Les Délices de l’Ogresse : une conserverie bio, artisanale et engagée, aux portes de Paris 

Entretien avec Ranwa Stephan, fondatrice de la conserverie Les Délices de l’Ogresse

logo de la conserverie les délices de l'ogresse

Bonjour Ranwa, peux-tu me raconter ton parcours et comment tu es arrivée à fonder la conserverie Les Délices de l’Ogresse ?

Bonjour Louise, alors initialement, j’avais un métier complètement différent de celui d’aujourd’hui : j’étais réalisatrice de documentaires spécialisée dans les zones de guerre comme l’Afghanistan et la Syrie. Mon travail consistait à mettre en lumière les histoires des gens “ordinaires” au milieu des conflits, plutôt que de me concentrer sur les mouvements militaires.

Dans ces contextes de guerre, de rupture et de perte de repères, j’ai découvert que le plaisir de manger offrait une forme de survie. Au Moyen-Orient, malgré les conflits, la culture culinaire reste très forte. Je me souviens par exemple d’un moment à Kafranbel, près d’Alep (Syrie), en 2014. Malgré le stress ambiant, les femmes se réunissaient le lendemain d’un bombardement pour faire du pain, transformant ce moment en une sorte de fête, en une expérience vivante, chaleureuse et de partage. Face à l’anxiété et la mort, omniprésentes, elles répondaient par la célébration de la vie à travers la nourriture.

Lors de mes voyages les plus difficiles, je passais parfois 4 ou 5 jours à cuisiner des confitures à mon retour, pour m’évader en quelque sorte. Cette passion pour la cuisine, je l’ai toujours eue, transmise par ma mère palestinienne, curieuse et passionnée de gastronomie (d’ailleurs spécialiste de la choucroute ! ).

Mon parcours militant et personnel m’a conduit à vouloir agir contre l’absurdité du monde. J’ai fini par ressentir une frustration dans mon métier de réalisatrice : malgré l’impact potentiel à l’échelle nationale, je ne voyais pas les résultats concrets de mon travail. J’ai donc décidé de changer de voie pour avoir un impact,  à une échelle beaucoup plus petite mais plus directe et tangible.

J’ai réalisé que la nourriture est une manière incroyablement efficace de changer le monde. En 2018, j’ai fondé la conserverie Les Délices de l’Ogresse avec l’idée de créer des tartinables faits à la main, français, bio et dans notre département du 93. Des produits non seulement délicieux, mais aussi extrêmement éthiques.

cuisine à la conserverie
Source : Les Délices de l’Ogresse

Peux-tu nous en dire davantage sur les activités des Délices de l’Ogresse ?

Notre conserverie a 2 activités : 

  • la marque Les Délices de l’Ogresse : nous confectionnons de manière artisanale des tartinades, des marmelades, des confitures, des sauces et des condiments à partir de produits bio dont 70% issus de filières locales. Au départ, Les Délices de l’Ogresse était simplement une marque de tartinables végétales. Au fil du temps, j’ai travaillé avec des agriculteurs et j’ai compris les enjeux de la chaîne alimentaire. J’ai notamment constaté une forte demande de la part des agriculteurs locaux pour des solutions de transformation de leurs surplus. En nous concentrant sur l’optimisation de la chaîne alimentaire pour agir de manière plus durable et éthique, nous sommes passés d’une logique de marque à une logique de métier, en réalisant de la transformation à façon.
Source : Les Délices de l’Ogresse
Source : Les Délices de l’Ogresse
    • La transformation à façon : nous récupérons les surplus de matière agricole des agriculteurs locaux pour les valoriser dans notre conserverie. Par exemple, un agriculteur produisant des courges peut se retrouver en été avec un stock excédentaire, car la demande pour ce produit est faible à cette période. Pour éviter le gaspillage et les pertes financières, nous transformons ces courges dans notre atelier selon nos recettes. L’agriculteur récupère ensuite les pots (de soupe par exemple) confectionnés à partir de ses courges pour les vendre à ses clients pendant l’hiver. Cette activité permet aux agriculteurs de vendre leurs produits saisonniers toute l’année, de prolonger la durée de consommation de leurs fruits et légumes, et de valoriser leur travail au maximum en évitant le gâchis. 
Source : Les Délices de l’Ogresse

La transformation à façon représente une part conséquente de notre conserverie. Pour vous donner une idée, nous devrions transformer 20 tonnes de surplus agricoles cette année. Sur ces 20 tonnes, 90% sont destinées aux mêmes producteurs pour la commercialisation, et 10% sont utilisés pour créer nos produits sous la marque Les Délices de l’Ogresse (comme notre ketchup de tomates vertes, par exemple).

Au-delà de la valorisation des surplus agricoles, quels sont vos engagements et notamment en termes d’approvisionnement ?

Nos produits sont fabriqués de manière artisanale à partir de fruits et légumes frais, de saison, que nous préparons nous-mêmes à l’atelier. Nous n’utilisons ni surgelés, ni conservateurs, ni agents de texture et toutes nos matières premières sont issues de l’agriculture biologique. 

Nous accordons une grande importance à l’éthique de nos approvisionnements, en privilégiant toujours les filières locales. Si un produit est disponible localement, nous nous approvisionnons dans un rayon de 100 km autour de notre atelier, couvrant les départements des Yvelines (78), du Val-d’Oise (95), de l’Essonne (91) et une partie de l’Oise. Prenons l’exemple des abricots, dont la production n’existe pas en Île-de-France ; nous nous tournons alors vers des producteurs en Occitanie, en passant par Dynamis, un grossiste engagé, afin d’acheter des abricots français.

Il nous arrive d’utiliser des produits dont il n’existe pas de filière en France, comme de la purée de cacahuète ou de sésame. Dans ce cas, nous veillons à nous fournir auprès de marques éthiques comme Jean Hervé, qui, comme notre conserverie, adoptent des démarches de filières saines et responsables.

Élaboration des conserves à l'atelier - source : Les Délices de l'Ogresse

Peux-tu nous en dire plus sur la transformation et la commercialisation de vos produits ?

Nous sommes une équipe de trois : Samira, la cheffe de production, qui confectionne toutes nos délicieuses conserves, Stéphanie, qui s’occupe de la partie commerciale, et moi-même. 

Au début, nous avons commencé dans un petit atelier de 20m² dans la dépendance de ma maison. Aujourd’hui, notre atelier est situé à Noisy-le-Sec et fait 140m², ce qui nous permet d’envisager un développement !

Cette année, en 2024, nous prévoyons de produire 60 000 pots, ils sont principalement vendus en épiceries fines et magasins bio, avec environ 200 points de vente, dont deux tiers se trouvent en Île-de-France. Nous faisons également un peu de cadeaux d’affaires, c’est-à-dire que des entreprises nous commandent des produits et nous les personnalisons.

Source : Les Délices de l’Ogresse
Source : Les Délices de l’Ogresse

Quels sont les défis à relever pour vous et que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

Il y a un véritable défi autour de la cuisine et des besoins en matière d’alimentation durable. Nous avons commencé à agir à l’échelle de notre territoire, la Seine-Saint-Denis, en proposant des ateliers éducatifs sur l’alimentation durable et des cours de cuisine pour des structures sociales locales.

Par ailleurs, nous nous lançons également dans une offre traiteur. Nous pratiquions déjà cette activité de manière occasionnelle, mais nous souhaitons maintenant la structurer et l’aligner avec les valeurs que nous promouvons déjà. Nos cibles sont les institutions et entreprises locales, pour lesquelles nous aimerions proposer une offre alimentaire éthique, locale, bio et végétarienne. Le but est de collaborer avec les acteurs du territoire pour promouvoir le bien manger, à partir de bons produits, bien sourcés. Pour cette activité, nous aurons besoin de recruter davantage afin de répondre à la demande croissante. Nous aimerions créer de l’emploi sur le territoire, notamment en embauchant des personnes issues de parcours en insertion.

Ranwa Stephan, fondatrice de la conserverie Les Délices de l'Ogresse - crédits photo : Cécile Rogue

L’avis de FoodBiome : 

Les outils de transformation de proximité sont essentiels pour la relocalisation de nos filières alimentaires. À travers leur conserverie artisanale, Les Délices de l’Ogresse propose un modèle vertueux à petite échelle. En se plaçant à l’interface entre le monde agricole et les distributeurs et consommateurs locaux, ils renforcent les liens sur les territoires et illustrent l’importance et l’impact des collaborations.

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