Entretien avec Pierre Devred, co-fondateur de la Consignerie.
Bonjour Pierre, peux-tu nous parler de ton parcours pour commencer ? Et nous expliquer d’où te vient ta sensibilité pour l’événementiel ?
Bien-sûr, j’ai grandi proche de la frontière Suisse à Annemasse, avant d’arriver à Lille il y a 15 ans. J’ai toujours eu l’envie de créer des projets, sans savoir vraiment quoi. Au début, cette motivation s’est concrétisée par mon investissement dans des groupes de musiques avec des amis, ou dans l’organisation de concerts et de festivals avec Art’N’Bass. C’est une association que j’ai créé en 2014, au travers de laquelle je voulais réunir les gens autour de la musique. A la même époque, on a aussi monté le Phare de Tourcoing, une église désacralisée qui nous a permis d’accueillir des événements musicaux ou culturels.
A côté de cela j’ai été solopreneur durant toute ma vingtaine. Je travaillais pour d’autres entrepreneurs et petites entreprises qui avaient besoin d’aide pour émerger sur les réseaux sociaux, ou développer leur image de marque… L’ensemble de ces activités étaient complémentaires d’une certaine façon. Tout cela en parallèle de mes études ! Qui ont progressivement reflété la direction que prenait mon parcours, du bac pro électricien, puis un BTS technico commercial, en passant par une licence Chef de projet et pour finir par un Master en Stratégie de l’événementiel.
Mais la pandémie du Covid a balayé l’ensemble de ces activités, et il fallait que je me renouvelle grâce à un nouveau projet. Et à cette époque, ce qui fonctionnait, c’était le domaine de l’alimentation. Pour la petite histoire, je me souviens enfant de mes parents qui se faisaient livrer des boissons dans des bouteilles en verre, et qu’une fois consommées, on consignait toujours les bouteilles. Un peu plus tard, notamment une fois arrivé dans à Lille, je me suis rendue compte que ce geste de consigner n’était pas du tout habituel ni démocratisé. C’est ainsi que l’idée de la consigne alimentaire a germé dans mon esprit.
Comment est-ce que cette idée a donné naissance à la Consignerie ? Est-ce que tu étais seul dans la création de cette entreprise ?
A la base, je voulais monter un projet nommé Vrac à vélo. L’idée était de reproduire l’équivalent du supermarché du coin, et de proposer toute l’épicerie en vrac, avec des produits locaux, qui seraient livrés à vélo. Dans la démarche d’aider les artisans locaux à vendre leurs produits, tout en limitant les emballages jetables et réduisant l’impact carbone de ma clientèle.
Au moment de chercher un distributeur de boissons, je suis tombé sur Franck Royer, qui deviendra mon associé. Franck a longtemps travaillé dans le marketing pour le groupe Fermentis, qui est une référence dans l’univers de la bière. Après avoir vendu des levures de fermentation hydro alcooliques partout dans le monde entier, Franck s’est rendu compte qu’il ne connaissait même pas les brasseurs de sa région. Et que cela ne correspondait plus à ce qu’il voulait faire. C’est pourquoi il a décidé de monter un projet de brasserie “la plus éco-responsable possible” adossé à un service de livraison en vélo, nommé la Consignerie. Cela s’est traduit par l’achat de fûts à des brasseurs locaux, puis l’acquisition d’une machine de soutirage pour embouteiller la bière, avant de livrer l’ensemble à vélo dans la région lilloise.
Quand on se rencontre en 2020, j’avais de l’expérience dans le montage d’entreprises et l’envie de lancer Vrac à vélo. De son côté, il avait déjà développé une certaine aura avec la Consignerie. On a décidé de se lancer à deux en fusionnant nos visions, et en conservant le nom de la Consignerie. On s’est laissé quelques mois pour bien poser les bases de ce que l’on souhaitait faire. Parce que les combats sont nombreux quand on veut tendre vers une entreprise éco responsable. Rien que si l’on choisit de se concentrer sur la question du zéro-déchet, il existe plein de façons d’avoir un impact. On s’était finalement positionnés sur le fait que la Consignerie serait un site internet, permettant de faire ses courses en ligne, avec des produits locaux et consignés, livrés sur le pas de la porte, en livraison bas carbone.

Mais la Consignerie actuelle semble plutôt s’adresser aux entreprises, comment êtes-vous passés au B2B ?
Au démarrage on a développé notre activité à Lille puis à Rennes en rachetant une entreprise locale, qui était alors leader de la distribution de courses et produits locaux en Ille-et-Vilaine et en Bretagne. Tout s’amorçait bien, mais c’était sans compter sur les différentes crises qui se sont succédé. Il y a d’abord eu la guerre de l’Ukraine, puis l’inflation et la hausse du prix de l’électricité, puis la crise du bio… L’ensemble de ces événements ont forcé les français à faire des choix sur leur budget, et malheureusement l’alimentation n’est pas la priorité de certains ménages. Suite à quoi nous avons commencé à perdre des parts de marché, et on n’avait pas les reins assez solides pour injecter de nouveaux fonds.
En parallèle de nos livraisons de courses, de nombreux clients nous sollicitaient pour fournir des petits-déjeuners zéro déchets à leur entreprise. Dans un sens, il s’agissait des mêmes produits que ce que l’on livrait déjà en B2C. Il fallait simplement réfléchir à comment adapter notre concept au B2B. C’est donc avec l’univers de la cafétéria que l’on a commencé à travailler pour le privé en tant que traiteur. Depuis, nous livrons des paniers de fruits, des viennoiseries, des boissons, du café en grain, des infusions locales… On permet aussi de louer des machines à café à grains, ou de remplacer les bouteilles d’eau par des fontaines reliées aux circuits et micro-filtrée.

L’idée est de faire de la cafétéria, qui est déjà l’un des lieux de sociabilité de l’entreprise, un espace d’éducation pour l’ensemble des employés par rapport aux alternatives d’usage. Du côté de l’entreprise, faire appel à nous en tant que traiteur permet d’avoir un vrai impact au niveau local en choisissant d’investir son budget vers des entreprises locales et plus vertueuses que de grands groupes de la distribution. C’est ce qui permet de nourrir un écosystème. Et comme au fur-et-à-mesures on recevait toujours plus de demande pour des plateaux repas, mais aussi pour de l’événementiel et des cocktails avec du service, on a compris qu’il y avait un vrai marché de traiteur à prendre.

Cela nous amène à votre cœur de métier actuel : traiteur responsable pour différents types d’événements ? En quoi votre démarche est éco-responsable ?
Finalement, la problématique à laquelle nous avons décidé de répondre est le manque de clarté de l’offre traiteur. Quand nos clients sont à la recherche d’un traiteur pour un événement, ils se lancent dans un vrai parcours du combattant qui peut prendre beaucoup de temps. Il faut d’abord chercher sur des sites vitrines et e-commerce, faire le tri parmi toutes les offres, demander un devis, attendre une réponse, négocier… Sans compter sur le risque de recevoir une commande avec des emballages à usage unique. En bref, cela devient très fastidieux pour dénicher la perle rare.
C’est pourquoi nous avons choisi de connecter les entreprises et collectivités avec les meilleurs artisans de l’alimentation durable. Dans le but de valoriser les savoir-faire locaux au travers d’événements culinaires impactants, et en nous appuyant sur un réseau de partenaires engagés pour un événementiel plus responsable. En collaborant avec des acteurs locaux, nous favorisons une gastronomie savoureuse et résiliente, tout en vous offrant des solutions qui allient qualité, simplicité et impact positif. Chaque événement est une nouvelle occasion de faire rimer convivialité avec durabilité.

Nous proposons désormais deux types de prestations :
- Les événements clés en main, qui représentent 80 à 90% de notre activité, soit environ 600 prestations par mois. Ces prestations sont gérées via notre plateforme digitale, et peuvent comprendre des petit-déjeuners, des pauses café, des plateaux repas, des afterworks, un cocktail, des animations culinaires, un goûter… Pour des groupes allant de 10 à 400 personnes. Il y a aussi tout le volet cafétéria avec ses paniers de fruits, les boissons et le café en grain. On se charge à minima de la livraison, mais on peut aussi réaliser l’installation et assurer le service si le client le souhaite.
- Les événements sur-mesure, qui peuvent reprendre les prestations que nous proposons déjà de façon “standardisée”, mais en les adaptant afin que la prestation réponde aux besoins spécifiques du client. On gère 2 à 3 manifestations de cette ampleur par mois. Pour citer quelques exemples d’événements que l’on a assurés en 2024 : on a fait le DevFest au Grand Palais de Lille, un goûter au Louvre Lens pour 800 personnes, ou encore les deux soirées d’inauguration des JO. Je dois dire que c’est une grande fierté pour nous d’avoir assuré la restauration pour ces cérémonies d’ouverture ! Nous avons géré l’ensemble des 14 zones situées le long de la Seine sur les quais hauts, qui ont accueilli plus de 220 000 participants.

Bien qu’on ne soit pas traiteur à proprement parler, car on ne se charge pas de la confection des repas, on porte tout de même de nombreuses casquettes pour assurer le bon développement de ces événements. En commençant par la conception des menus, être régisseur, trouver les différents intervenants culinaires, organiser la logistique, faire le service… Finalement notre modèle est basé sur l’ensemble des services rendus et nécessaires à l’aboutissement de ces événements, avec l’ensemble des acteurs d’un écosystème choisi et privilégié. Et dans toutes ces étapes, nous sommes très vigilants sur les trois axes que sont la livraison, les emballages, la végétalisation de l’assiette.
Tout cela est possible grâce à un noyau dur de 13 salariés de la Consignerie, répartis entre l’équipe commerciale, logistique et administrative. Autour de nous gravitent plus de 200 partenaires, avec qui nous sommes fiers de travailler. Nos prestataires qui assurent la confection des repas doivent répondre à une charte d’éthique et de qualité spécifique. Par exemple, ils s’engagent à ce que 80% de l’offre soit végétarienne et le reste carnée, ils privilégient les options d’approvisionnement locales en priorité avant de passer au national, la majorité de leur emballage doivent être des contenants réutilisables… Pour la logistique on ne fait pas de livraison dédiée à un seul client, on fonctionne avec une logique de tournée. Notre livreur part avec son véhicule électrique avec le plus de commandes possibles pour l’occuper toute la journée. On est aidés par un logiciel spécifique qui nous permet d’optimiser ces tournées. Dans le centre-ville de Paris on a aussi des partenariats avec des entreprises qui livrent à vélo. En bref, nous mettons en avant le frais, local et de saison.

Pourquoi ne pas créer votre propre cuisine centrale ? Est-ce que cela fait partie de vos projets pour 2025 ?
Non, c’est parce que nous n’avons pas la volonté d’absorber 100% de la valeur produite par nos missions. Mais plutôt de nourrir et développer notre écosystème afin qu’un jour, peut-être, il soit aussi gros et capable que les gros industriels qui lui font face. L’année dernière c’est +2M€ qui sont retournés à nos partenaires. Cela a permis à une petite boulangerie de créer plusieurs postes, ou à un traiteur de passer en temps plein sur cette activité et de lâcher son emploi de commercial à côté. Bien évidemment, on fait attention à ne pas générer un chiffre d’affaires trop important chez nos partenaires pour ne pas créer de dépendance.
L’un de nos projets pour 2025 est de lancer un nouvel outil pour nos clients, qu’ils viennent du public ou du privé. Son objectif est de simplifier le booking de nos services en comparant, analysant et commandant plus facilement. Cet outil leur permettra de concentrer tous leurs besoins “food” au même endroit. Pour ce qui est de notre stratégie de développement, bien qu’on soit très ancrés dans les Hauts-de-France et dans la région Parisienne, nous sommes désormais capables de couvrir toute la France. Mais on ne communique pas encore dessus. Et de façon plus générale, on espère continuer à convertir de nouvelles entreprises à nos valeurs.
L’avis de FoodBiome
Quand il s’agit de changer les échelles des circuits de proximité, s’adresser au monde des entreprises et à ses salariés peut se révéler un puissant levier. Alors que les enjeux représentés par la restauration collective dans la transition de notre système alimentaire semblent désormais évidents, on parle moins de tous les autres moments durant lesquels en plus d’être collègue, on redevient aussi mangeur. Qu’ils soient ponctuels ou réguliers, les pots de départ, pauses café, séminaires ou congrès sont autant de moments où l’on peut favoriser un écosystème d’artisans et de producteurs locaux plutôt que la grande distribution. C’est pourquoi Foodbiome supporte les initiatives comme celles qu’entreprend la Consignerie, pour faire de ces moments de convivialité qui rythment la vie des entreprises, des moments de pédagogie et en faveur d’un système alimentaire plus juste, plus sain et plus durable.
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