La Ferme de l’Envol, une ferme agroécologique au coeur d’un territoire aux grandes ambitions

Entretien avec Ambre Germain, directrice de Fermcoop

Bonjour Ambre, peux-tu nous raconter ce qu’est la Ferme de l’Envol et l’origine du projet ?

Bien sûr ! En quelques mots, la Ferme de l’Envol, c’est une exploitation agricole basée en Essonne (91), dont la vocation est de concrétiser un projet agri-alimentaire ambitieux. Nous nous sommes fixés des lignes de conduite dès le début pour faire que ce projet soit viable et socialement juste. Par exemple, du côté social, l’objectif a été très clair dès le début : garantir à l’agriculteur un salaire fixe supérieur ou égal à 2500 € net afin de montrer qu’un modèle protecteur des paysans peut être opérationnel. Cette ferme agroécologique tient son nom de son ancien usage. En effet, cet ancien centre d’Essai en vol à Brétigny-sur-Orge a fait l’objet d’un projet de réhabilitation par Cœur d’Essonne.

La ferme de l'Envol Ferme
Photographie de la Ferme de l'Envol au bord de la base 217
La ferme de l'Envol
Photographie de la Ferme de l'Envol au bord de la base 217

Fin 2015, l’Etat cède l’ancienne base 217 à Cœur d’Essonne agglomération c’est-à-dire pas moins de 300 hectares au sud de l’île de France avec un potentiel de réhabilitation intéressant.  Dans la foulée, Cœur d’Essonne a été lauréat du projet TIGA (Territoire d’Innovation de Grande Ambition) pour la conversion de 75 hectares vers une ferme agroécologique pionnière. Coeur d’Essonne avait mandaté pour l’occasion Fermes d’Avenir, une association spécialisée dans le conseil en agroécologie afin de concevoir la programmation de cette ferme et de ses activités. Le projet de l’Envol était le modèle de départ d’un programme encore plus large mené par l’agglomération : le programme Sésame qui vise à faire de Cœur d’Essonne Agglomération, un territoire pionnier de la transition agricole et alimentaire.

La ferme de l’Envol historique
Historique du projet de la Ferme de l'Envol

Aujourd’hui, la Ferme de l’Envol poursuit ces ambitions et s’attache à ces principes. La majeure partie des activités tournent pour l’instant autour du maraîchage, mais l’ambition à termes, est de faire naître et rendre viable un projet alimentaire accueillant transformation et restauration autour de l’activité de la ferme. La diversité de ce programme mettrait ainsi à l’honneur les synergies entre chacune de ces activités pour un modèle plus vertueux. 

On essaie de faire passer à l’échelle les modèles d’agroécologie pour démontrer que ce sont des alternatives crédibles, pertinentes et nécessaires pour l’agriculture de demain. L’idée est de bâtir sur un même site, une micro-filière circuit court et quasiment autonome de la fourche à la fourchette. C’est une promesse énorme et tout reste à faire face au système agri-alimentaire actuel, qui est à l’opposé de tout cela et où chaque maillon est individualisé. Pour aller plus loin dans cet objectif de recherche appliquée nous mettons en place des outils afin d’analyser notre modèle. C’est le cas notamment avec notre comptabilité à trois entrées. Ce modèle vise à intégrer trois dimensions dans la gestion et la mesure de la performance de notre projet de l’envol : le capital financier, le capital social et le capital environnemental. Contrairement à la comptabilité traditionnelle qui se concentre principalement sur les aspects financiers, cette approche permet d’évaluer de manière plus complète l’impact d’une organisation sur la société et l’environnement, en plus de sa rentabilité économique. À travers cette démarche nous essayons de promouvoir une façon plus durable et holistique de considérer l’impact de notre projet sur nos ressources. Enfin, nous essayons de solliciter des outils de mesure de qualité du sol, d’évolution de la biodiversité afin de quantifier et qualifier l’impact environnemental de cette ferme agroécologique.

Peux-tu nous présenter un petit peu plus en détail le fonctionnement de la ferme maraîchère ?

Sur les 75 ha du projet, nous en exploitons aujourd’hui 50. 12 ha sont véritablement exploités en maraîchage et le reste est en jachère ou en conversion. Nous misons sur des modes de cultures diversifiés comme la culture plein champ, adaptée aux grandes cultures et disposons de serres maraîchères. La surface dédiée à la culture plein champ est de 6 à 7 ha et nous cultivons le reste de nos fruits et légumes dans nos 12 serres d’environ 1000 m2 chacune. Le reste du foncier est dédié aux bâtiments d’accueil, de stockage des légumes, de logements des salariés et à une zone de cueillette à l’entrée du site. La culture en serres nous permet de prolonger nos cultures c’est d’ailleurs pour cela que vous voyez encore des tomates sous nos serres aujourd’hui, alors que nous sommes en octobre. Pour votre information, les données de 2023 annoncent un chiffre d’affaires de 600 000€ pour 200 tonnes de fruits et légumes sortis de terre. Cette diversité de modes de productions nous permet de répartir nos risques économiques comme lors de pertes dues aux intempéries par exemple où la culture en champ est menacée.

La ferme de l'Envol 2
Photographie de la production maraîchère de la Ferme de l'Envol
La ferme de l'Envol légumes
La ferme de l'Envol panier
Photographie de la production maraîchère de la Ferme de l'Envol

Une fois sortis de terres, nos fruits et légumes sont stockés dans notre chambre froide ou directement vendus. Depuis le début de cette ferme agroécologique, les premiers bénéficiaires de nos produits sont nos sociétaires au sein de la SCIC, c’est-à-dire nos restaurateurs que l’on livre chaque semaine dans Paris intra muros. De la même façon, depuis 2 ans, un tiers de la production est proposée en vente directe sur notre ferme. Enfin, le dernier tiers de nos canaux de vente est destiné aux paniers AMAP, un format d’abonnement mensuel garantissant un panier par semaine pour le client et protégeant l’agriculteur avec un revenu garanti en début de mois. Une nouvelle fois, nous avons essayé de réfléchir à la promesse sociale avant toute chose, remercier nos sociétaires et protéger nos producteurs surtout pour le maraîchage, un mode de production assez fragile de par sa complexité. Grâce à cette diversité, nous essayons de limiter les surplus et en cas d’excédents, nous sollicitons des associations impliquées dans la souveraineté alimentaire.

Tu évoquais une gouvernance sous forme de SCIC, peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Pour ce qui est de la gouvernance, il y a deux structures principales pour la gestion du projet : une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) sous le nom de Fermcoop et une SCOP (Société Coopérative de Production), la Ferme de l’Envol elle-même. Le foncier appartenant à Cœur d’Essonne est payé par la SCIC avec un bail emphytéotique de 50 ans. Sous cette structure travaillent 5 salariés – dont moi même – chargés de la gestion administrative et au développement du projet. La SCIC met ainsi à disposition ce loyer à la SCOP. La SCOP est indépendante et n’est dédiée qu’à la partie production de la ferme, elle regroupe les maraîchers et les producteurs. Ce format juridique permet une protection sociale pour les salariés puisque l’administratif et les charges extérieures ne sont pas portées par la SCOP. Ainsi, lors de l’installation d’un producteur associé sur cette ferme agroécologique, celui-ci investit un capital participatif de 10 000 € et lors de son départ, ce capital est récupéré via l’investissement dû à l’installation du prochain. Cela rejoint la promesse de protéger les salariés et les agriculteurs par un système social et juridique réfléchi. C’est ainsi qu’Éric et Laurent, 2 maraîchers indépendants du coin ont pu rejoindre l’aventure et poser les premières briques en termes de production maraîchère. Cela enlève une énorme épine du pied à un système agricole qui voit chaque année son nombre d’exploitants diminuer en partie à cause de cette question de l’installation et de la transmission.

La ferme de l'Envol orga
Organigramme de la structure juridique
La ferme de l'Envol équipe
Équipe de la Ferme de l'Envol

Quelles sont vos ambitions à court et moyen termes pour la Ferme de l’Envol ?

La Ferme de l’Envol est pleine d’ambition mais la volonté à court-terme est de gagner en robustesse sur ce qui est fait avant de s’aventurer sur d’autres projets. En effet, la SCOP fonctionne quasi totalement mais nous n’avons pas de budget dédié au développement et à l’optimisation. Sur le long terme, l’ambition est de réaliser ce qu’avait déjà imaginé au moment du TIGA, Cœur d’Essonne via Sésame et Fermes d’Avenir c’est-à-dire faire émerger un lieu multiservice. Nous aimerions exploiter les 50 ha d’un seul tenant afin de développer dans un premier temps l’élevage ovin et volailles avec un atelier de transformation dédié.

schéma ferme de l'envol
Schéma du projet long-terme imaginé pour la Ferme de l'Envol

Ce projet est déjà en cours et permettrait d’établir des synergies précieuses en utilisant la matière organique issue de l’élevage pour le maraîchage. Ensuite, l’idée serait de consacrer 15 à 30 ha de cette surface à une production céréalière avec un atelier de transformation sur site pour développer une filière “pain”. L’agroforesterie, déjà présente sur le site, tend à se développer davantage en imaginant pourquoi pas de l’arboriculture. L’idée est surtout de faire interagir ces différentes productions afin d’optimiser le système. Enfin, nous aimerions accueillir du public à travers une offre de restauration et d’événementiel pour sensibiliser aux enjeux de l’agriculture et de l’alimentation et essaimer ce projet à travers la région et au-delà.

ferme de l'envol événementiel
Illustration des événements ponctuels organisés sur le site

L’avis de Foodbiome

Nous soutenons vivement ce projet qui restaure le lien alimentation-territoire à travers un lieu invitant à l’innovation et à la coopération et réunissant les maillons de la chaîne alimentaire. Comme de nombreux autres projets de cette nature, la fragilité des modèles économiques et la difficulté de financement peuvent induire un risque d’essoufflement et la non-atteinte d’une taille critique suffisante. D’une façon plus générale, nous observons que les projets territoriaux à grande ambition (TIGA, Démonstrateurs de territoire, PAT structurants …) éprouvent fréquemment une difficulté à mobiliser les acteurs économiques et les financements privés pour structurer une densité d’initiatives à la bonne échelle. C’est dans cette logique d’action que les équipes de Foodbiome sont pleinement mobilisées en combinant les expertises d’un bureau d’étude, un incubateur de modèles entrepreneuriaux innovants, un écosystème de partenaires économiques et financiers et une posture de leader tiers-de-confiance permettant de fédérer des dynamiques collaboratives.

Ce sujet vous intéresse ? Découvrez d’autres de nos publications :