La Ferme de la Haute Folie : un beurre durable et engagé sur les plus grandes tables

Entretien avec Benjamin Roulland et Marc Duguay, associés de la Ferme de la Haute Folie.

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Bonjour Benjamin et Marc ! Pourriez vous nous présenter la ferme de la Haute Folie ?

Nous sommes une ferme implantée en plein cœur de la Normandie à Sainteny (50). Notre structure allie une ferme biologique dédiée à la production de lait de vache et une partie tournée vers la transformation de ce lait. Nous nous distinguons par l’élevage exclusif de Jersiaises, une race de vaches originaire de l’île de Jersey. Ici toutes nos vaches se nourrissent exclusivement de ce que nous produisons sur la ferme : de l’herbe en pâturage et du foin récolté sur place.

En tout, nous avons environ 250 bêtes qui ont donné 1 million de litres de lait en 2023. L’objectif est d’en produire 1,3 millions d’ici 2024.

Pour ce qui est de la transformation, nous travaillons à peu près la moitié de ce qu’on produit pour en faire de la crème, du beurre, du fromage blanc, des yaourts ou du skyr, et l’autre moitié est vendue à notre coopérative.

Les beurres de la Haute Folie
Les beurres de la Haute Folie (©Ferme de la Haute Folie)

À propos des Jersiaises : qu’est-ce que cette race a de particulier ?

L’île de Jersey gagne à être connue au-delà de l’évasion fiscale ! C’est aussi le berceau de la Jersiaise, une race de vache encore peu répandue en France, mais très prisée ailleurs, notamment chez les anglo-saxons.

Ce qui fait la particularité de la Jersiaise, c’est la qualité exceptionnelle de son lait : il est particulièrement riche en matière grasse, en protéines et en caséine. C’est la race de vache dont le lait est le plus riche et aussi celle qui est la plus efficace dans la conversion des aliments qu’ils ingèrent en matière utile (matière grasse + matière protéique) (source : détail comparé des races laitières).

Pour autant, elle ne correspond pas tellement aux standards actuels de l’agroalimentaire : elle produit relativement peu de lait et comme elle est peu volumineuse, sa carcasse est difficile à valoriser. C’est pour cela qu’on en croise peu en France, contrairement à des races comme la prim’holstein qui représente la grande majorité du cheptel des vaches laitières et qui a petit à petit remplacé d’autres races typiquement régionales comme la froment du Léon ou la Bretonne Pie Noire (ndlr : si vous voulez creuser ce sujet, nous vous conseillons cette étude sur l’évolution du cheptel bovin en France en particulier p.48 sur l’évolution de sa composition raciale). 

Comparaison sommaire entre la Prim’Holstein et la Jersiaise
Comparaison sommaire entre la Prim’Holstein et la Jersiaise (source : fiches Wikipedia des 2 races)

La Jersiaise est pourtant vraiment intéressante sur le plan économique car on peut valoriser son lait 2 à 3 fois plus cher que du lait “classique” et que la demande en lait de (très) grande qualité est loin d’être satisfaite aujourd’hui.

Jersiaise à gauche et Prim’Holstein à droite
Jersiaise à gauche et Prim’Holstein à droite

Justement à propos de l’aspect économique, quel est votre modèle ?

Notre stratégie est simple : minimiser nos dépenses tout en maximisant nos revenus.

Nous achetons très peu parce que les bêtes mangent principalement l’herbe de nos prairies. Nous pouvons donc nous passer de maïs, de soja, d’engrais, de nouveaux tracteurs, d’ensileuses etc … 

Nous arrivons à maximiser nos revenus grâce à une segmentation de notre gamme qui valorise au maximum notre lait et ses spécificités. 

Nous valorisons fortement la matière grasse du lait auprès de clients qui peuvent se le permettre. C’est comme ça que notre beurre et notre crème se retrouvent sur les tables de grands chefs comme Alain Ducasse ou Alain Passard. La semaine dernière, Pierre Gagnaire nous a sollicité spontanément pour pouvoir s’approvisionner chez nous !

Avec tout le lait écrémé qui nous reste, nous avons développé une gamme de yaourts et de fromage blanc que nous vendons aux collectivités locales, notamment grâce aux directives de la loi Egalim. Pour diversifier nos débouchés et pallier la saisonnalité de la demande des écoles, nous commercialisons aussi avec des hôpitaux, des EHPAD ou des cuisines centrales. 

En valorisant les produits issus de la matière grasse exceptionnelle des Jersiaises à un prix supérieur au prix du marché et en écoulant nos autres produits à des prix standards, nous parvenons à équilibrer nos finances. Cette stratégie nous donne aussi la possibilité de nous passer de la grande distribution, ce qui nous permet de garder des relations étroites avec nos clients et de mieux mettre en avant les particularités de notre production.

 

Pour finir, quels sont vos engagements en matière de durabilité ?

A l’origine, la ferme de la Haute Folie était une ferme “classique” de la production laitière : nous exploitions des Holsteins en conventionnel. Mais il y a 15 ans nous avons appris que notre ferme se situait sur une zone de captage d’eau potable et nous avons dû repenser toute notre organisation.

En partant d’une page blanche, nous avons rapidement convergé vers le modèle de l’agriculture biologique et du pâturage. Nous nous sommes rendu compte que le modèle productiviste où les vaches sont nourries au silo tous les jours de l’année avec du maïs ou du soja du Brésil était très néfaste pour l’environnement et la santé et nous avons voulu changer cela. 

Nous portons aussi une attention particulière aux conditions de vie des bêtes : elles disposent chacune d’une logette individuelle paillée, au sein d’une stabulation libre et elles peuvent explorer librement près de 300 jours par an la centaine d’hectares de prairie mise à leur disposition.

Séance de massage pour les vaches de la Haute Folie
Séance de massage pour les vaches de la Haute Folie (©Ferme de la Haute Folie)

L’avis de FoodBiome

La Ferme de la Haute Folie est un exemple remarquable d’une exploitation agricole qui allie respect de l’environnement, qualité des produits et valorisation d’une race de vache spécifique. Grâce à leur approche rigoureuse et à leur stratégie de commercialisation axée sur le haut de gamme, ils démontrent qu’il est possible de concilier rentabilité et durabilité dans le secteur agricole, en particulier celui de l’élevage. Ils nous permettent aussi de redécouvrir toute la richesse du patrimoine génétique bovin français, et les dangers que lui fait courir un modèle de mono-élevage plus productiviste.

Pour aller plus loin, visitez leur site internet ici.