Des Tiers-lieux aux Pôles de Résilience Alimentaire

La grande transition que nous allons vivre sera systémique. Elle impliquera de changer notre rapport au vivant et de refonder le pacte qui lie nos sociétés. Cette dynamique est désormais visible à l’œil nu et place les questions agricoles et alimentaires au premier plan d’une quête de résilience qui ne fait que s’amorcer.

Alors que les modèles agricoles et alimentaires historiques s’efforcent de résister à l’accélération des  tensions et des crises, de nouveaux modèles alternatifs émergent et se fédèrent autour de “tiers-lieux alimentaires” sur tous les territoires.

Qu’est-ce-qu’un tiers-lieux alimentaire ?

Le terme « tiers-lieu », originaire des Etats-Unis, provient de l’anglais « third place ». Le tiers-lieu est défini par le sociologue Ray Oldenburg à la fin des années 80, comme un lieu où les personnes se plaisent à sortir et se regrouper de manière informelle. Ce sont des lieux du faire ensemble : des leviers d’innovation grâce aux espaces partagés qu’ils offrent, des lieux de rencontres et de partage qui encouragent aux collaborations et aux projets collectifs.

Le Groupement d’intérêt public France Tiers-lieux évoque un nombre en croissance exponentielle de 3.500 tiers-lieux en 2022 pour 1.800 en 2018. Ces lieux se situent à 55% hors des métropoles, et combinent des fonctionnalités variées : coworking (75%),  activités culturelles (69%), innovation écologique et économie circulaire (49%), innovation sociale (45%), relocalisation de métiers de l’artisanat (49%), formation et inclusion (60%). France Tiers-lieux estime que 20% d’entre eux (soit 700 environ) proposent des activités agricoles (9%) ou en lien avec l’alimentation (14%).

Les tiers-lieux alimentaires sont de nature très variés pouvant assurer plusieurs fonctions que nous distinguons chez FoodBiome en 3 grandes familles : 

  1. Produire & Régénérer : agriculture agroécologique urbaine et péri-urbaine, valorisation des coproduits et des biodéchets…
  2. Nourrir & Éveiller : transformation alimentaire de proximité, foodcourt en circuit-court expérientiel, ateliers agricoles et culinaires, cuisines partagées, programmation culturelle et événementielle…
  3. Innover & Former : incubation de projets innovants, foodlabs permettant de prototyper de nouvelles offres alimentaires, structuration de projets coopératifs locaux, formation aux nouveaux métiers de l’agriculture et de l’alimentation…

4 exemples de tiers-lieu alimentaires inspirants…

Les tiers-lieux alimentaires inspirants sont nombreux; nous avons sélectionné 4 exemples dans 4 régions françaises, illustrant la variété des modèles possibles :

  • L’écopole Edenn à Toulouse rassemble 12 organisations professionnelles (entreprises, structures de l’économie sociale et solidaire, exploitation agricole) au service de la vision d’une ville plus nourricière, plus vivante, plus solidaire.
Ecopôle Edenn à Toulouse (Source : site internet de l'Ecopôle)
  • La Ferme du Bonheur à Nanterre est un lieu ouvert accueillant à la même table les publics avertis et les exclus ; pratique avec la même exigence la culture sous toutes ses formes : théâtre, musique, danse cinéma, arts plastiques, la gastronomie, l’agriculture expérimentale, la recherche scientifique, l’action sociale, la pédagogie et la formation… Comporte des jardins ornementaux précieux, un verger, un potager aromatique et médicinal, une serre horticole…
La Ferme du Bonheur à Nanterre (Source : MIN LI- RE ©Rémy Golinelli, CG92/OLIVIER RAVOIRE)
  • Demain en main près d’Auray dans le Morbihan est un écolieu en construction qui a pour objectif la réalisation d’un écosystème complet de village rural intégrant habitat et activités économiques. Le tiers-lieu propose des stages et formations : potager et permaculture, cuisine des plantes sauvages, herboristes en herbe…
Demain en main, Auray (Source : site internet de Demain en main)
  • Le Talus à Marseille est un tiers-lieu de partage, de découverte et d’expérimentation d’une nouvelle façon de vivre et d’aménager la ville. Des chantiers participatifs et des formations y sont proposés : maraîchage, compostage, refuges biodiversité, ateliers bricolage, ateliers vannerie, greffe d’arbre, évènements culturels  et concerts…
Le Talus à Marseille (Source : bleu tomate)
Pourquoi la logique de tiers-lieux alimentaire est-elle essentielle ?

La chaîne alimentaire actuelle a spécialisé chaque maillon au sein de structures massifiées produisant une offre standardisée et désincarnée, déconnectée de la réalité du vivant. Changer de paradigme et imaginer un nouveau modèle alimentaire plus résilient, inclusif  et circulaire suppose d’associer deux dynamiques :

  • une prise de conscience globale de la chaîne alimentaire; il ne s’agit pas uniquement d’une approche conceptuelle via des conférences mais d’une reconnexion immersive et polysensorielle : toucher la terre de ses mains, transformer et cuisiner les produits agricoles, rencontrer et échanger avec des agriculteurs, des artisans, des restaurateurs…
  • le développement de projets hybrides, associant plusieurs profils d’acteurs et adressant différents enjeux; il s’agit ici de favoriser les rencontres et les collaborations, l’innovation de rupture et de le prototyper auprès d’une communauté de citoyens sensibilisés.

Ces tiers-lieux sont essentiels, toutefois, à l’échelle d’une ville moyenne ou d’une métropole régionale française, leur impact est insuffisant pour ouvrir une transition massive des chaînes alimentaires. 

Changer d’échelle et concevoir des pôles de résilience alimentaire !

Nous sommes convaincus chez FoodBiome qu’il est temps de les associer à un dispositif plus ambitieux que l’on nomme “pôles de résilience alimentaire”, combinant plusieurs types d’infrastructures de proximité :

  • des ceintures agricoles vivrières diversifiées en agroécologie qui combinent une réimplantation de fermes maraîchères et arboricoles et l’accompagnement à la diversification des grandes cultures vers les légumineuses, les céréales anciennes, les légumes de pleins champs, les plantes à fibres (lin, chanvre…)…
  • des hubs logistiques permettant une convergence des flux agricoles vers les bassins de consommation les plus proches puis une distribution de détail en mobilité douce;
  • des ateliers de transformation de proximité sur toutes les filières : abattoirs et ateliers de découpe (viandes, volailles, poissons…), légumeries et conserveries, meuneries et atelier de panification et pâtisserie-biscuiterie, laiteries…
  • de vastes espaces de distribution, de restauration et d’éveil ouverts au grand public : traiteurs locavores, cuisines partagées, magasins de producteurs et lieux d’acculturation pour reconnecter les mangeurs à leur territoire.

Dans cette perspective, certains tiers-lieux sont appelés à devenir l’épicentre d’un écosystème d’acteurs plus variés : les collectivités et associations mais aussi les agriculteurs du bassin de production, les acteurs économiques des filières et les entrepreneurs.

Lorsqu’ils existent, les marchés de gros constituent une brique structurante de cet écosystème et sont appelés à développer  de nouvelles fonctionnalités

  • C’est par exemple le sens de la création du pôle de transformation alimentaire sur le MIN de Montpellier en 2017 au sein de laquelle nous opérons la légumerie Agriviva.
  • C’est également l’ambition du projet Agoralim porté par la Semmaris que nous accompagnons en collaboration avec le Val d’Oise et de la communauté d’agglomération de Roissy Pays de France : il s’agit de créer une extension du MIN de Rungis au Nord de l’Ile de France pour développer un maillage d’implantation de transformation et de logistique en circuit-courts ainsi qu’un écosystème de services destiné à renforcer la résilience alimentaire francilienne.
  • On peut également citer l’initiative de la région Wallonne en Belgique de concevoir 3 pôles alimentaires en circuit-court à Liège, Charleroi et Namur. Nous aurons l’occasion de préciser ce projet dans un article dédié prochainement.

Ces pôles peuvent également se structurer à l’initiative d’une foncière publique ou privée détenant une importante réserve périurbaine. FoodBiome accompagne par exemple l’établissement public d’aménagement Paris-Saclay dans la programmation d’un pôle agricole et alimentaire de 73 ha, un département francilien dans l’aménagement d’un pôle de transformation de proximité ou encore une foncière privée sur l’aménagement de zones de 10 à 50 ha en proximité de 5 métropoles françaises. Dans chaque projet, le tiers-lieux alimentaire devient une brique d’un ensemble d’infrastructures plus global visant l’alimentation du plus grand nombre.

Quels sont les facteurs clés de succès d’un pôle de résilience alimentaire ?

Nous avons développé une approche méthodologique autour de 3 parti-pris très structurants:

  • Inscrire ces projets dans une compréhension approfondie des infrastructures existantes et des porteurs de projets du territoire, afin de développer des coopérations et des complémentarités et ainsi renforcer l’écosystème de projets émergents;
  • Formuler une intention stratégique précise et articulée qui constitue un socle de convergence pour  l’ensemble des acteurs du projet; aucune puissance collaborative durable ne peut naître d’un “consensus mou” ou de l’ambiguïté;
  • Structurer une gouvernance “tiers-de-confiance” reposant sur un modèle économique robuste et un leadership incarné; la gouvernance de ces projets est souvent portée par les collectivités et associations et nous constatons régulièrement qu’il n’est pas si simple d’élargir la gouvernance de ces projets aux acteurs économiques, aux entrepreneurs et au monde agricole traditionnel; c’est pourtant une condition du changement d’échelle.

Les tiers-lieux alimentaires produisent du lien, de la culture partagée, de la conscience des interdépendances et inspirent des projets visant de nouveaux équilibres. Ce sont des lieux où se cristallisent les nouveaux récits d’une transformation protéiforme et virale de nos chaînes alimentaires. Ces tiers-lieux constituent les germes de Pôles de Résilience Alimentaire plus importants, couvrant un spectre d’infrastructures plus large qu’il est temps de concevoir pour relier chaque bassin de production agricole à son bassin de vie.

Source image de couverture : site internet Le Talus