Changer la restauration collective, avec Un Plus Bio

Entretien avec Stéphane Veyrat, Directeur d’Un Plus Bio 

Bonjour Stéphane, peux-tu te présenter ?

Bonjour Héléna, avec plaisir. Après une formation agricole, j’ai commencé mon parcours dans l’accompagnement de projets au service du développement de l’agriculture biologique. J’ai notamment coordonné le projet “Manger Bio”, lancé en 1993 par des producteurs du Gard qui souhaitaient mettre en place des actions plus concrètes pour valoriser leur production sur le territoire, à travers la restauration collective et notamment scolaire, milieux où la qualité alimentaire n’était pas encore une préoccupation. Ce réseau d’agriculteurs a œuvré pour développer les repas bio dans les cantines, a mis en place des activités de découverte des produits bio pour les enfants et formé des gestionnaires et cuisiniers de la sur cette thématique.

Peux-tu nous présenter Un Plus Bio ?

Nous avons lancé l’association nationale Un Plus Bio (association loi 1901) en 2002 à Nîmes pour multiplier et accompagner les actions locales impliquées dans le changement des pratiques alimentaires. Dans un premier temps, nous avons réuni plusieurs acteurs de la bio avec pour ambition de développer le concept “Manger Bio” dans les cantines. L’ambition était d’accompagner des collectivités locales dans l’évolution du modèle et des métiers de la restauration collective de leur territoire.

Dans un second temps, en 2013, nous avons créé le Club des Territoires, une tête de réseau nationale qui fédère les initiatives de transformation de l’alimentation et des territoires et qui a pour vocation à collaborer avec des élus, ce qui représente une mutation majeure pour l’association Un Plus Bio. À date, le Club des Territoires est la plus grande communauté de collectivités territoriales engagées dans le bio, le local et le sain. Il est assez rare en France d’avoir une structure associative dédiée aux thématiques de l’agriculture et de l’alimentation biologique qui arrive à réunir autour d’une même table politiques publiques et agents opérationnels.

Une cantine à Épinay-sur-Seine (93), membre du Club des Territoires (source : site internet Un Plus Bio)

Par la suite, nous avons écouté les envies du Club des Territoires et souhaité répondre aux attentes émergentes : nous avons monté l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable. Au départ, ce projet a été mené par les membres d’Un Plus Bio. Puis très rapidement, nous avons rencontré le collectif de chercheurs en alimentation du centre d’études Lascaux dans le cadre d’un partenariat avec le programme Celt. Nous avons travaillé avec eux sur des thématiques majeures et variées : les régies agricoles, la démocratie alimentaire, l’exception alimentaire dans les marchés publics. L’exception alimentaire est le fait pour les collectivités soumises aux marchés publics de privilégier les producteurs bio et locaux dans leurs appels d’offres. C’est une porte d’entrée pour changer les choses, comme un petit cheval de Troie de la transformation des territoires par et pour l’alimentation. Nous avons collaboré sur la construction d’un questionnaire auquel plus de 10 000 cantines ont répondu et qui nous a permis de dresser un panorama des initiatives portées par les villes et territoires en termes de mutations des politiques publiques sur la thématique de l’alimentation bio. Pour approfondir notre analyse et assurer sa neutralité, nous avons croisé les informations récoltées avec des données fournies par le label EcoCert “En Cuisine” (ils ont récupéré des données très précises portant sur l’écologie et le bio en cuisine pour 3 500 sites de restauration collective).

Progressivement, nous avons remarqué que certaines métropoles (comme Nantes, Paris) se sont saisies du sujet de l’exception alimentaire et l’ont vu comme un levier d’action fédérateur pour dynamiser leur réseau. Les collectivités sont également de plus en plus matures pour traiter ces thématiques : elles commencent à chercher des solutions pour construire une ville plus viable, un territoire plus dynamique, et se préoccupent vraiment du maintien et du déploiement de l’agriculture. Le sujet de la restauration collective est un des premiers qu’elles adressent étant donné qu’elles ont à charge les cantines des maternelles et primaires. Malheureusement, elles se retrouvent vite confrontées aux contraintes des marchés publics qui imposent des cahiers des charges stricts en termes d’approvisionnement, et laissent souvent peu de place aux producteurs locaux.

 

Travaillez-vous sur d’autres thématiques que celle de la restauration collective ?

Quasiment 100% des projets que nous menons tournent autour de la restauration collective. On pourrait penser que c’est une limite de notre modèle mais après réflexion, nous n’avons pas trouvé mieux comme point de départ de toutes les problématiques de la transition alimentaire et de la bio. Toutefois, notre mission est également d’amener les collectivités sur d’autres thématiques que celle de la cantine où elles ont également un rôle à jouer, comme celle de la stratégie foncière. Les projets des Friches Rebelles en est un exemple : il s’agit de remettre des friches en culture, laissées incultes pour diverses raisons (faible rentabilité, pression de l’urbanisation, etc) et dont le potentiel est insoupçonné.

Opération “friches rebelles” menée par Un Plus Bio (Source : site internet Un Plus Bio)

Avec combien d’élus travaillez-vous ?

Nous avons accompagné 1 600 élus sur les 5 dernières années. Nous travaillons main dans la main avec les collectivités et nous essayons de construire des passerelles entre elles de sorte à créer une dynamique et de toucher un grand nombre d’élus. Par exemple, nous organisons depuis 8 ans les Victoires des Cantines Rebelles pour mettre en lumière les réussites inspirantes, une véritable journée d’échange convivial sur la démocratie alimentaire. Nous portons une à deux tribunes par an qui paraissent dans les médias nationaux afin de porter à connaissance nos propositions. Nous co-organisons aussi une petite dizaine d’événements nationaux où nous ciblons les élus également, comme “La Bio dans les étoiles”, un événement autour de l’alimentation bio et durable de la Fondation Ekibio, et plus largement sur l’écologie alimentaire, qui aura lieu le 4 mai 2023 à Annonay.

La journée nationale des cantines rebelles à Paris (édition 2020), conférence sur le thème “manger en lien avec son territoire, quel approvisionnement bio et local ?” (Source : site internet Un Plus Bio)

Quelles sont les ambitions d’Un Plus Bio pour les années à venir ?

Même si les problématiques à traiter sont nombreuses et qu’il est compliqué de les trier, nous sommes convaincus que le sujet majeur et le plus difficile à traiter est celui des compétences : c’est un terrain complètement atomisé, où il y a le plus grand gisement de possibilités. Nous avons formé énormément de gens et nous constatons que le schéma des compétences humaines à construire pour les légumeries ou les cantines est encore flou pour les collectivités, car elles imaginent encore les cantines de demain comme les cantines d’hier. Or, si on veut relocaliser l’approvisionnement et restructurer de façon cohérente le maillage du territoire, on ne peut pas réduire le facteur humain aux cuisiniers : on doit s’intéresser aux gens qui produisent et qui transforment également, on doit s’intéresser à toutes les compétences de l’écosystème pour reconstruire un véritable service public.

On constate des crises sur tous les maillons de la chaîne alimentaire, notamment un effondrement du nombre d’agriculteurs du côté de la production et une grande difficulté à recruter pour les restaurateurs, qui sont contraints de recruter les personnes qui se présentent sans même leur faire passer de test, et qui, se contentant des capacités de leurs recrues, s’éloignent de leurs objectifs.

Donc je pense que la problématique des compétences est le plus grand chantier de l’alimentation, mais je reste optimiste car beaucoup de jeunes cherchent à redonner du sens à leur activité, et le domaine de l’alimentation peut redevenir attractif car il ne manque pas de sens.

 

Quelles difficultés rencontrez-vous en travaillant avec les élus ?

Le plus difficile est de réussir à les mobiliser en dehors de leur quotidien d’élus, de les intéresser et de les amener à se déplacer. Pour cela, Un Plus Bio effectue un gros travail d’événementiel pour rendre nos initiatives attractives à leur égard. En revanche, une fois convaincus par le projet, ils ont un véritable appétit pour faire bouger les choses, ils sont volontaires, ils s’inspirent : c’est passionnant de bosser avec eux.

 

Face au regain d’intérêt des français pour la consommation de produits locaux, comment envisagez-vous la dichotomie entre le bio et le local ?

Nous essayons de décomplexer nos adhérents et de leur faire comprendre qu’il n’est pas antinomique de faire du bio et du local : au contraire, on peut enregistrer un progrès et un impact d’autant plus conséquents. Nous avons même développé des outils comme le label En Cuisine pour évaluer ces progressions afin de pour garder les adhérents dans une dynamique de construction. L’enjeu principal est de savoir comment on crée des conditions favorables pour maintenir un tissu alimentaire solide et le déployer, qu’il s’agisse du local ou de la bio.

 

Si vous aviez une baguette magique, quel serait le sujet clé que vous débloqueriez pour avoir un impact à plus grande échelle ?

Je mettrais en place une vraie politique publique nationale voire européenne qui soit sans ambiguïté au service d’une alimentation saine, durable et de qualité. En fait, nous avons des orientations budgétaires audacieuses au niveau des territoires, mais elles souffrent de financement et d’éclairage : il nous manque de l’argent pour faire les grands choix structurels de l’alimentation durable et saine et pour en assurer une accessibilité au plus grand nombre. Les territoires sont prêts à imaginer cette grande transition mais ne peuvent pas la financer seuls, ils ont besoin d’un soutien national et européen. Nous devons mutualiser nos politiques publiques et mettre en place de véritables changements dans la santé, l’alimentation, l’agriculture : la crise de l’alimentation est fortement liée à l’absence d’aide publique.

Ces financements sont d’autant plus indispensables que je suis convaincu qu’à travers la transition vers une alimentation saine et durable, nous réglerons de nombreuses autres problématiques : celles de la santé, de l’eau, de l’air, de la biodiversité et du vivant, etc.

 

En bonus – La lecture recommandée par Stéphane Veyrat :
Nourrir : Quand la démocratie alimentaire passe à table, de François Collart Dutilleul, une synthèse de ce doit intégrer le droit à l’alimentation (thématiques abordées : démocratie, souveraineté et exception alimentaires).

L’avis de FoodBiome : 

Un Plus Bio adresse la problématique de la transition des pratiques alimentaires des territoires via un levier efficace et pertinent : celui de la restauration collective. C’est en effet dans les cantines que se déroule la sensibilisation et l’acculturation de nos enfants à une alimentation durable et saine. Ce projet répond à l’enjeu fondamental de former et d’accompagner les cuisiniers de la restauration collective : une mission que se donnent 2 startups que nous accompagnons, La Source (qui réfléchit à un cursus de formation dédié à la restauration collective) et Nona (un logiciel de gestion et d’accompagnement opérationnels dédié à la restauration collective).  Un Plus Bio entreprend une démarche collaborative permettant de faire dialoguer et collaborer les acteurs d’un territoire, et une envie d’impacter les territoires à grande échelle, des approches et valeurs que nous partageons chez FoodBiome et qui nous pousse à mettre en avant ce genre d’initiative.