achat et les coopératives. Les grossistes et centrales d’achat, qui gèrent la majorité des flux, prennent le risque à la place des magasins, et font payer ce risque plus ou moins aux producteurs auxquels ils achètent la marchandise et aux distributeurs auxquels ils vendent cette marchandise. Or sur le segment bio, ils ont moins envie de prendre ce risque, et quand ils le prennent, ils ont tendance à le valoriser à un prix que les producteurs ne sont pas capables de supporter. Les enseignes spécialisées quant à elles, ont souvent leur propre centrale d’achat et donc rencontrent la même problématique que les grossistes : rentabiliser la place en entrepôt avec des rotations élevées qui sont difficiles à atteindre pour la plupart des petits producteurs locaux.
En parallèle, on a vu se développer —pas forcément dans le secteur agroalimentaire—, des marketplaces qui n’achètent pas la marchandise, mais donnent de la visibilité aux producteurs, grâce à un outil numérique, et permettent la transaction. Ces solutions-là sont intéressantes, en revanche elles prennent rarement en charge la logistique et donc n’apportent pas de réponse à la problématique du minimum de commande.
Face à tous ces constats, notre idée a été de monter une alternative fonctionnant comme une marketplace en direct producteur mais avec un service logistique dont la qualité égale celle d’un grossiste. Concrètement, les producteurs approvisionnent un entrepôt de marchandises en stock déporté (ie. le fournisseur reste propriétaire de sa marchandise), et de l’autre côté, nous présentons un catalogue de l’offre mutualisée de tous ces producteurs aux magasins. Ces derniers bénéficient alors d’un minimum de commande mutualisé entre producteurs donc plus flexible par rapport à leurs capacités de vente et stockage. Coco Locaux est capable de proposer un minimum de commande de 350€ réparti sur une trentaine de producteurs plutôt que 300€ sur un seul fournisseur. Les magasins nous passent commandes et nous pilotons avec nos prestataires les opérations couvrant la préparation des commandes, le conditionnement, la livraison, jusqu’à l’émission de la facture au nom du producteur.
Nos frais aux producteurs correspondent aux coûts logistiques, et non pas à une marge commerciale que pourrait prendre un grossiste. Ce qui nous permet d’être alignés sur les prix du direct.
Comment sont définies les quantités livrées par les producteurs, et comment gérez-vous les invendus s’il y en a ? Comment vous rémunérez-vous ?
Coco Locaux communique l’état des stocks aux producteurs, et leur soumet une proposition d’approvisionnement, calculée sur les flux et les ventes. Les producteurs sont libres de suivre ou non cette indication. Cette méthode fonctionne pour les produits d’épicerie qui ont des dates de péremption longues, et donc stockables. Dans le cas du frais et des DLC plus courtes, nous fonctionnons avec un modèle alloti. Coco Locaux collecte les commandes fermes de chaque magasin et les transmet de manière agrégée aux producteurs qui doivent ensuite livrer l’ensemble à l’entrepôt dès le lendemain. La marchandise est ensuite éclatée et réintégrée aux commandes de produits d’épicerie stockés. De cette façon, les pertes sont évitées car la marchandise livrée est déjà commandée en flux tendu.
Concernant notre modèle économique, nous facturons aux producteurs les services rendus : le transport et stockage de leurs produits, et la gestion de commandes.
D’après ce que je comprends, vos clients sont surtout des magasins spécialisés. Est-ce que vous fournissez aussi d’autres types de distributeurs ? Et à quels types de produits s’étend votre offre ?
L’offre et les producteurs disponibles sur notre service sont surtout conditionnés par la typologie de magasins distributeurs auxquels nous livrons. Présents depuis plus de 20 ans sur le réseau spécialisé via nos autres activités historiques (fournisseur), nous nous somme naturellement engagés sur ce même segment, par priorisation du besoin et engagement même si nous travaillons également avec des épiceries indépendantes ou des épiceries alternatives de proximité comme Miyam, voire des supermarchés coopératifs comme La Louve qui ne se cantonnent pas au bio.
Au début, on travaillait aussi beaucoup avec des restaurants et des hôtels, parce que notre offre était essentiellement composée de fruits et légumes frais. Mais c’est une offre qu’on a assez vite mise en pause par manque de rentabilité, car le frais nécessite d’opérer volumes conséquents, autrement le transport de marchandises coûte plus cher que les produits eux-mêmes. Aujourd’hui nous avons un catalogue 100% épicerie, mais redévelopper une offre de frais est un de nos objectifs en cours d’étude pour 2026.
Et la restauration collective ?
Nous aimerions bien travailler avec la restauration collective. J’ai commencé à explorer le sujet, en rencontrant des acteurs de ce secteur lors d’événements dédiés. Mais c’est un sujet qui demande de déployer beaucoup d’efforts, et ce n’est pas la priorité pour le moment pour notre petite équipe. D’autant plus que s’adresser à un nouveau type d’acteurs, ça demande de structurer un nouveau type d’offre, donc aussi très concrètement, d’ajouter des emplacements dédiés à cette offre à l’entrepôts, alors que développer la clientèle de notre offre actuelle suppose moins de coûts supplémentaires.
Affaire à suivre donc … Changeons de sujet, je voulais t’interroger sur votre définition du mot “local”. C’est quoi le local chez Coco Locaux ? Quel périmètre géographique ? Comment vous l’avez défini ? Et quelles conséquences ça a sur la diversité de l’offre ?
Nous considérons que ce n’est pas à nous de définir ce qui est local ou ce qui ne l’est pas. Notre rôle, c’est plutôt d’être transparent vis-à-vis de nos clients qui décident chacun de ce qu’ils considèrent comme local ou pas. Donc dans notre catalogue, on trouve le contact de chaque producteur, sa localisation et la distance par rapport à Paris.
Quels retours vous font les producteurs et les distributeurs qui utilisent Coco Locaux ? Qu’est-ce que ça a changé pour eux dans leur façon de travailler ? Est-ce que vous apportez de nouveaux débouchés aux producteurs par exemple ?
Depuis que nous avons commencé, nous n’avons perdu aucun magasin utilisateur du service, si ce n’est des points de ventes qui ont malheureusement fermé, donc ça veut dire que tout le monde est plutôt satisfait ! Sur l’apport de débouchés, c’est inégal selon les producteurs, parce qu’il y a naturellement des produits qu’on place un peu partout, d’autres qui sont plus adaptés à des distributeurs particuliers. Mais nous n’avons jamais sorti un producteur du catalogue.
Le point sur lequel Coco Locaux les soulage vraiment, c’est celui de la logistique : notre système est fluide et fiable. Beaucoup de producteurs nous rejoignent quand ils arrivent à un stade de développement auquel gérer les livraisons peut parfois mobiliser plusieurs jours par semaine. Donc c’est certain qu’on les décharge d’un poids conséquent au regard de leur cœur de métier qui est avant tout la production !
En parallèle, on suit les tendances de la demande, et on aiguille les producteurs : on les conseille sur le type de distributeurs vers lesquels pousser leur offre. Par exemple, il est parfois risqué de vouloir être référencé en grande distribution et dans des enseignes spécialisées en même temps. Pourquoi ? parce que les volumes distribués par les grandes enseignes leur permettent de vendre à des prix plus compétitifs que ce que peuvent se permettre les magasins spécialisés, donc il arrive que ces derniers refusent d’acheter à des producteurs qui ne distribuent pas exclusivement via ce segment-là. C’est comme ça que notre champ d’action s’étend parfois au-delà du rôle de logisticiens, on est aussi présent pour conseiller les producteurs dans leur stratégie commerciale, le développement de nouveaux produits par exemple, on les fait bénéficier de la vision plus globale qu’on a du marché grâce à la place qu’on occupe au sein de cet écosystème.
Quels sont les grands challenges au développement de votre activité ? et les petits tracas récurrents du quotidien ?
Notre activité reste conditionnée par les prises de commandes des enseignes, et donc de leur réactivité. Au début d’un partenariat, il faut parfois du temps et un certain nombre de relances avant de voir concrètement notre offre intégrée à celle du magasin. C’est pour cela qu’on priorise le lancement de collaborations avec de nouvelles enseignes qui ont plusieurs points de vente, pour acquérir plus de débouchés avec un même effort commercial. Côté producteurs, c’est plus facile, c’est le plus souvent eux qui viennent nous voir grâce au bouche-à-oreille, ou parce qu’un distributeur qu’ils ont démarché leur a indiqué de passer par nous pour être dans leurs rayons.
Un autre défi du quotidien concerne l’aide à la professionnalisation logistique des producteurs. Ils sont à des niveaux très variables sur ce plan. Certains sont habitués à livrer à des centrales et ont déjà des code-barres sur leurs colis, sont capables d’envoyer des palettes, alors que d’autres n’ont même pas de code-barres sur leurs produits, ce qui est difficile à accepter pour un magasin. Dans ces cas, il y a un besoin d’accompagnement supplémentaire qui peut supposer plus d’échanges, de relances et donc des circuits un peu moins fluides. Mais ça fait aussi partie de notre mission, parce que notre but est de lever tous les freins logistiques à la vente directe, pour permettre aux producteurs, s’ils le souhaitent de vendre des plus gros volumes qui leur permettent de rejoindre à termes, des centrales d’achat.
L’avis de FoodBiome
Le développement des circuits alimentaires de proximité ne pourra pas se faire sans la construction d’outils qui résolvent les freins actuels à ce développement. Parmi ces freins, le manque de solutions logistiques mutualisées qui permettent à des acteurs locaux de petites tailles, de commercialiser leurs produits plus facilement, à un coût supportable. C’est à cette problématique que répond Coco Locaux, qui permet aux petits producteurs de distribuer en Île-de-France, et aux distributeurs franciliens d’étoffer leur offre de produits locaux.
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