L’Agri-parc d’Auzeville : un pôle dédié à l’agriculture durable en bordure de Toulouse

Entretien avec Camille Aubertin, chargée de mission politique agricole territoriale au Sicoval.

C’est à Auzeville-Tolosane, près de Toulouse, que se met en place un projet d’Agri-parc depuis 3 ans. Ce terme désigne un pôle agricole de presque 70 ha, réunissant 8 projets différents en bord de ville. Ce projet est porté par un conglomérat d’acteurs locaux. Parmi eux, le Sicoval, communauté d’agglomération qui regroupe 36 communes du Lauragais, au sud-est de Toulouse. Camille Aubertin, ingénieure agronome diplômée de l’AgroToulouse (ENSAT), y occupe le poste de chargée de mission politique agricole territoriale. Nous l’avons interrogée pour en savoir plus sur l’historique de ce projet, ses ambitions et les évolutions qu’il a connues depuis sa conception. 

Localisation du site de l’Agri-parc

Bonjour Camille, pouvez-vous vous présenter, et nous indiquer vos missions au sein du Sicoval ? 

Le poste que j’occupe au Sicoval n’est pas courant dans les communautés d’agglomérations. S’il est très courant d’y trouver un chargé de Projet Alimentaire Territorial (PAT), il est rare qu’il y ait une personne dédiée exclusivement au sujet de l’agriculture. Cependant, la création et le maintien de ce poste sont particulièrement justifiés par la prédominance des zones agricoles sur le territoire du Sicoval. De plus, la commune d’Auzeville accueille l’Agrobiopole, un pôle réunissant plusieurs structures dédiées à la recherche et à l’enseignement en agriculture et agro-ressources telles que l’INRAE, l’AgroToulouse (ENSAT), le lycée agricole,le pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation, la SAFER, ou la Chambre régionale d’agriculture, ainsi que des entreprises privées du secteur.

Le Sicoval travaille régulièrement avec ces acteurs. Par exemple, nous accompagnons la Chambre d’Agriculture sur l’identification de foncier et de subventions en vue de créer un abattoir de volailles et soutenir la filière sur le territoire suite à la récente vague de fermeture d’abattoirs provoquée par un durcissement des exigences réglementaires. Autre exemple, nous avons dernièrement gagné un appel à projet de l’ADEME pour travailler avec la Chambre d’Agriculture et l’association SOLAGRO sur l’accompagnement des agriculteurs à l’adaptation au changement climatique. 

logosicoval
Logo du Sicoval

Abordons maintenant le cœur du sujet : l’Agri-parc. Comment est née l’idée de créer un pôle dédié à l’agriculture durable sur ce terrain ? 

La commune d’Auzeville porte une politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement forte sur son territoire. De son côté, l’intercommunalité a mis en place un Projet Alimentaire de Territoire dans lequel certains des projets de la commune s’inscrivent. L’un des facteurs essentiels ayant motivé le projet de l’Agri-parc était la dimension du terrain et sa localisation périurbaine. Les fonciers agricoles d’une telle superficie sont de plus en plus rares en périphérie de Toulouse où ces terres sont plutôt fragmentées. Les élus ont souhaité préserver l’usage agricole de ce terrain et y réunir des projets diversifiés et mettant en œuvre des techniques innovantes. Pour cette raison, un cahier des charges a été établi pour encourager des méthodes de production économes en intrants, et qui participent à la préservation de la biodiversité et des sols. 

Quels sont les principaux défis agricoles et alimentaires de votre territoire ? 

Pour notre collectivité, les deux problématiques principales à ces sujets sont le manque de diversification et de productions tournées vers les circuits courts. Près de 90% de nos assolements sont des grandes cultures, dont 80% sont du blé et du tournesol, nous ne sommes pas sur un territoire bocager, mais plutôt un paysage de grandes parcelles cultivées avec quelques tronçons de haies et arbres isolés. De plus, les céréales produites sur le territoire sont majoritairement exportées et très peu sont consommées dans la région. À ma connaissance, il n’y a que deux producteurs de céréales qui font de l’ensachage et de la vente en circuit-court. En plus de ça, l’agriculture biologique est encore assez rare (autour de 7%), donc développer des alternatives aux méthodes conventionnelles reste aussi un enjeu à prendre en compte sur notre territoire. 

Revenons un instant sur le terrain où l’Agri-parc prend place. Que s’y passait-il jusqu’ici et dans quelles conditions est-il devenu disponible pour accueillir le projet?

Le terrain était exploité en grandes cultures par une famille sans repreneur agricole qui a exprimé sa volonté de cesser son activité, et aucun membre de sa famille n’a souhaité la reprendre. La commune d’Auzeville a eu connaissance de cette opportunité et s’est rapprochée du Sicoval pour monter un projet agricole. La SAFER a acquis le terrain au nom du Sicoval, dans le cadre d’un portage foncier. 

Parcelles de l'Agriparc

Comment les porteurs de projets ont-ils été sélectionnés ? 

Une fois le terrain acquis par la SAFER, le Sicoval a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt afin de trouver des porteurs de projets. Les porteurs de projets ont pu déposer des dossiers qui ont été analysés en fonction d’une grille de critères (critères portant sur la réponse aux problématiques identifiées sur le territoire telles que la diversification des cultures et le développement des circuits de proximité) permettant d’attribuer des notes. Le processus s’est fait en 4 étapes :

1/ un comité technique composé de techniciens Sicoval et de techniciens et élus de la commune d’Auzeville ont émis un premier avis ;

2/ un comité de pilotage réunissant les élus du PAT du Sicoval et les élus d’Auzeville a émis un deuxième avis ;

3/ la SAFER, qui a une bonne connaissance de ce que le comité technique départemental souhaite encourager, a également donné son avis ;

4/ les avis étant favorables, une phase de discussions et de négociations s’est ouverte, principalement entre le Sicoval, les porteurs de projets et la SAFER : il fallait parfois définir ensemble des adaptations pour rendre les différents projets compatibles. 

Cette dernière phase a été longue mais tous ces échanges réguliers ont participé à tisser des liens solides entre les différents acteurs qui ont travaillé main dans la main pour constituer la mosaïque finale. 

L’un de nos objectifs au travers de l’Agri-parc est de diversifier les productions du territoire notamment en sélectionnant des porteurs de projets volontaires pour adopter une démarche qui va dans ce sens. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a parfois une différence entre ce qu’on rêverait de faire sur un terrain agricole, et ce que la réalité agronomique de ce terrain permet de faire. À l’origine, le rêve était d’avoir du petit élevage, qui côtoie des vergers et du maraîchage. Finalement après une étude des sols, menée par des étudiants de l’Agro Toulouse, et une étude de caractérisation de la ressource en eau, il s’est avéré que nous étions face à des coteaux argilo-calcaires pauvres en eau, à l’exception d’un vieux puit qu’il fallait réhabiliter. Il n’était donc pas envisageable d’accueillir un maraîcher. Grâce au puit nous avons pu installer un pépiniériste spécialisé en arbres fruitiers, dont le besoin en eau reste assez modeste, mais nous avons dû renoncer à l’élevage et aux légumes. 

Carte de l'attribution des parcelles

Creusons le sujet de la gestion administrative et financière de la propriété du terrain. Quel type de contrat lie les porteurs de projets qui occupent des parcelles sur ce terrain, avec la SAFER ou le Sicoval ? 

À chaque fois qu’un dossier a été validé par l’ensemble des décisionnaires, le porteur a pu acquérir sa parcelle. Il y a deux cas particuliers pour lesquels le processus d’acquisition n’a pas encore abouti à l’heure actuelle. Le premier est porté par le lycée agricole et le Conseil régional. Il n’a pas pu passer au budget 2025 de la région Occitanie. Mais celle-ci à néanmoins proposé de prendre en charge la moitié des frais de portage jusqu’à l’année prochaine. Le second cas concerne un agriculteur auquel le Sicoval permet de payer en deux échéances.

En attendant, une partie du terrain lui est louée et nous travaillons en ce moment-même à l’établissement d’un bail environnemental qui serait une incitation à adopter des pratiques de plus en plus écologiques : en remplissant des clauses optionnelles comme la plantation de haies supplémentaires, il obtient une réduction de loyer. Je suis allée le rencontrer pour discuter directement avec lui de ses méthodes actuelles et des potentielles difficultés impliquées par les changements que nous souhaitons encourager. 

Le projet implique de nombreux acteurs, de différentes natures. Comment s’est passée la coopération ? 

  • Le Sicoval était responsable du pilotage, c’est-à-dire de “provoquer les instances de gouvernance et réunion au gré des avancées”. L’idée était de prendre du temps pour échanger, en fonction du flux d’activité réel (notamment les dépôts de dossiers) plutôt qu’en suivant un calendrier préétabli de réunions.
  • La SAFER était plutôt “le partenaire technique sur le foncier”, notamment pour définir ce qu’il était possible de proposer comme contrats au porteurs, selon les différents temps du projet : commodats, servitudes par exemple.
  • Les élus du Sicoval et de la commune d’Auzeville étaient décisionnaires. 

Au début de l’été nous avons réuni les administrateurs et les porteurs de projet pour le lancement opérationnel. L’idée était de créer une rencontre entre les porteurs et de leur montrer que même s’ils étaient chacun responsable de leur parcelle, le Sicoval souhaitait garder un lien avec eux, les encourager à explorer les synergies possibles entre leurs activité : “les déchets de l’un peuvent être une ressource pour l’autre”. Ce fut également l’occasion de définir la vision globale du parc comme un lieu, certes de production, mais aussi de pédagogie, d’éveil et de rencontres entre les riverains et les agriculteurs. Il est prévu que ce type de temps de concertation soit renouvelé chaque année.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la vocation pédagogique du site ? 

Le Sicoval souhaite que toute personne qui passe à côté de ce site comprenne de quoi il s’agit, se sente libre de passer la porte et puisse découvrir facilement ce qu’il s’y passe. Pour cela, nous avons l’intention de mettre en place des parcours et des panneaux pédagogiques. Nous avons aussi proposé de mettre nos capacités de communication au service du site, et de prendre en charge un rôle d’animateur de la petite communauté formée par les porteurs de projets. Il y aura des chemins de randonnée qui passeront par le site. L’idéal serait que ce site participe à la construction de liens entre les agriculteurs et les habitants, qui déplorent chacun de leur côté la distance qui existe actuellement entre agriculteurs qui se sentent incompris et habitants qui les perçoivent parfois comme inaccessibles. Faire de ce site un lieu qui éveille le regard des gens sur l’agriculture est le plus gros défi qui reste à relever ! 

À quoi tient selon vous la réussite du projet jusqu’ici ? 

Avant tout à l’implication de la commune d’Auzeville, et certainement au lien humain qui s’est créé entre des acteurs qui avaient des contacts très réguliers et se sont impliqués quotidiennement pour répondre ensemble aux problématiques de chacun. 

Super, Merci Camille !

 

L’avis de FoodBiome

Avec la création de l’Agri-parc, la commune d’Auzeville participe à relever les défis auxquels elle fait face sur les sujets d’agriculture et d’alimentation. Préserver des terres agricoles en zones péri-urbaines, encourager l’adoption de pratiques agricoles plus écologiques ainsi que la mise en place de circuits-courts de proximité, et faciliter le lien entre agriculteurs et urbains. L’ensemble de ces enjeux sont communs à  de nombreux territoires. Jusqu’à maintenant, le pilotage du projet par le Sicoval a montré que la communication entre les acteurs, la flexibilité des dispositifs mis en place et la volonté d’œuvrer ensemble sont des facteurs clés de réussite. 

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