Entretien avec Claude Villemagne, dirigeant du GAEC de la Brumagne
Bonjour Claude, peux-tu nous expliquer ce qu’est le projet d’Altermonts et comment il a été créé ?
Bonjour, oui bien sûr ! Je suis Claude Villemagne, associé au GAEC de la Brumagne et partenaire du projet Altermonts.
Altermonts est une fromagerie collective regroupant quatre fermes situées en Auvergne-Rhône-Alpes, au cœur des Monts du Lyonnais. Ce projet collectif inclut la Ferme des Deux Hélices (Jérôme Barange à Duerne), le GAEC de la Brumagne (Didier Bruyère et moi-même, à Chazelles-sur-Lyon où nous avons 96 ha d’exploitation pour 70 vaches laitières), la Ferme Besson (Anne et Gilbert Besson à Saint Galmier), et la Ferme du Valfleury (Adrien, Gautier, Mathieu, Caroline et Stéphanie à Chazelles-sur-Lyon).
Concernant la genèse du projet, c’est justine Lagrevol (animatrice du syndicat de rivière SIMA Coise) qui en 2015 a contacté plusieurs paysans pour les inciter à réfléchir à un système collectif de valorisation du lait avec l’idée de réimplanter une fromagerie paysanne biologique dans la région. Le projet a résonné chez plusieurs paysans qui se sont réunis pour imaginer la création de cette fromagerie collective. Un noyau de 4 fermes s’est créé dont 3 certifiées Bio et une (Ferme des Deux Hélices) qui a été accompagnée pour une conversion à l’AB. Ainsi, composé de 9 paysans et paysannes, le groupe est Altermonts était formé.
En juillet 2016, nous avons décidé de nous faire accompagner par Mickaël Berthollet de l’AFOCG Rhône-Loire (Association de Formation Collective à la Gestion) pour renforcer notre collectif et développer le projet tout en testant sa faisabilité. Cet accompagnement a débuté par un cycle de formation d’une journée par mois pour mieux nous connaître et lancer le projet Altermonts. Il a fallu 5 années de travail pour aboutir à la construction de la fromagerie, et 9 mois pour que le bâtiment soit opérationnel. Le 18 juin 2020, la fromagerie collective Altermonts a commencé ses activités avec le moulage de nos premiers fromages.
Quelles valeurs partagez-vous avec les 3 autres fermes adhérentes au projet ?
Au démarrage du projet, nous avions la volonté de relocaliser la production fromagère dans les Monts du Lyonnais, car depuis 1950, toutes fromageries collectives locales avaient disparu au profit de grandes coopératives, effaçant ainsi la spécificité de notre territoire. Notre objectif était de renouer avec les principes fondamentaux de l’agriculture en lançant un projet coopératif axé sur l’agroécologie biologique.
La mutualisation d’un outil de transformation laitier nous a semblé évidente. Cependant, ce projet commun n’a pas empêché à chaque ferme de conserver son authenticité. Par exemple, la Ferme du Val Fleury possédait déjà un atelier de transformation pour les yaourts et les crèmes dessert, et continue de les transformer sur place tout en envoyant une partie de son lait à la fromagerie collective d’Altermonts.
Quelles structures vous ont accompagné dans la construction du projet ?
La Communauté de communes des Monts du Lyonnais nous a été d’un précieux soutien pendant la phase de construction du projet. Grâce à leur aide, nous avons bénéficié d’un salarié pour le montage financier et la recherche de subvention. D’autres partenaires financiers ont été essentiels dans le lancement de ce projet, je pense notamment à Biocoop qui nous a soutenu pendant nos 3 premières années d’exercice.
De plus, nos quatre fermes sont adhérentes à Biolait, un groupement de producteurs qui collecte le lait bio de 1200 fermes en France.
Peux-tu nous parler plus en détail de la fromagerie et de vos productions ?
Nous produisons quatre types de fromages tout au long de l’année :
- La Fleur des Monts : une pâte pressée cuite, type gruyère. Meule de 35 à 40 kg, produite d’avril à novembre avec un affinage de six mois minimum
- La Terre des Monts Fraîche, Moelleuse ou Rustique : la tome est affinée de 8 à 10 jours pour la version fraîche, 6 à 8 semaines pour la version moelleuse, et jusqu’à 4 mois pour la version rustique.
- La Raclette des Monts : disponible en nature, fumée et au thym séché. Produite de juin à décembre, commercialisée de septembre à mars.
- Le L’Air des Monts : fromage au lait cru, similaire au leerdammer, disponible toute l’année et très apprécié.
Concernant les volumes, nos quatre fermes produisent environ 1 million de litres de lait par an. La première année, en 2020, nous avons transformé 250 000 litres de lait. Aujourd’hui, après quatre années d’exercice, nous avons atteint 400 000 litres transformés. Cette année, notre objectif est de transformer 500 000 litres de lait, ce qui représente la moitié de notre production annuelle et qui nous permettra d’écouler 50 tonnes de fromage.
Depuis le printemps, nous collaborons avec trois autres fermes laitières pour compléter nos volumes, transformant le lait cinq jours par semaine. Au départ, nous nous occupions nous-mêmes de la commercialisation, persuadés de connaître mieux que personne nos produits et de pouvoir les promouvoir efficacement. Cependant, nous avons progressivement réalisé que le développement commercial est un métier à part entière et avons depuis recruté une équipe dédiée, nous permettant nous éleveurs, de nous focaliser sur d’autres aspects (production et logistique notamment).
Justement, à propos de vos canaux de commercialisation : quel type de clients avez-vous démarché ?
Nous sommes basés à Saint-Denis-sur-Coise, à 35 minutes de Saint-Étienne et 50 minutes de Lyon. Nous distribuons nos fromages dans les enseignes bio, les petites et moyennes surfaces, les épiceries lyonnaises et, de manière plus anecdotique, les restaurateurs. Nous souhaitions procéder au maximum via de la vente directe afin de limiter le nombre d’intermédiaires.
Nous passons également via la plateforme de producteurs Bio A Pro pour vendre nos produits. Au départ, nous n’adressions pas le canal de la restauration collective car les réglementations contraignent la vente de produits au lait cru dans les cantines. Mais récemment, après un changement politique local à l’automne dernier, Bio A Pro (un des fournisseurs locaux de la restauration collective), est devenu notre principal client. Grâce à cette plateforme, nous pouvons désormais vendre notre fromage à pâte pressée cuite “la Fleur des Monts”, notamment aux cuisines centrales de Lyon et de Saint-Etienne.
Notre fromage “La Fleur des Monts” est le seul fromage que nous vendons à la restauration collective. Étant chauffé à 53°C, il se rapproche du processus de pasteurisation (75°C) et est donc plus sécurisant pour les cantines scolaires.
Nous sommes ravis de pouvoir adresser la restauration collective, ce canal étant souvent contraint en termes de prix. Savoir que des produits locaux et éthiques arrivent dans les cantines du territoire est une belle victoire. Cela peut aussi inspirer d’autres collectivités. Nous apprécions énormément le travail de Bio A Pro, car le développement commercial d’une marque est essentiel, très chronophage, c’est un métier à part entière pour faire accroître l’activité commerciale de l’entreprise.
Comment vous organisez-vous dans la répartition des tâches au sein d’Altermonts ?
Pour nous organiser au mieux dans l’activité de la fromagerie, nous avons défini 3 commissions différentes :
- Commission Process qui est composée d’une personne référente par ferme et qui s’occupe de la vie de la fromagerie, des volumes traités, des problématiques machines.
- Commission Commercialisation pour prospecter les clients et vendre le fromage.
- Commission RH pour gérer les 4 salariés à la fromagerie.
La répartition des tâches s’est organisée en fonction des compétences et des appétences de chacun. Initialement, en raison de contraintes budgétaires et avec seulement un salarié à la fromagerie, nous avons simplifié les opérations. Trois à quatre personnes participent à la découpe du fromage et à la préparation des commandes. Les livraisons sont effectuées 2 fois par mois le jeudi par la Ferme du Val Fleury car elles coïncident avec leurs livraisons de yaourts et crèmes desserts.
Chaque vendredi, nous organisons tous ensemble un marché paysan sur place de 16h à 19h dans lequel on retrouve les produits de la boutique AlterMonts et de ses fermes :
- Fromages d’AlterMonts et des fermes voisines (faisselles, bleu et chèvre)
- Yaourts fermiers, crèmes dessert, et lait cru de la Ferme du Val Fleury
- Œufs ultra frais et farine de la Ferme du Val Fleury
- Steaks hachés surgelés des fermes AlterMonts
On y retrouve également des produits de nos amis paysans de la région : bières issues d’une microbrasserie locale (Farlodoise – Chazelles sur Lyon), jus de fruits de saison (Missimy), vins locaux (Domaine des Déplaude – Tartaras), coulis, confitures et veloutés. Sur place, on retrouve également un boulanger et une maraîchère.
Peux-tu nous expliquer en détail le cahier des charges qu’Altermonts se fixe ?
La fromagerie collective et paysanne Altermonts essaye de s’inscrire dans une démarche vertueuse globale allant au-delà du cahier des charges fixé par l’Agriculture Biologique européenne.
En effet, AlterMonts repose sur une éthique d’élevage qui privilégie l’alimentation locale et autonome avec 75% de production sur les fermes et des vaches nourries principalement d’herbe. La médecine alternative, comme l’homéopathie et l’aromathérapie, est priorisée pour le soin des troupeaux. Le bien-être animal est assuré avec l’interdiction de la traite robotisée et une production laitière limitée à 6 000 litres par hectare.
De plus, AlterMonts adopte des pratiques agro-écologiques avec l’utilisation de semences fermières, la plantation de haies champêtres, la diminution du travail du sol, et l’emploi de bois pour favoriser la vie des sols. La transition énergétique est également en cours avec la production d’énergie renouvelable, comme le photovoltaïque, et l’utilisation de camions de collecte au biogaz.
Le projet met l’humain et l’équité au centre en garantissant des prix justes pour les fermes et en créant des emplois. Les exploitations sont à taille humaine et les paysans sont engagés localement. Le fonctionnement est coopératif, avec une prise de décision à 100% par les paysans.
Enfin, concernant la fabrication, les fromages d’AlterMonts sont affinés sur des planches d’épicéa et les soins des fromages sont manuels et réguliers, avec un contrôle strict de chaque meule. Les affinages sont garantis : 4 mois pour les meules, 45 jours pour les tomes et 60 jours pour les raclettes. La fromagerie est certifiée AB et agréée UE.
Merci beaucoup Claude pour ce riche échange ! Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Que nous continuions à produire d’excellents fromages et à régaler nos clients ! Chez Altermonts, nous avons à cœur d’apprendre chaque jour et de remettre en question nos pratiques pour améliorer constamment le goût et la qualité de nos fromages. Désormais, la plus-value obtenue par la transformation de nos fromages doit, après 4 années de fonctionnement, revenir sur les fermes pour valoriser le travail des producteurs. Sur le long terme, nous souhaiterions que notre modèle de fromagerie collective se duplique et se réimplante sur les territoires pour ainsi renforcer localement notre résilience alimentaire.
L’avis de FoodBiome
En regroupant quatre fermes d’un même territoire autour d’un outil de transformation laitière partagé, Altermonts facilite l’accès à des produits laitiers locaux, respectueux de l’environnement et des éleveurs. Ce modèle de fromagerie collective, économiquement avantageux et durable, inspire les projets FoodBiome. Ces derniers visent à restructurer les circuits courts alimentaires et à renforcer le lien alimentation-territoire, tout en redynamisant les espaces ruraux. Altermonts montre comment la mutualisation des ressources et la collaboration peuvent transformer positivement les systèmes alimentaires locaux.
Ce sujet vous intéresse ?
FoodBiome accompagne la conception et la mise en œuvre d’ateliers de transformation alimentaire locaux.
