Entretien avec Véronique Usdin, bénévole au sein du supermarché coopératif La Louve
Bonjour Véronique, peux-tu nous présenter ce qu’est la Louve ?
Avec plaisir ! La Louve, c’est le premier supermarché coopératif et participatif à but non lucratif, développé à Paris dans le 18ème arrondissement, qui a pour objectif de proposer des produits de qualité et respectueux de l’environnement, à des prix raisonnables. Le magasin est entièrement géré par ses coopérateurs, qui doivent mettre la main à la pâte pour obtenir le droit de faire leurs courses, en contribuant bénévolement à son fonctionnement à hauteur de 3 heures toutes les 4 semaines.
Tout le succès de la démarche repose sur l’implication de nos membres, qui sont aujourd’hui plus de 9 500, dont 3 600 actifs au quotidien.
Comment vous est venue l’idée de développer ce type de magasin ?
Le concept est un copié/collé du modèle de Park Slope Food Coop, le tout premier supermarché coopératif développé dans le quartier de Brooklyn à New York. C’est un concept qui a fait ses preuves, fonctionne depuis 1973 et comprend 17 000 membres, à la fois clients et travailleurs bénévoles. Deux Américains vivant à Paris ont voulu reproduire ce modèle, et ont créé en 2011 l’Association Les Amis de la Louve, en vue de structurer le groupe de bénévoles à l’initiative du futur magasin, qui a ouvert ses portes en 2016. C’est un projet qui a beaucoup été soutenu par la ville de Paris et la mairie du 18ème, ce qui a notamment permis de faciliter l’accès au local de 1 450 m2 que nous occupons aujourd’hui, en lien avec Paris Habitat, un bailleur social.
Quelle est l’origine du nom de La Louve ?
Tom Boothe, le co-fondateur, l’explique ainsi : « À l’époque où on cherchait un nom, je venais d’apprendre ce mot en français, beaucoup plus agréable à dire qu’en anglais : she-wolf. La Louve, ça nous a plu car on ne tombait pas dans la catégorie “mignon”, comme loutre ou hérisson. Et, surtout, la création des coopératives de consommateurs vient de l’envie de se protéger. Une louve est nourricière, mais elle peut aussi protéger vicieusement si besoin. Pour nous, ça montrait un sérieux qui correspondait à notre désir de ne pas créer un complément de ce qui existe actuellement, mais de remplacer, à terme, les supermarchés classiques, dont l’objectif est la recherche de profit. »
Peux-tu nous parler des valeurs et principes structurants qui régissent le fonctionnement de la Louve ?
Tout d’abord il y a l’envie commune de réinventer le modèle de la consommation alimentaire, et de rendre accessible tous les produits de qualité.
Par qualité on entend qualité nutritionnelle, gustative et environnementale : on essaie de maximiser les approvisionnements en circuits courts auprès de producteurs locaux (exemple : Laiterie la Chapelle, Brasserie de l’Être…) ou grossistes engagés dans des démarches durables (exemple : Gratiot, Dynamis) de sorte à ce qu’il y ait au maximum 2 intermédiaires d’un bout à l’autre de la chaîne. De plus, on s’engage à l’accessibilité des produits en termes de prix. Nous sommes fiers de proposer des paniers moyens qui sont 20 à 40 % moins chers qu’en grande distribution. Ces prix s’expliquent par deux raisons principales : le fonctionnement en coopérative réduit drastiquement les coûts de la masse salariale car la main d’œuvre est bénévole, et la marge appliquée sur les produits est fixe (22% pour tous les produits peu importe leur nature, ce qui diffère des modèles de supermarchés classiques qui pratiquent des marges variables) et suffit à couvrir les besoins de fonctionnement de la coopérative.
Pour avoir accès à tous ces bons produits, chaque coopérateur doit être copropriétaire du capital et contribuer au fonctionnement de La Louve :
- D’un point de vue financier : lors de sa souscription, il contribue au capital à hauteur de 100 €, l’équivalent de 10 parts de 10€ (une seule part est demandée pour les bénéficiaires des minima sociaux). Lorsqu’il quitte la coopérative, il peut récupérer cet apport.
- En faisant ses services : il est demandé aux bénévoles de contribuer au fonctionnement du magasin à hauteur de 3 h toutes les 4 semaines (soit 13 services par an), en tournant sur différents postes : découpe de fromage, gestion de la caisse, réapprovisionnement des rayons, ménage, accueil… Tout le monde s’y met pour garantir un fonctionnement 6 jours par semaine, du mardi au dimanche.
Enfin, on a à cœur de proposer une très grande diversité de produits, de sorte à se positionner comme supermarché référent pour nos coopérateurs, qui n’ont pas à compléter leurs achats dans une autre structure. On travaille avec une cinquantaine de fournisseurs, qui permettent de proposer plus de 7 300 références : fruits et légumes, épicerie, boucherie, fromagerie et charcuterie artisanale ; mais aussi boissons (on est assez fiers de nos caves à vin et à bière par exemple !), produits d’hygiène et d’entretien, fleurs… tout le monde est sûr de s’y retrouver. Les marques nationales comme ultra-locales se côtoient, pour laisser le choix à chacun de faire ses achats en fonction de ses besoins et de ses moyens. La gamme se fait avec les coopérateurs, qui ont à leur disposition un cahier de suggestions pour proposer des produits qu’ils souhaiteraient voir en magasin. On les commande en petites quantités, et s’ils fonctionnent bien on les référence de façon permanente.
Tu parlais de l’importance de l’implication des bénévoles dans la démarche, peux-tu nous en dire plus sur le fonctionnement de cette coopération ?
Aujourd’hui on compte 11 000 coopérateurs, dont “seulement” 3 600 actifs, c’est-à-dire contribuant au quotidien à faire tourner le magasin. Chacun est copropriétaire du capital de la Louve via ses titres, et peut participer à la gouvernance du projet lors des Assemblées Générales (organisées 4 fois par an), durant lesquelles la plupart des décisions sont prises de manière collective (un coopérateur = une voix). Par exemple, on a récemment voté en faveur de l’extension du droit au minima social pour tous les étudiants boursiers, tous échelons confondus, en revanche, la proposition que tout coopérateur de plus de 70 ans soit exempté de ses services a été refusée.
Les coopérateurs actifs sont ceux qui réalisent leurs services au quotidien, et ont droit d’avoir un accès illimité au magasin pour effectuer leurs achats. Ce qui leur est demandé en retour c’est d’être bénévole pendant 3 h toutes les 4 semaines, pour contribuer au fonctionnement du magasin. En parallèle de tout ça, on s’appuie sur une équipe de 13 salariés permanents, qui garantissent le bon fonctionnement de cette organisation et sont présents au quotidien pour passer les commandes et s’occuper de l’organisation globale du magasin.
Ce qu’on trouve génial dans cette approche collaborative, c’est que La Louve devient un vrai lieu de reconnexion à l’alimentation et à nos pairs. Cela incarne cette idée de bien commun que chaque membre a à cœur de développer. Demain, la personne qui vous reçoit en caisse, ça peut être vous, et cela réinterroge le rapport que l’on peut avoir avec des employés habituels de grandes et moyennes surfaces. Le fait de comprendre et de contribuer au fonctionnement d’un magasin permet aussi de prendre conscience de tout ce qu’il y a derrière les filières alimentaires. On sait d’où viennent les produits car on les réceptionne, on conscientise le travail des artisans bouchers et fromagers car on y prend part, et on réalise l’origine et le devenir du prix que l’on paye pour nos aliments.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
On est hyper fiers du développement et de la structuration des activités de la Louve depuis ces dernières années. Le magasin a ouvert en 2016 et a atteint l’équilibre financier dès 2018 (43 M d’euros de CA réalisé depuis 2016). Le covid a été une période vraiment compliquée mais qui nous a permis de nous réinventer et de constater la robustesse du modèle, qui compte aujourd’hui de plus en plus de membres et inspire d’autres territoires. Nous sommes et resterons indépendants, et ne souhaitons pas forcément reproduire une Louve ailleurs dans Paris, en revanche on voit le modèle essaimer et on l’accompagne dès que possible et si nécessaire, avec des exemples comme La Cagette à Montpellier, Supercoop à Bordeaux, La Chouette Coop à Toulouse, SuperQuinquin à Lille ou encore Scopéli à Nantes. Demain, on espère fédérer encore plus de membres et notamment développer une clientèle de quartier, enrichir nos gammes de sorte à toucher un maximum de personnes, et continuer de démontrer la force des organisations collectives, au service d’une alimentation plus durable.
L’avis de FoodBiome :
Faire ses courses est devenu un acte si anodin qu’on en oublie parfois les humains et les filières sur lesquelles cela repose. La Louve ré-interroge notre rapport à la distribution alimentaire au travers d’une démarche coopérative exemplaire et permet l’accès à tous à des produits sains et éthiques, démontrant ainsi qu’un autre supermarché est possible.
Un modèle tout à fait pertinent qui reconnecte les consommateurs aux produits et aux hommes qui font leur territoire, et illustre parfaitement la force que peuvent avoir les organisations collaboratives.
En savoir plus sur La Louve, découvrez leur site internet.