Ecotable : plus qu’un label, un réseau d’acteurs engagés pour une restauration écoresponsable

Entretien avec Fanny Giansetto, Co-fondatrice & Présidente d’Ecotable

Aujourd’hui, le secteur de la restauration fait face à de nombreux défis en termes de durabilité pour satisfaire sa clientèle. La demande croissante des consommateurs en produits locaux et durables au sein des établissements pousse ces derniers à transformer leurs pratiques (ex. approvisionnement local, réduction du gaspillage, utilisation d’emballages réutilisables). Un défi de taille, puisque seulement 1 % des approvisionnements des restaurants français se font en bio (Source : Agence Bio, 2023), alors que 30 % des clients privilégient les établissements écoresponsables et que plus de 80 % des consommateurs déclarent accorder une attention particulière à la traçabilité des produits qu’ils consomment (Source : Extensia, 2025). 

Seulement, plusieurs freins empêchent le secteur de la restauration de s’approvisionner localement et durablement : gestion des stocks complexe (selon les conditions climatiques ou la demande auprès des producteurs), variation des prix et surcoûts logistiques (absence d’économies d’échelle). S’ajoutent à cela d’autres obstacles socio-économiques comme la faible rétention salariale, la difficulté à embaucher et la hausse des prix des matières premières.

Un certain nombre d’initiatives voient le jour (ex. Terroirs d’Avenir, Promus, Broko, etc.) pour former un véritable maillage d’acteurs de la restauration engagée et entamer des transformations sur l’ensemble de la chaîne. C’est dans cet écosystème qu’évolue Ecotable en mettant en valeur et en accompagnant les restaurants qui engagent une réelle démarche socio-environnementale.

Fanny Giansetto - Source : Ecotable

Bonjour Fanny, pourrais-tu nous parler de ton parcours ? Quelle a été la genèse du projet Ecotable ?

À l’origine, je n’étais pas du tout destinée à faire de l’entrepreneuriat. J’ai fait un doctorat en droit, en me penchant plus particulièrement sur les questions de droit environnemental. D’ailleurs, je suis toujours enseignante-chercheuse en parallèle de mon activité chez Ecotable. C’est en participant à “l’Affaire du Siècle” en 2018 que je me suis rendu compte de l’impact immense de notre alimentation et du fait que la restauration avait son rôle à jouer. Pour rappel, 1/3 de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) sont liées à notre alimentation, que ce soit en amont des chaînes alimentaires ou en aval. Il était donc nécessaire que les restaurateurs changent de paradigme dans leur activité professionnelle mais aussi pendant leur formation, afin d’arriver à une restauration qui respecte les limites planétaires.

De ce constat est né Ecotable en 2019, entreprise de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), pour accompagner le secteur de la restauration (restauration individuelle, collective et événementielle) dans sa transition écologique. En parallèle, nous avons aussi créé l’association Communauté Ecotable qui a pour mission de faire progresser collectivement l’alimentation durable en France, grâce à un réseau de professionnels engagés. Aujourd’hui, l’association compte plus de 500 adhérents, qui ont la particularité d’être membres à vie.

Affichage de la labellisation Ecotable - Photo : Aurelio Rodriguez

La labellisation Ecotable a été l’une des premières activités que nous avons mises en place. Depuis 2019, plus de 700 macarons ont été décernés. Ce projet est parti du constat que de plus en plus de Français souhaitaient manger bio et local à la maison, en limitant leurs déchets, mais qu’une fois au restaurant, ils mettaient ces principes de côté. Ainsi, le label permet aux clients d’intégrer la démarche environnementale quand ils vont manger au restaurant, mais c’est aussi un moyen d’inciter les restaurateurs à s’engager dans leur transition écologique.

In fine, le projet Ecotable ne se contente pas seulement d’identifier et de classer les restaurants écoresponsables. Quand nous avons été voir les établissements, l’idée d’un label environnemental a été très bien reçue, mais les restaurateurs rencontrés nous disaient souvent qu’ils n’avaient pas seulement besoin d’être mis en avant, mais aussi d’être accompagnés dans la réduction de leur empreinte carbone. C’est ainsi qu’est née la partie conseil et accompagnement d’Ecotable, dédiée aux grands groupes de restaurants mais aussi aux grossistes alimentaires et aux collectivités.

Au P’tit Resto - Photo : Stéphanie Biteau

À présent, Ecotable, c’est bien plus qu’un label… c’est une approche holistique et globale pour accompagner l’ensemble des acteurs du secteur de la restauration dans leur démarche écoresponsable : des analyses d’impact environnemental des établissements, une activité de conseil personnalisée, de la mise en réseau avec des fournisseurs engagés, de la formation auprès des professionnels ou des futurs restaurateurs, des événements comme le Palmarès Ecotable et de la sensibilisation des consommateurs via le podcast “Sur le Grill d’Ecotable”. Depuis sa création, nous avons fédéré une forte communauté de restaurateurs et accompagné plus de 800 restaurants dans leur transition écologique, de Paris et Marseille, et bientôt jusqu’à Toulouse et Lille.

Pourrais-tu nous en dire plus sur le modèle Ecotable, quelle est la ventilation des différentes activités qui viennent l’équilibrer ? Quels sont les défis auxquels vous faites face dans le secteur de la restauration ?

Bien sûr. 

Comme je le disais un peu en introduction, Ecotable a différentes activités génératrices de revenus : 

  • La labellisation et les évaluations d’impact.
  • Le conseil personnalisé.
  • La formation.

Sur la labellisation, qui reste l’activité historique d’Ecotable, il faut compter en moyenne 1 000 € HT par an pour un restaurant. Aujourd’hui, l’un de nos défis majeurs est de parvenir à équilibrer notre modèle économique. La restauration est un secteur complexe qui a été très touché par les récentes crises économiques (Covid-19, guerre en Ukraine, inflation, etc.). Son enjeu principal est la question budgétaire,  ainsi lorsqu’il s’agit de réduire les dépenses, les labels sont souvent les premiers postes de dépense à être supprimés. Il est donc crucial de démontrer la valeur ajoutée que nous apportons aux restaurateurs, et de quantifier cette valeur. Nous avons le sentiment que la labellisation Ecotable, en prenant en compte divers critères sociaux et environnementaux, permet d’attirer une clientèle soucieuse de sa consommation, mais aussi de mieux retenir les salariés dans un secteur où la main-d’œuvre est en tension. Cependant, nous avons encore du mal à valoriser cet aspect et nous y travaillons activement.

Matthieu Pasgrimaud, Restaurant Dyades - Photo : Arthur Pequin

Nous développons plusieurs façons de créer de la valeur pour nos restaurateurs, par exemple, en proposant un annuaire de professionnels engagés auxquels les établissements peuvent faire appel pour leur approvisionnement. Nous misons également sur le côté humain de notre activité événementielle : par exemple, le Palmarès Ecotable, organisé chaque année, vise à créer une réelle communauté entre les acteurs du secteur et à augmenter leur visibilité. Plus récemment, nous avons débuté la commercialisation d’une calculatrice d’impact carbone par recette à destination des chefs. La législation, même si elle évolue lentement, est aussi un autre moyen de renforcer notre plus-value auprès des restaurateurs car nous pouvons les informer et les accompagner dans leur mise en conformité. Toutefois, malgré leur motivation, entre le budget alloué pour la mise aux normes et le manque de contrôle pour le respect de ces normes (ex. le tri des biodéchets depuis janvier 2024), certains peuvent se décourager dans leur démarche. Si la législation était plus rigide, Ecotable deviendrait un acteur incontournable pour le secteur de la restauration.

Par ailleurs, l’un des autres axes de développement chez Ecotable est la mise en place de collaborations avec des villes, et plus largement des collectivités. Par exemple, nous travaillons déjà avec Paris, Marseille, Bordeaux, Angers, Lyon et Grenoble, et nous avons un partenariat avec Provence Tourisme (liste complète ici). Avec ce type de partenariat, les collectivités financent une partie ou la totalité de la labellisation et de l’accompagnement de leurs restaurants, leur permettant d’amorcer une démarche écoresponsable avec moins de contraintes d’investissement.

Quels sont vos objectifs pour l’avenir et comment envisagez-vous l’évolution d’Ecotable ? Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

A l’heure actuelle, notre logique d’évolution porte sur l’amélioration de l’existant plutôt que la création de nouveaux outils. Nous souhaitons continuer à augmenter notre notoriété et notre visibilité, notamment en renforçant nos partenariats avec les collectivités et en développant notre activité événementielle. Pour amplifier notre impact dans le secteur, il faut également mettre toutes nos forces commerciales vers la restauration collective et les grands groupes privés. Ecotable est déjà une référence chez les restaurants engagés et auprès des consommateurs aguerris sur les questions socio-environnementales, mais notre objectif c’est aussi de sortir de ce cercle-là et de toucher un public plus large. Il y a 150 000 restaurants en France et Ecotable en accompagne 700, donc il nous reste une belle marge de progression pour quadriller l’ensemble du territoire.

En tant qu’entreprise à impact, notre volonté c’est de réussir à embarquer le plus de monde avec nous dans la bonne direction. C’est pour cette raison que nous ne voyons pas vraiment les autres labels écoresponsables comme des concurrents, nous nous connaissons tous dans le secteur et travaillons en bonne intelligence pour atteindre le même objectif. Au-delà des restaurants, nous aimerions toucher le secteur au sens plus large, dont les industries agro-alimentaires, pour créer une dynamique vertueuse autour de l’alimentation durable.

💡 L’avis de FoodBiome ?

Ecotable est un acteur essentiel de la transformation d’un maillon critique dans les chaînes alimentaires, la restauration. Moins de 1% des restaurants s’approvisionnent en bio, et ceux qui travaillent à l’ardoise en fonction des arrivages du jour sont peu nombreux. La nécessité de faire évoluer la restauration est donc bel et bien là. En définissant les standards de durabilité à atteindre, et en mettant à disposition les outils pour progresser, Ecotable agit sur un levier systémique de transformation de la restauration, et peut susciter le désir d’un changement chez les restaurateurs.

Néanmoins pour atteindre la pleine puissance de cette démarche, il est crucial d’aller au-delà de la labellisation. C’est ce qu’à compris Ecotable en proposant des formations continues aux (futurs) professionnels du secteur, en accompagnant sur l’optimisation de la logistique pour faciliter l’approvisionnement local, et en collaborant avec diverses structures (villes, grandes marques, etc.).