Comment redynamiser les carreaux de producteurs ? Retour du MIN de Toulouse

Alors que tous les territoires soutiennent le développement de circuits-courts et les filières locales, les Marchés d’Intérêt National, infrastructures de service public créées à la fin des années 50, sont confrontés à la réinvention de leur modèle. 

Historiquement, leur objectif était d’organiser et de simplifier les circuits de distribution afin de sécuriser l’approvisionnement des villes en produits alimentaires, en faisant se rencontrer l’offre et la demande dans un cadre organisé. La dimension logistique de ces infrastructures s’est donc vite imposée. 

Parmi les fonctions à repenser, celle du Carreau des producteurs est particulièrement challengée depuis quelques années. Cet espace de vente directe entre producteurs et acheteurs connaît un déclin général marqué par une baisse du nombre des producteurs vendeurs, des volumes des ventes, du nombre de restaurateurs et de commerçants indépendants, et une défiance quant à la qualité des produits et la gestion de ces espaces. 

Face à ce constat partagé, une tentative de redynamisation en cours sur le Carreau de Toulouse a suscité notre intérêt. Nous avons voulu comprendre comment le MIN de Toulouse tentait d’inverser la tendance en interrogeant sa directrice Maguelone Pontier.

Carreau de producteurs
Carreau de Toulouse (source : ©Min_toulouseoccitanie)

Ce même carreau fait 10000 m2 et accueille le mardi les pépiniériste et le vendredi les horticulteurs locaux (pour 76 professionnels). 

Quels sont les constats que vous faites sur l’évolution des Carreaux de Producteurs ?

Depuis environ 15 ans, on constate une tendance générale de perte de vitesse des Carreaux des Producteurs sur une majorité de MIN en France. 

Si ce déclin est en partie expliqué par l’évolution des pratiques de consommation et la diminution du nombre d’agriculteurs en France, il existe clairement une insatisfaction grandissante des utilisateurs des Carreaux (producteurs comme acheteurs). 

A Toulouse, le Carreau des producteurs est un atout extraordinaire pour l’attractivité de notre MIN. Alors pour préserver notre Carreau d’une telle évolution, nous avons décidé de nous attaquer à ces problématiques et d’adapter notre modèle.  

Quels ont été les leviers d’action du MIN de Toulouse pour redynamiser le Carreau des Producteurs ?

Le premier sujet est celui du recrutement des producteurs. Nous avons mis en place plusieurs actions pour recruter et fidéliser de nouveaux producteurs :

  • La location d’un emplacement sur le Carreau est gratuite (hors charges) la première année d’adhésion pour les jeunes agriculteurs (de moins de 40 ans) et les producteurs en agriculture biologique ;
  • Nous avons signé une convention avec la ville de Blagnac, qui mène une opération de remembrement d’une zone de 150 ha (Zone des quinze Sols – classée agricole protégée), pour que les producteurs installés sur cette collectivité aient des débouchés assurés via le MIN de Toulouse et bénéficient aussi d’une première année gratuite (hors charges) ;
  • Nous avons aussi mené de nombreuses actions de communication et de coopération pour renforcer la visibilité et l’attractivité de nos offres et convaincre les agriculteurs de faire du Carreau leur QG. Par exemple, nous participons aux parcours d’installation de la Chambre d’Agriculture, j’organise personnellement des visites du Carreau pour les producteurs, l’organisation d’événements dédiés, des efforts de mailing et de communication dans la presse agricole départementale.
  • Enfin, nous travaillons avec les coopératives agricoles pour inciter leurs implantations sur le Marché (Blason D’or et Cabso Ferm’en bio) et élargir la gamme de produits disponibles sur le MIN.   

 

Plaine maraichère
Plaine maraîchère des Quinze Sols, commune de Blagnac. ©Mairie Blagnac

Pour fidéliser les producteurs et nous adapter à leurs contraintes, nous avons adapté les modalités de location : les producteurs sont autorisés à sous-louer leur emplacement à condition qu’il y ait un nom unique pour le contrat. 

En parallèle, on offre la possibilité de s’associer au sein d’un groupement et de s’installer à l’extérieur du carreau : on regroupe à date une offre de 200 producteurs au delà des fruits et légumes (produits laitiers). 

Quelles actions menez-vous pour garantir l’origine et la qualité des produits vendus sur le Carreau ?

Le deuxième point crucial après le recrutement, c’est la qualité de l’offre du Carreau, c’est ce qui fait la satisfaction des acheteurs et donc la fidélisation des producteurs. 

Nous appliquons d’une part un contrôle extrêmement rigoureux des vendeurs et de l’origine des produits vendus (Occitanie et Nouvelle Aquitaine exclusivement). Nous avons d’ailleurs déjà exclu des vendeurs qui n’étaient pas des producteurs mais des grossistes. 

D’autre part, la qualité de notre offre repose sur la diversification des gammes de produits proposés sur le carreau ou à proximité directe. Nous avons fait le choix d’accepter les contraintes de froid, de logistique et d’hygiène pour offrir d’autres produits que des fruits et légumes (produits laitiers). Enfin, nous avons également plusieurs fermes urbaines sur le MIN où poussent des endives, des champignons, des fleurs comestibles, etc. C’est une source d’approvisionnement complémentaire qui plaît notamment aux restaurateurs. 

Et enfin, pour garantir de nouveaux débouchés aux producteurs, nous avons investi dans plusieurs canaux de valorisation à proximité directe du Carreau : nous avons 4 000 m2 d’ateliers de découpe de viande et de transformation sur le MIN.

Ferme aéroponique
Les restaurateurs du MIN de Toulouse se fournissent à la ferme aéroponique (© Les fermes Ionaka)

Le Carreau de Toulouse est un grand bâtiment, occupé par le marché seulement 3 matinées par semaine. Comment faites-vous pour rentabiliser cette infrastructure ? 

Le dynamisme du Carreau est aussi assuré par son utilisation en dehors des heures de marché : nous avons fait le choix d’ouvrir cet espace à d’autres usages, notamment événementiel, de formation et maintenance des véhicules professionnels. 

Le Carreau accueille des événements en rapport avec l’agriculture et l’alimentation ou non : nous organisons par exemple le Congrès des Jeunes Dirigeants de France (CJD), des événements dédiés au Stade Toulousain ou encore à la Fashion Week… Nous avons 5 restaurants collés au MIN (mais en dehors du MIN) et le Carreau peut accueillir jusqu’à 3 000 couverts. En général, nous récupérons 30% du chiffre d’affaires de nos concessionnaires.

Cette diversification a largement contribué à développer la notoriété du lieu et à apporter une nouvelle source de revenus.

Un dîner organisé sur le Carreau des Producteurs du MIN de Toulouse
Un dîner organisé sur le Carreau des Producteurs du MIN de Toulouse ©Min_toulouseoccitanie

Comment s’organise la gouvernance des activités accueillies sur le Carreau ? 

Toutes ces actions sont des leviers de redynamisation efficaces mais impliquent une certaine lourdeur administrative et exigent une gouvernance adaptée à chaque activité. 

La vente sur le Carreau c’est notre cœur de métier et en tant que société mixte, nous avons fait le choix de la gérer en direct ; cela signifie que nous gérons près de 300 contrats, pour un loyer annuel de 600 à 1200€ par contrat seulement. Cela nous permet notamment de contrôler ce qui circule sur le carreau.

L’accompagnement des producteurs représente un immense investissement en temps et en énergie, mais c’est le prix à payer pour faire de cet espace un levier d’attractivité de notre MIN.

À l’inverse, nous avons délégué la gestion événementielle du Carreau à un opérateur professionnel, mais nous participons aux arbitrages concernant le choix des événements accueillis, et dès qu’il s’agit d’une manifestation en lien avec l’alimentation et l’agriculture nous sommes clairement impliqués.

Les mesures que vous avez mises en place ont-elles été efficaces ? Quelles sont les conclusions à tirer ?

Les efforts fournis en termes de recrutement et de fidélisation de nouveaux producteurs ont été assez efficaces. L’offre de gratuité cumulée à notre communication nous a permis de recruter environ 10 producteurs par an, et le partenariat avec la ville de Blagnac a favorisé le recrutement de 2/3 producteurs sur une durée d’engagement de plusieurs années.
Des recrutements arrivent également de plus en plus spontanément, Toulouse est aujourd’hui l’un des seuls Carreaux en France qui assure le renouvellement de ses producteurs. 

Quant à la question des débouchés, l’exigence de qualité des produits et le développement des canaux de valorisation sont deux piliers essentiels. Nous essayons de créer un écosystème local et d’inciter nos clients et prospects à venir sur le Carreau (visite et communication dédiée). Cela demande une énergie sans relâche mais c’est essentiel.

Enfin, j’insiste tout particulièrement sur l’importance du modèle économique et de la diversification des revenus des producteurs : vente directe sur le carreau, collaboration avec les acteurs du site (légumerie, traiteurs, grossistes), transformation, drive, livraison. Si on veut investir pour maintenir l’activité initiale, ces compléments de revenus sont essentiels et ils ont clairement permis de développer l’attractivité du Carreau.    

En revanche, nous avons essayé d’implanter un magasin de semi-gros fermier B2B à deux reprises, mais dans les deux cas ce projet a échoué. Difficile de cerner clairement le(s) facteur(s) d’échec ; il a été compliqué de structurer une offre adaptée (contenants, prix, livraison) et peut-être que nous aurions dû investir davantage dans les compétences commerciales (développement, prospection). 

L’avis de Foodbiome 

Par la variété des leviers engagés pour répondre aux attentes des producteurs, des acheteurs et du territoire, cette expérience nous semble très intéressante. Chez FoodBiome, nous sommes convaincus que les MIN (et leurs déclinaisons en MIL (marchés d’intérêt local) et MIR (marchés d’intérêt régional)) ont un rôle clé à jouer dans la création des écosystèmes et le développement des coopérations entre les acteurs locaux. A Toulouse, l’implantation d’acteurs logistiques comme Agriflux ou l’association “Produit sur son 31” qui facilitent l’accès des restaurateurs aux produits locaux, ainsi que l’espace dédié à l’accueil des startups sur le MIN, constituent le début de cet écosystème local. Un nouveau rôle de hub territorial qui nécessite de revoir le modèle économique et la gouvernance de ces lieux, tout en développant la notoriété des MIN auprès des citoyens. 

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