Entretien avec Sophie Cazenave, Directrice du Panier de la mer 62
Bonjour Sophie, pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte a été créée le chantier d’insertion le Panier de la mer 62 ?
Bien sûr, je commencerai par quelques chiffres sur Boulogne-sur-Mer, qui est le 1er port de pêche artisanale en France (au coude à coude avec Lorient). Il accueille sur sa zone portuaire, nommée Capécure, plus de 100 bâteaux de pêche et 120 entreprises de mareyage, négociants ou transformateurs autour de la valorisation des produits halieutiques. Ce carrefour essentiel entre l’Europe du Nord et Rungis génère de gros flux de marchandises. D’après le site officiel de la zone portuaire, il s’agirait de 380 000 tonnes de matière transformée chaque année, dont 150 espèces différentes de poissons, céphalopodes, coquillages et crustacés. Et forcément, cette activité majeure dans la région génère d’importants volumes de denrées invendues, à l’échelle de ses flux.

Cela nous amène au moment où des organismes d’aide alimentaire ont commencé à chercher le moyen de récupérer les produits débarqués en criée, qui pour cause de non vente se voyaient être détruits. C’est le cas de Brigitte Bourguignon, qui avant de devenir la présidente fondatrice du Panier de la mer 62, s’occupait déjà d’une épicerie solidaire en 2000. Mais le cadre réglementaire européen était très contraignant ; si les associations souhaitaient récupérer les invendus de la criée, ces derniers devaient être en l’état (autrement dit “brut”, en caisse de bord glacées de 30 kg). Ce qui n’est pas adapté au cadre de la distribution dans ce genre de structure, qui ont besoin que le poisson soit un minimum transformé. Il manquait donc un chaînon intermédiaire autre que de la prestation classique, qui est trop onéreuse pour ces associations. C’est alors qu’au hasard des rencontres, lors d’une remise de prix pour son épicerie, que Brigitte a rencontré le fondateur du 1er Panier de la mer. Cet organisme avait ouvert un an plus tôt au Guilvinec, et nourrissait l’espoir d’essaimer son modèle : créer un chantier d’insertion pour que la transformation de ces produits soit un support de formation et d’accompagnement de personnes en difficultés d’accès à l’emploi.
Voici l’histoire du chantier d »insertion Le Panier de la mer 62, basée sur un triptyque vertueux : Valoriser une ressource, Créer de l’emploi et Soutenir l’aide alimentaire.
Il existe d’autres paniers de la mer dans d’autres régions côtières de France, quel est votre lien avec ces structures ?
Actuellement il y a 5 Paniers de la mer, situés à Fécamp, Lorient, Penmar’ch, St Malo, et bien évidemment Boulogne-sur-Mer. Chacun des “Paniers” sont des associations loi 1901, agréées par l’Etat ACI Atelier Chantier de d’Insertion. Bien qu’indépendantes les unes des autres, elles ont toutes le même objet social, et ont donc décidé de s’associer pour la création de la Fédération Nationale. Ses objectifs principaux sont d’organiser le réseau et d’encourager son développement, notamment au travers d’une légitimation de nos actions au niveau national par les pouvoirs publics et les filières de la pêche. C’est d’ailleurs la Fédération qui porte l’habilitation nationale à pouvoir gérer l’aide alimentaire et qui en organise la distribution nationale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre chantier d’insertion, et sur les contraintes auxquelles vous faites face ?
Quand nous avons démarré en 2002, nous n’avions pas beaucoup d’équipement ; juste quelques tables de filetage, une chambre froide et une équipe de 8 salariés. Nous avions la contrainte de redistribuer le produit à l’état “frais” comme en poissonnerie. Ce qui signifie qu’il doit rapidement être consommé, et que sa conservation demande une attention particulière. Or, les organismes de distributions alimentaires qui sont les destinataires de nos produits ont également des contraintes, qui s’additionnent aux nôtres. De ce fait, on a constaté que les denrées n’étaient pas toujours récupérées. Ou alors que les jours où nous avions de forts volumes tombaient parfois lors des fermetures des centres de distributions. Mais comme nous connaissons les personnes à qui nous distribuons nos produits, nous avons l’occasion d’échanger avec eux sur de potentielles évolutions.
C’est pourquoi nous avons assez rapidement décidé de déménager le chantier d’insertion dans un nouveau local nous permettant d’investir dans un surgélateur. À partir de là, les volumes distribués n’ont cessé de croître. De nouveaux partenariats ont été noués avec des entreprises agro-alimentaires pour compléter les produits issus des criées Nord de France, par des coproduits issus des chaînes de transformation (comme de la coupe de filet qui serait “hors taille”, ou selon le cahier des charges client). A ce jour, l’équipe de 8 personnes en parcours et leur formateur collectent 142 T de denrées ; 34 T issues des criées et 108 T issues des entreprises agroalimentaires. Ensuite, nous redistribuons 116 T de poissons surgelé en sachet de 1 kg aux associations d’aide alimentaire, moyennant de leur part une contrepartie de 2,3€/kg. Quel que soit le produit et quel que soit le lieu de livraison, tout est inclus.

Justement, parlez-nous des activités parallèles que vous menez au sein du chantier d’insertion ?
En parallèle de notre atelier “Marée” nous avons proposé aux structures partenaires des ateliers cuisines au sein du chantier d’insertion, dans le but de répondre à la problématique du manque de connaissance culinaire des bénéficiaires. En effet nous avions compris que cela représente un des freins à la consommation du produit. De fil en aiguille ces temps ont été orientés vers des ateliers “Santé” de sensibilisation à une meilleure alimentation. Notre action Mangeons Bien Ensemble touche actuellement plus de 1500 personnes autours de 300 ateliers (cuisine, alimentation, sophrologie, activité physique..)
Ces derniers s’adressent majoritairement à des publics en difficulté, et malheureusement le Nord de la France fait partie des régions les moins favorisées. L’un des constats que nous retrouvons souvent chez les familles cuisinant peu de produits frais est qu’elles ne se sentent pas assez qualifiées pour cela. Elles ont une sorte de croyance limitante que la “bonne cuisine” faite maison se doit d’être un processus compliqué et savant, ce qui rend de nombreuses pratiques inaccessibles dans leur imaginaire. Dans ce contexte, notre mission va être de leur donner confiance en leur capacité à cuisiner des produits frais à la maison. Notre chantier d’insertion est basé sur des modèles d’atelier courts et ponctuels qui nous permettent de toucher de nombreuses personnes, dans une logique d’essaimage. Même si nous aimerions également pouvoir faire des modèles d’atelier plus longs, de façon à suivre des familles sur plusieurs semaines. Cela permettrait de les accompagner dans l’ancrage de ces nouvelles habitudes plus saines.

Toujours dans l’évolution de nos actions, les ateliers cuisine nous sont apparus comme un support intéressant de prise de confiance en soi, d’où la création de notre activité traiteur. Cela fait maintenant une dizaine d’années que cette activité est devenue un autre support d’insertion. À la différence que notre clientèle est sur le secteur marchand, contrairement à notre poisson qui est exclusivement destiné aux associations d’aide alimentaire. L’équipe de 5 salariés en parcours et leur formatrice préparent cocktails, plateaux repas, ou encore des lunchs, qui peuvent être destinés aux particuliers, aux entreprises, ou aux collectivités.
Enfin, la dernière activité du chantier d’insertion que nous avons développée est un restaurant associatif. Nous avons repris l’activité d’un cet établissement existant il y a deux ans, alors qu’il était porté par la commune d’Outreau. La Pause rest’O est situé dans la galerie commerciale d’une supérette, et offre un support d’insertion pour 4 salariés et leur formateur. L’objectif est de cuisiner des plats simples, mais frais et faits maison, avec une majorité de produits locaux issus de circuits courts. Ouvert du lundi au vendredi uniquement le midi, nous avons très vite trouvé une clientèle. Pour conclure, l’ensemble de nos activités représentent nos valeurs : bien manger, faire vivre le territoire dans lequel nous sommes, et accompagner vers l’emploi.

L’avis de FoodBiome
Nous avons rencontré Sophie à l’occasion d’un projet proche de Boulogne-sur-Mer et l’influence de Panier de la Mer 62 se fait sentir sur tout le territoire boulonnais. Ce chantier d’insertion s’inscrit tout à fait dans notre vision d’ancrage territorial en proposant une solution dimensionnée à l’échelle locale. En effet, c’est en réponse à un enjeu de valorisation d’invendus que Le PLM 62 s’est développé, à un enjeu d’insécurité alimentaire que l’activité de traiteur s’est proposée puis à un enjeu d’éducation alimentaire que les ateliers de cuisines sont apparus. Cette structure répond à un véritable besoin territorial et crée en plus de cela de la valeur sociale et environnementale.