Interview de Baptiste Saulnier, co-fondateur de Cultive au côté de Vanessa Correa Rivera
Alors que près de 50 % des agriculteurs prendront leur retraite d’ici 2033 (Chambre d’agriculture, 2023), le secteur agricole français fait face à des défis majeurs. Le remembrement, la mécanisation, la spécialisation à outrance, et le recours massif aux pesticides et aux engrais de synthèse ont entraîné de lourdes conséquences économiques, écologiques et sociales.
C’est dans ce contexte qu’est née Cultive, en 2022, avec une ambition claire : replacer le bien-être, la résilience et la durabilité au cœur de nos systèmes agricoles, et surtout, redonner aux jeunes l’envie – et les moyens – de créer ou reprendre des fermes viables, vivables et durables.
Inspirée par les principes de l’agroécologie et du maraîchage bio-intensif – une méthode héritée des maraîchers parisiens du XIXe siècle, et développée depuis plus de 20 ans par Jean-Martin Fortier, parrain de l’initiative –, Cultive propose un modèle agricole à la fois économiquement rentable, écologiquement vertueux et socialement juste.
L’année écoulée a été marquée par des étapes clés : lancement de la première promotion en janvier, inauguration de la première ferme d’application en Vendée – d’une superficie de 5 hectares – qui accueillera une deuxième promotion dès janvier 2026, premières récoltes de légumes en juin et une levée de fonds de 1,8 M€ réussie.



Photo de l’inauguration du premier campus, en présence de Marie-France Barrier et Jean-Martin Fortier
Bonjour Baptiste, deux questions d’ouverture : Quel regard portez-vous sur la formation agricole actuelle en France ? Qu’est-ce qui manque selon vous ?
La formation agricole repose sur des bases solides mais elle reste trop théorique et pensée pour les enfants d’agriculteurs. Or, près de 60 % des nouveaux entrants viennent d’autres horizons et sont des NIMA (Non issus du Milieu Agricole). Cultive ne cherche pas à remplacer l’existant ni à le concurrencer, mais à le compléter, en proposant un parcours concret et adapté aux néo-ruraux. Il est donc essentiel aujourd’hui d’assurer le financement et l’accès à une pluralité de formations adaptées aux profils et cela ne sera possible qu’avec le soutien gouvernemental.
Est-ce qu’on peut encore vivre décemment de l’agriculture aujourd’hui ? Et dans quelles conditions ?
Oui, mais cela dépend du modèle d’agriculture. Notre ambition est de construire des fermes économiquement viables hors subventions de la PAC, conciliant rentabilité, transition écologique et justice sociale. Nous visons des revenus entre 1 500 € et 2 500 € nets par mois pour les agriculteurs formés. C’est une avancée, même si cette rémunération reste encore en deçà de ce que devrait refléter la valeur du métier et de nos profils d’apprenants.
Quel rôle jouent les collectivités locales ou les institutions dans le déploiement de vos campus ? Voyez-vous un changement dans la posture des acteurs publics face à des projets comme le vôtre ?
Elles sont des partenaires essentiels. Il est d’ailleurs rassurant d’avoir le soutien de collectivités comme Lyon ou Les Herbiers qui se montrent très actives et de plus en plus attentives à la création d’une agriculture saine et nourricière. Elles voient dans Cultive un levier pour relocaliser l’alimentation. Beaucoup d’institutions continuent de privilégier le conventionnel à bas coût mais notre ambition est véritablement de donner accès au plus grand nombre à une alimentation goûteuse, soutenable et locale.
On remarque toutefois un changement d’attitude positif de la part des acteurs publics enthousiastes face à des projets comme le nôtre. La Ceinture Verte, Fermes en vie (FEVE), ELOI, tous rassurent l’écosystème et véhiculent une vision commune du changement, notamment face au constat d’un grand taux d’échec dû à la conjoncture et à la baisse du bio.
A quoi ressemble cette première ferme d’application ? Quelles pratiques ou outils testez-vous aujourd’hui que vous n’auriez pas imaginés il y a deux ans ?
Cette première ferme d’application incarne pleinement notre vision d’une agriculture agroécologique, résiliente et humaine. Elle s’étend sur une superficie de 5 ha – avec une équipe de 4 apprenants et apprenantes.
Le cœur du système repose sur un maraîchage bio-intensif, mais la ferme est conçue comme un véritable écosystème diversifié. On y retrouve un système agroforestier intégré, de la polyculture, du petit élevage, et plusieurs activités complémentaires réparties selon les saisons : arboriculture, petits fruits, plantes aromatiques et médicinales, apiculture, transformation… On compte au total une cinquantaine de légumes et 200 variétés. Chaque production trouve sa place dans une logique de synergie entre les pratiques, d’autonomie et de résilience.
Par quel parcours passe les apprenants Cultive ?
Un parcours métier ultra-complet, pensé sur 3 à 4 ans. L’objectif est clair : former les maraîcher.ères de demain capables de gérer une ferme agroécologique rentable, durable et humainement soutenable.
Le programme repose sur une formation technique poussée, un accompagnement au pilotage économique, et une forte immersion dans la réalité du terrain. Nous avons pensé cette formation pour convenir à deux parcours. Le premier pour entreprendre et se lancer grâce à un accompagnement à l’installation puis à la production. L’autre vers un métier salarié, avec la garantie d’un emploi pendant un an minimum afin de gagner de l’expérience, chez Cultive ou une ferme du réseau. Nous croyons très fort à la complémentarité et à la diversité de profils dans le monde agricole de demain.
Comment avez-vous sélectionné la première promotion ? Quels étaient les critères ? À quoi ressemble le profil idéal selon vous pour rejoindre Cultive ?
Il n’y a pas de profil idéal. La première promotion compte quatre apprenants paritaires de 23 à 34 ans, dont trois diplômés Bac+5 et un ayant arrêté avant le bac. Pour la deuxième promotion, nous avons déjà reçu plus d’une douzaine de candidatures, dont beaucoup d’ingénieurs (agro, environnement, biologie, énergie). Le processus de sélection repose surtout sur la motivation et le projet de vie. Chaque candidat passe ensuite par une immersion d’une semaine sur la ferme pour s’assurer que la formation est bien adaptée.
Vous visez 900 apprenants formés et plus de 500 installations de fermes d’ici 2033. Quel est le plus grand défi pour y parvenir ?
Il y en a beaucoup. Le principal enjeu est de rendre la formation diplômante et financée à 100 %. Aujourd’hui, le coût reste un frein pour certains candidats, malgré l’attractivité du projet.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Que l’équipe garde sa passion et son enthousiasme à transmettre et s’investir à la ferme, et que nous trouvions les financements nécessaires pour accompagner cette nouvelle génération d’agriculteurs.


Photos du Campus Cultive
Très bien, merci beaucoup Baptiste !
💡L’avis de FoodBiome
Chez FoodBiome, nous voyons dans Cultive bien plus qu’une initiative agricole : c’est une preuve que l’avenir se construit dès maintenant, à taille humaine, sur le terrain, avec celles et ceux qui choisissent de porter la transition écologique. Financer et accompagner ce type de projet, c’est prendre position pour une agriculture qui ne se contente pas de nourrir, mais qui transmet, forme et inspire. Car la transition ne pourra se faire que grâce à des femmes et des hommes formés, soutenus, capables de transformer les pratiques et d’essaimer de nouvelles manières de cultiver. En ce sens, l’ambition de Cultive résonne pleinement avec la nôtre : bâtir une souveraineté alimentaire durable, portée par une nouvelle génération d’acteurs engagés.