Entretien avec Cyriaque Crosnier Mangeat, co-fondateur d’Agrosemens
Bonjour Cyriaque, peux-tu nous présenter l’initiative Agrosemens et la genèse du projet ?
Agrosemens est une maison semencière fondée il y a 22 ans à Aix-en-Provence par mon frère Judicaël et moi. Nous sommes une entreprise familiale, militante et indépendante, dédiée à l’agroécologie et à la production de semences paysannes 100% bio. Dès l’âge de 4 ans, je savais que je voulais travailler dans le monde des semences et depuis ce jour, je n’ai jamais cessé d’être passionné par le développement agricole.
Pour nous, le projet d’Agrosemens a tout son sens puisque ce rêve d’enfant devient aujourd’hui une réalité. Cette maison semencière est une entreprise à mission qui porte des valeurs simples : baser l’économie sur l’agriculture, fonder l’Homme sur cette fraternité, puis comprendre que nous sommes “au service du vivant” et non “maîtres du vivant”.
Pour créer ensemble une nouvelle forme d’économie au travers d’une industrie semencière, nous scindons notre engagement sous 2 grandes actions. La première envers les maraîchers du circuit court (Agrosemens), puis la seconde auprès des particuliers (La Semence Bio).
Ainsi, nous proposons une seule et même qualité de semence professionnelle, cultivée en agroécologie et certifiée Bio selon 3 cahiers des charges : label Bio (européen), label Bio Cohérence (100% français) et Biodynamie. Ces 3 labels assurent une qualité professionnelle auprès de nos deux grands marchés
Peux-tu nous expliquer la différence entre les semences paysannes, industrielles, OGM et NGT ? Quels sont les risques pour les paysans aujourd’hui ?
Les semences sont par essence reproductibles. Elles peuvent provenir de plantes allogames (qui se croisent entre elles) ou de plantes autogames (qui se reproduisent par autofécondation).
Les semences paysannes sont des semences qui peuvent venir de ces deux grands cas botaniques et sont issues d’une production locale des paysans ou des particuliers. Ce type de semence coévolue avec les pratiques agricoles et peut cumuler des adaptations plus ou moins transposables à différents terroirs.
Les semences industrielles, notamment les hybrides, résultent de croisements spécifiques pour combiner des traits bénéfiques comme la qualité organoleptique, la forme des fruits, la résistance aux maladies ou la productivité. Ainsi, les hybrides offrent une solution rapide dans l’amélioration des cultures végétales. Toutefois, il est essentiel de noter que des pratiques agricoles agroécologiques de base peuvent résoudre certains problèmes qui sont traditionnellement adressés par les hybrides.
Par exemple, le mildiou de la laitue (Bremia lactucae), une maladie dévastatrice, peut être maîtrisé grâce à des pratiques agroécologiques telles que la rotation des cultures, la ventilation, la gestion des densités de plantation et la planification des dates de semis, préservant ainsi l’harmonie avec la nature. Il est crucial de respecter ces fondements agronomiques pour éviter une dépendance excessive aux hybrides lorsque d’autres alternatives sont disponibles.
Néanmoins, le principal défi des hybrides réside dans les enjeux associés de propriété intellectuelle. Les entreprises investissent souvent jusqu’à 15% de leur chiffre d’affaires dans la recherche et le développement pour créer de nouvelles variétés, ce qui soulève des questions éthiques sur l’exploitation du vivant et la recherche de profits. Il est crucial de réfléchir à notre position vis-à-vis du vivant :
“Sommes-nous des créateurs de vivant ? des utilisateurs du vivant ? ou des partenaires du vivant ?”
Ainsi, un grand nombre de variétés d’OGM ont introduit de nouvelles techniques de sélection, notamment les NBT (New Breeding Technology) et les NGT (New Genomic Technology). Ces méthodes accélèrent et amplifient les processus de sélection en utilisant des outils tels que les ciseaux moléculaires pour manipuler les chromosomes et recombiner l’ADN de manière ciblée, fusionnant parfois les règnes animal et végétal. La fraise cultivée dans le nord de l’Europe en est un exemple frappant. Des chercheurs ont identifié un gène « antigel » dans l’ADN d’un poisson, la plie rouge, et l’ont intégré dans l’ADN d’une fraise. Cette modification génétique a été transmise aux générations suivantes, conférant à cette fraise transgénique une résistance accrue au froid.
Cependant, ces nouvelles techniques de sélection génétique soulèvent d’importantes préoccupations éthiques et environnementales. En effet, elles contournent les processus évolutifs naturels, accélérant les changements génétiques sans garantie quant à leurs impacts à long terme sur la santé humaine, la biodiversité et les écosystèmes.
Est-il possible de créer des semences intéressantes pour les agriculteurs sans recourir à la manipulation génétique en laboratoire ?
Oui, chez Agrosemens, nous privilégions des méthodes traditionnelles pour créer des variétés reproductibles sans manipulation génétique. Nous distribuons des hybrides naturels, issus de croisements dirigés par l’homme utilisant le pollen, mais nous ne les produisons pas nous-mêmes. Notre approche, partagée par des semenciers comme Kultursaat, consiste à sélectionner des variétés en agrobiologie, assurant leur reproductibilité. Cette méthode est plus lente et aléatoire, mais elle respecte les processus naturels et favorise l’innovation équitable.
Agrosemens propose des Semences Agroécologiques certifiées Bio, Bio Cohérence et Demeter. À quoi servent tous ces labels ? Comment sont-ils obtenus ?
Commençons par le label Bio, qui constitue le premier jalon pour être reconnu et pour valoriser nos pratiques. Nous attachons une grande importance à cette certification. Nous estimons qu’il est crucial de garantir cette lisibilité à travers un cahier des charges indépendant, vérifié par des organismes tiers. C’est pourquoi nous avons opté pour la certification bio. [Pour en savoir plus sur les filières bio, consultez notre éditorial “La bio qui a «presque» tout inventé doit-elle aujourd’hui se réinventer ?”]
En 2002, nous avons commencé avec le label AB (Agriculture Biologique française), avant l’harmonisation européenne de 2009. Face à la baisse des exigences du nouveau label européen, nous avons opté pour le label Bio Cohérence, qui reprend les normes du label AB d’avant 2009 et intègre des principes de responsabilité sociale et de commerce équitable. Ce label garantit une agriculture paysanne 100% bio, 100% française avec des fermes respectant rigoureusement les saisons, les doses de produits chimiques, le bien-être animal, et favorisant les circuits courts et l’économie locale.
La biodynamie certifiée par le label “Demeter” représente une approche agronomique profonde qui va au-delà du conventionnel et se concentre sur des aspects anthropologiques et agroécologiques. Cette pratique nous guide dans notre utilisation des ressources végétales, minérales et animales en nous inspirant du biomimétisme et permettant donc de créer un écosystème vivant et harmonieux.
Pour nous, ces démarches de certification sont alignées avec notre slogan « un sol vivant pour des légumes sains » et incarnent notre engagement envers des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et socialement responsables.
Ainsi, ces trois labels certifiés sont véritablement le socle de notre démarche d’amélioration continue et incarnent notre engagement envers des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, socialement responsables et empreintes de spiritualité. Ils nous permettent de nous démarquer tout en répondant aux exigences croissantes des consommateurs soucieux de la qualité et de l’éthique des produits qu’ils achètent.
Chez Agrosemens, produisez-vous toutes vos semences ? Si oui, sur quelles surfaces ? Quels sont vos clients ?
Nous travaillons avec environ 50 agriculteurs semenciers en France, tous en bio. Environ 60% de nos semences proviennent de ce réseau, complétées par des partenariats en Europe. Nous possédons également une ferme près d’Aix-en-Provence, dédiée à la sélection et à la production de semences. Notre catalogue compte 900 variétés, réparties entre le maraîchage, les plantes aromatiques, les fleurs et les engrais verts. Nos clients sont principalement des maraîchers et des jardiniers amateurs. Ces derniers passent leurs commandes, via notre site internet ou par l’intermédiaire de distributeurs tels que Truffaut, Biocoop,et d’autres revendeurs indépendants.
Pour résumer, quelles sont les valeurs les plus importantes que défend Agrosemens ?
Nous promouvons l’autonomie alimentaire, une économie centrée sur l’agriculture et la réhabilitation du rôle du semencier 100% bio au sein d’une dynamique impliquant le consommateur, le marché et le vivant. Notre entreprise est engagée en tant que société à mission, axée sur le respect et la préservation du vivant.
Quelles sont les prochaines étapes ? Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Nous aspirons à relever les défis de la transition alimentaire. Nous souhaitons que chaque citoyen renforce les liens sociaux tout en conciliant une économie prospère avec une agriculture respectueuse de tous les acteurs, plaçant les hommes au service du vivant et la nature au service des hommes. Nous espérons que nos efforts contribueront au développement d’une agriculture florissante pour le bien de la société.
L’avis de FoodBiome
Nous soutenons pleinement l’engagement d’Agrosemens en faveur de pratiques agricoles durables et de la promotion de semences biologiques de qualité. Nous croyons fermement que leur approche, fondée sur l’équité et l’innovation, est non seulement bénéfique pour les agriculteurs, mais aussi pour l’environnement et la santé humaine. FoodBiome encourage vivement d’autres acteurs de l’industrie semencière à suivre cet exemple inspirant pour favoriser une agriculture plus durable et respectueuse de la biodiversité.
