Champiloop réhabilite des lieux délaissés en champignonnières urbaines

Entretien avec Maxime Boniface, cofondateur de Champiloop.

Bonjour Maxime, peux-tu nous présenter Champiloop et nous en dire plus sur la genèse de votre projet ?

logo Champiloop

Avec plaisir ! Champiloop, ce sont aujourd’hui deux fermes urbaines situées à Eybens et Saint-Martin-d’Hères (en périphérie de Grenoble), qui produisent des champignons bio (pleurotes et shiitakés) dans un but productif et de sensibilisation. Nous sommes deux associés à l’origine du projet, complémentaires de par nos profils et nos compétences : 

  • D’un côté, Hamid, ingénieur agronome originaire d’Iran et passionné de champignons. Il s’est porté bénévole puis a repris en 2018 l’association GERM-Eybens qui exploitait la champignonnière des Caves de la Frise ;
  • Et puis moi même, Maxime, depuis toujours intéressé par l’entrepreneuriat et la culture de champignons. J’ai eu la chance de me former dans la cadre de mon Master chez Permafungi, une champignonnière Bruxelloise qui réutilise du marc de café pour en faire du substrat (support pour la culture de champignons, composé de diverses sources de matière organique). J’ai dédié mon mémoire à la “valorisation des propriétés biologiques des champignons pour en faire des entreprises utiles à la transition des territoires”. 
fondateurs Champiloop
Maxime et Hamid, co-fondateurs de Champiloop (source : Page Facebook Champiloop)

Après le premier confinement, en 2020, les ventes directes de la champignonnière d’Eybens ont explosé ; j’ai décidé de rejoindre Hamid à ce moment-là, au sortir de mes études, pour qu’on lance ensemble l’aventure Champiloop.

Concrètement, à quoi ressemble la culture des champignons ?

Le process de fabrication se résume en 4 étapes : 

  • Le substrat (support de culture des champignons) est d’abord préparé puis pasteurisé à 100°C pour éliminer tout micro-organisme qu’on ne souhaiterait pas voir se développer. Il se compose de matières organiques diverses (bio-déchets agricoles, paille, sciure de bois, tourteaux de noix, drêches de bière, marc de café…), adaptées à la culture de champignons saprophytes comme les pleurotes et les shiitakés.
  • S’en suit l’inoculation en salle blanche, c’est à dire l’incorporation du mycélium souche au sein du substrat, contenu dans des sacs en plastique.
sac à champignons
Exemple de substrat colonisé par du mycélium (source : site internet Champiloop)
  • L’incubation se fait ensuite par entreposage des sacs sur des étagères, à 20-25°C dans l’obscurité totale, pendant environ 2-3 semaines. Elle correspond à une colonisation et une  dégradation du substrat par le mycélium.
  • Enfin, la fructification, durant laquelle le fruit (le champignon), grandit et se développe. Elle nécessite de réunir pas mal de conditions : un changement d’éclairage toutes les 12h pour simuler l’alternance jour/nuit, une humidité à maintenir à 80-95% à l’aide de brumisateurs, une température de l’ordre de 13-17°C et un taux de CO2 inférieur à 800 ppm. A l’issue de cette étape, les champignons sont prêts à être récoltés manuellement.
sacs à champignons
Exemple d’étagères sur laquelle poussent des champignons dans la ferme de Saint-Martin-d’Hères (source : Page Facebook Champiloop)

Aujourd’hui on exploite deux lieux qui présentent des spécificités de production propres : 

  • Les Caves de la Frise à Eybens : 500 m2 dans un site patrimonial, un lieu assez contraint en termes de place et difficile à ventiler, mais bien adapté aux conditions de fraîcheur et d’humidité nécessaires aux cultures ;
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La Caves de la Frise à Eybens, champignonnière historique du projet (source : Page Facebook Champiloop)
  • La champignonnière du quartier Renaudie à Saint-Martin-d’Hères : 1 000 m2 de parking réhabilité, faisant d’elle la plus grosse champignonnière urbaine de la région Auvergne-Rhône-Alpes ! On a pu ouvrir ce lieu suite à notre nomination en 2021 en tant que lauréat du projet quartiers fertiles lancé par l’ANRU.
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Inauguration de la champignonnière du quartier Renaudie (source : site internet Champiloop)

L’intérêt de ce nouveau site, qui vient tout juste d’ouvrir cette année, c’est également d’avoir assez de place pour produire notre propre substrat à champignons. On prévoit de produire 2 tonnes de pleurotes par mois pour 8-10 tonnes de substrat par mois.

 

Quels sont les leviers selon toi pour réenclencher les filières locales de champignons sur les territoires ?

Plusieurs sujets sont à prendre au corps si on souhaite, demain, être autonomes sur ces productions.

La production de substrat en est un, car elle précède la production de champignons, et il ne reste plus que deux fournisseurs en France : Lentin de la Bûche dans l’Allier et Eurosubstrat dans les Côtes-d’Armor. Chez Champiloop on s’approvisionne au national mais le transport pèse tout de même très lourd d’un point de vue financier et environnemental. À titre d’exemple, ¼ de notre bilan carbone était dû au transport de substrat, avant que nous envisagions d’internaliser sa fabrication.

On est aussi convaincus qu’il y a un dimensionnement des nouvelles infrastructures et du réseau partenarial à réaliser à la bonne échelle. Mettre en place une champignonnière nécessite beaucoup d’investissements matériels, et on pense que les tous petits projets ne sont pas forcément viables économiquement. Une taille minimum est à envisager pour garantir des volumes de production intéressants et pouvoir livrer une zone importante tout en conservant un ancrage territorial.

pleurotes
Exemple de recettes mises en avant sur le site de Champiloop (source : site internet Champiloop)

Il y a aussi tout un travail de pédagogie à faire côté consommateurs et metteurs en marché, pour former aux recettes et façons de valoriser ces produits qui sont finalement assez méconnues. On ne le sait que très peu, mais les champignons sont par exemple extrêmement intéressants d’un point de vue nutritionnel : ils sont riches en antioxydants, faibles en calories, et stimulent fortement le système immunitaire. Sur ce sujet, on travaille par exemple avec une trentaine de restaurateurs sur la création d’un livre de recettes pour mettre en avant de nouvelles façons de cuisiner ces produits. On prévoit également de former le personnel de nos magasins partenaires de sorte à ce qu’ils puissent vendre correctement les bienfaits de ces aliments pour le corps et la planète.

Enfin, et comme pour tous les projets en lien avec l’autonomie alimentaire, la production locale doit faire partie des ambitions politiques, et bénéficier d’un soutien notamment financier de la part des pouvoirs publics, de sorte à favoriser la réimplantation de ces infrastructures onéreuses mais indispensables à la résilience de nos territoires.

Tu évoquais la double vocation productive et pédagogique de votre activité, peux-tu nous en dire plus ?

On souhaite vraiment contribuer à la relocalisation des filières de champignons français, produire assez pour nourrir les populations localement, et se passer des importations polonaises et hollandaises, aujourd’hui majoritaires sur le marché. Aujourd’hui on travaille en circuit court auprès de restaurateurs, grossistes et primeurs locaux, comme le Réseau Manger Bio Isère ou encore le Box Fermier. On s’adresse également aux particuliers via des AMAP, notre boutique en ligne, et en vente directe lors des visites et ateliers organisés sur le site.

Ces derniers, organisés plusieurs fois par mois, sont des temps d’échange qu’on adore, et qui nous permettent vraiment de sensibiliser les consommateurs (qui deviennent ensuite de supers ambassadeurs) aux bienfaits de ces produits et des démarches entreprises derrières leur production.

Quelles sont vos ambitions à moyen terme ?

Pour le moment, la priorité pour nous est de développer l’activité de la champignonnière du parking de Saint-Martin-d’Hères qui vient d’ouvrir. On réfléchit bien sûr à ouvrir des lieux ailleurs, toujours avec cette philosophie de réhabiliter d’anciens espaces et de travailler avec des acteurs locaux, mais ça viendra dans un second temps. À terme, on pense à diversifier également les natures de production : pourquoi pas des champignons de Paris ou d’autres variétés de champignons à haute valeur ajoutée comme les maitake, enoki, ou encore les crinières de lion.

L’avis de FoodBiome : 

Développer des modèles d’agriculture productifs, éthiques et économiquement viables en milieu urbain est un réel défi que relève Champiloop avec brio. En réhabilitant des espaces délaissés en faveur du développement de filières locales, ils apportent une solution concrète et pertinente pour tendre vers plus de résilience alimentaire tout en évitant de développer de nouvelles infrastructures et d’artificialiser les sols. Par ailleurs, leur approche s’inscrit pleinement dans une logique de circularité, au travers de leur production de substrat, revalorisant des coproduits comme des drêches ou des tourteaux, et permettant d’amender durablement les sols une fois la production de champignon terminée. 

Une initiative locale, engagée, et pensée à la bonne échelle, qu’on a hâte de voir essaimer !

Pour en savoir plus sur Champiloop, consultez leur site internet.

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