Rencontre avec Alessandra Montagne, cheffe franco-brésilienne engagée

Crédits photo de couverture : @anneclaire.heraud

 

Bonjour Alessandra, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, avec plaisir.

Je suis née au Brésil et j’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents dans la région du Minas Gerais. Cette ferme était totalement autonome : nous avions nos volailles, nos bœufs, nos cochons, nos œufs, notre potager… Nous vivions sans aucun superflu. Au Brésil, ce sont les femmes qui tiennent la cuisine, donc j’ai appris à cuisiner avec ma grand-mère dès mon plus jeune âge, sans même savoir que cela pouvait être un métier. À la maison, il fallait que les enfants deviennent enseignants ou médecins, donc j’ai commencé à travailler quelques années en tant qu’institutrice.

Je suis arrivée en France en 1999. Je suis tombée amoureuse de Paris, du territoire francilien, de la culture gastronomique française. J’ai été complètement fascinée par la diversité et la qualité extraordinaires des produits qu’on pouvait cultiver dans la région et en France. Comme j’avais toujours cuisiné chez moi, j’avais un répertoire de recettes de cuisine brésilienne très riche, je savais tout faire. Je me suis donc facilement et rapidement intéressée à la gastronomie française, en me renseignant de mon côté (en regardant beaucoup de vidéos par exemple).

Je sentais qu’il se passait en moi quelque chose d’irréversible et de fort, c’était l’appel de la cuisine et du métier de cheffe. Je me suis donc inscrite en 2007 aux CAP cuisine et pâtisserie, puis j’ai intégré l’école hôtelière CFA Médéric de Paris.

J’ai commencé à travailler en restaurant à une époque où le monde de la cuisine était encore très méconnu et macho. Les débuts ont été très difficiles, je n’ai pas été bien reçue : personne ne voulait d’une femme, qui plus est mère d’un enfant (statut qu’on associe à des contraintes peronnelles fortes) dans une cuisine.

J’ai été encouragée par la suite en travaillant pendant un an aux côtés de William Ledeuil (chef du restaurant étoilé Ze Kitchen Galerie), puis aux côtés d’Adeline Grattard (cheffe du restaurant étoilé Yam’Tcha), mère d’un enfant également. Ces deux chefs ont su être vraiment bienveillants avec moi.

« Un cuisinier aime manger, partager et donner, en utilisant absolument tout d’un même produit. Tu as plus à donner, plus à partager ! » Alessandra Montagne ©Instagram - @nosso

Comment votre projet de restaurant a émergé ?

Je me suis rapidement rendue compte que la seule façon de vivre à la fois ma vie de famille et ma passion était de monter ma propre affaire. En 2012, j’ai donc monté le restaurant Tempero (“épices” en brésilien) avec mon ex-mari. Nous habitions dans un studio juste derrière le restaurant et je vivais entre les deux : j’alternais entre la cuisine et mon fils, que je surveillais à l’aide d’un talkie walkie ; c’était la seule manière pour moi de d’être mère et de ne pas pour autant abandonner mon métier.

Ce restaurant était toute ma vie, un moyen de m’accomplir en tant que femme : c’était l’ascenseur social qu’il me fallait. S’il avait fallu travailler 20 heures par jour sans gagner de salaire pour cuisiner, je l’aurais fait.

En juillet 2021, j’ai monté le restaurant Nosso (”nôtre” en brésilien) dans le 13ème arrondissement de Paris, et j’ai fermé l’ancien Tempero pour le rouvrir en face de Nosso (en juillet 2022, Tempero est devenu une épicerie-cantine-cave à manger). Je suis également cheffe du restaurant Dana, dans le 8ème arrondissement de Paris, qui appartient aux bureaux Kwerk, ce qui me permet d’offrir des repas locaux, bio et de qualité pour le déjeuner.

L’équipe du restaurant Nosso (13ème arrondissement de Paris) ©Instagram - @nosso

Comment sourcez-vous vos produits ?

J’ai grandi dans une ferme donc j’ai toujours voulu acheter directement chez les producteurs. Avant de monter Tempero, je travaillais bénévolement pour une AMAP La Ruche Qui Dit Oui, donc je me suis fournie là-bas dans un premier temps. Puis, par bouche à oreille, j’ai découvert d’autres producteurs qui habitent à côté.

Au-delà du direct producteur, il faut que ce soit bien fait : quand j’arrive dans un champ, si je ne vois pas de mauvaises herbes qui poussent, je m’en vais, car un champ tout propre, sans mauvaises herbes et sans orties, ce n’est pas bon signe. De la même manière, si le producteur a des asperges ou des radis toute l’année, ça ne va pas.

Je visite toujours les exploitations, je prends le temps de regarder comment le producteur travaille. 

Je préconise le bio plutôt que le conventionnel mais je travaille avec des producteurs qui n’ont pas nécessairement de label car ils n’ont pas le temps et/ou les moyens de l’obtenir. Pourtant, ils travaillent en permaculture et ils ont de nombreuses variétés de légumes dans leur champ. C’est l’essentiel pour moi, je me fiche de la marque bio sur la cagette, d’autant qu’elle ne garantie pas forcément le caractère local des produits. Je travaille notamment avec BioVor, une plateforme de commande de produits locaux et bio, et avec Zone Sensible, une ferme urbaine à Saint-Denis.

Alessandra Montagne dans la ferme urbaine de Saint Denis “Zone Sensible” ©Instagram - @alessandramontagne

Vous proposez également une cuisine zéro-gaspillage alimentaire n’est-ce pas ?

Exact, cela provient de mon éducation, j’ai grandi dans une ferme où l’on ne jette pas ce qu’on produit.

Alessandra Montagne propose une cuisine qui valorise les produits dans leur totalité. Par exemple, elle cuisine des saucisses avec ce qui n’est pas intégrable aux assiettes des clients (feuilles de chou abîmées, parures de volaille, pain rassis…) ; elle transforme la peau des topinambours en chips ou en poudre ; elle achète les cochons en entier et ne jette rien, sauf les os, après avoir préparé une sauce avec. (Source)

Plat du restaurant Dana ©Instagram - @dana.bykwerk

Valoriser l’humain semble être une de vos priorités, pouvez-vous me parler un peu des relations que vous entretenez avec vos salarié.e.s ?

Dans le monde de la cuisine, on se permet des choses qu’on ne se permettrait pas ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi on travaille autant dans la restauration et pourquoi les salariés sont maltraités. Je veux absolument prôner la bienveillance et faire primer l’humain, pas l’objectif économique.

Pour appliquer cela, j’ai choisi de ne pas ouvrir le week-end. Je suis également très à l’écoute de comment se sentent mes salariés : j’organise des entretiens individuels deux fois par an, et si je sens que l’un.e d’entre eux/elles a un coup de mou, je l’invite au restaurant pour prendre le temps d’en discuter.

Au delà des salarié.e.s, je considère et je suis à l’écoute de toutes les personnes impliquées dans mon projet (les assistant.e.s de l’accueil, les personnes en charge des réparations par exemple) : il faut garder en tête que nous sommes tous.tes impliqué.e.s dans la même chaîne et que nous sommes tous.tes complémentaires.

Quelles sont les difficultés majeures que vous rencontrez aujourd’hui ?

Il y a déjà les crises et difficultés dont on parle beaucoup : l’impact de la crise sanitaire sur le recrutement en restauration, la crise énergétique, l’inflation forte.

Mais nous subissons également une crise sociale : nous devons faire en sorte que tout le monde ait accès à une cuisine de qualité. Je refuse de proposer des menus à 200€, j’aurais honte, et d’ailleurs je n’ai pas besoin d’appliquer un tel prix pour payer mes salarié.e.s. Mon objectif est de continuer de proposer une cuisine solidaire et sociale, une cuisine qui reste accessible malgré les crises.

🍽 Les adresses d’Alessandra Montagne

Restaurant Nosso
📍22, Promenade Claude Levi-Strauss, 75013 Paris

Tempero, l’épicerie cantine cave à manger
📍24, Promenade Claude Lévi-Strauss, 75013 Paris

Restaurant Dana des bureaux Kwerk
📍18 rue de Courcelles 75008 Paris

💡 L’avis de FoodBiome

La cuisine de la cheffe Alessandra Montagne partage l’ambition première des projets accompagnés par FoodBiome, qui consiste à réintroduire des produits locaux, frais, bio et de qualité dans nos assiettes tout en proposant une cuisine accessible au plus grand nombre. De plus, elle remplit deux autres missions fondamentales à la transition vers un système d’alimentation plus durable, en plaçant le zéro gaspillage et la valorisation de l’humain comme des fondamentaux.