La ferme urbaine du Trichon : penser et créer une ville organique

Entretien avec Pierre Wolf et Anne-Sophie Van Rijn de la Ferme urbaine du Trichon.

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Bonjour Pierre et Anne-Sophie, pouvez-vous nous présenter brièvement la Ferme Urbaine du Trichon ?

A l’origine de la ferme urbaine du Trichon, il y a la coopérative Baraka où nous avons travaillé tous les deux. C’est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui s’est donné pour but de créer du lien social et de l’emploi à Roubaix en repensant notre manière d’habiter la ville. Pour poursuivre ce but, elle a construit un bâtiment bioclimatique qui abrite aujourd’hui un espace de coworking, des salles de réunion et un restaurant où tout est bio et fait maison, et qui s’approvisionne le plus localement possible.

Juste à côté de ce bâtiment il y avait un ancien parking en friche de 9000 m2 qui ne trouvait aucun preneur. Nous étions très intéressés par ce terrain et nous avons réussi à obtenir en 2015 une convention d’occupation transitoire de 2500 m2 pour pouvoir y installer la terrasse de la coopérative. Des sociétaires de la coopérative et d’autres parties prenantes ont alors fondé le Collectif des paysans urbain du Trichon et ont installé des jardins collectifs sur ce terrain, à partir de là toute la dynamique s’est amplifiée !

En 2021, nous avons signé un projet avec la Métropole Européenne de Lille (MEL) et des acteurs universitaires pour étudier la revalorisation de sols dégradés en milieu urbain dense. Avec une équipe de chercheurs nous sommes partis à la reconquête d’un sol fertile en milieu urbain !

jardin partagé
Le jardin partagé (source : ferme urbaine du Trichon)

Quels sont les enjeux de ce projet de recherche ?

Le sol qui constitue les 6000 m2 de la friche a été artificialisé pendant un certain temps, il a aussi été victime d’un certain nombre de pollutions liées à son environnement urbain et à ses occupants. A cause de cela, il n’est plus capable d’être nourricier. Notre objectif est donc de faire vivre à nouveau ce sol pour qu’il puisse accueillir de la biodiversité. De manière générale, nous pensons que la reconquête des espaces en ville va devenir une question stratégique dans les prochaines années, et c’est aussi dans ce cadre que s’inscrit ce projet.

Un premier objectif est d’arriver à reconstituer un sol fertile à partir des ressources organiques de la ville. En quelque sorte il s’agit de rebâtir le cycle de la matière organique en milieu urbain. Pour cela, nous utilisons du compost de feuilles des espaces verts roubaisiens, notamment des cimetières. Nous valorisons aussi du fumier de cheval ou du bois raméal fragmenté (broyat non composté de branches d’arbres).

D’autre part, notre sol a été pollué par de la combustion de plastique, par des métaux lourds et des hydrocarbures et il s’agit pour les chercheurs de comprendre le comportement des polluants éventuellement présents sur une zone de 300 m² et le transfert de ces polluants dans les cultures potagères.

 

Au terme de cette étude, quel sera l’avenir de la friche ?

Une fois que les études auront validé le modèle et que le sol sera à nouveau fertile, l’objectif sera d’installer une ferme d’environ 6 ha. Nous aimerions y installer des serres, des planches de culture et un verger sur le modèle des murs à pêches de Montreuil. L’idée est de donner accès à des fruits et légumes de qualité à 150 roubaisiens et de les sensibiliser au « bien-manger ». 

La ferme sera en auto-récolte et fonctionnera sous forme d’abonnement : chaque participant paiera une cotisation annuelle comprise entre 182€ et 500€ selon ses revenus qui lui donnera le droit de récolter. Pour la culture de fruits et légumes à proprement parler, nous envisageons de recruter des personnes en insertion professionnelle. 

Les cotisations des bénéficiaires et les aides publiques pour l’insertion permettront de financer la masse salariale, tandis que les investissements seront portés par la collectivité.

 

Qu’est ce qui vous motive à faire tout ça ?

Beaucoup de choses différentes ! L’idée générale est de rendre à la ville une partie de ses fonctions nourricières pour recréer du lien social, de l’emploi et une connexion à la nature. Ceci étant dit, nous savons bien que la ville ne nourrira jamais la ville, mais nous voudrions lancer une dynamique pour infléchir la déconnexion des urbains à leur alimentation, en particulier sur des territoires comme le nôtre.

Aujourd’hui, Roubaix est une ville relativement paupérisée, anciennement industrielle et on sait bien que ce sont d’abord les classes les plus populaires qui pâtissent de la mauvaise alimentation. De manière générale, les Hauts de France ont une agriculture majoritairement tournée vers les exportations et comme le montre le rapport de l’ADEME pour les Hauts de France, le système alimentaire nordiste est assez vulnérable et en l’état, difficilement capable de subvenir aux besoins de ses habitants.

Face à tout cela , nous avons envie de proposer un nouveau modèle d’alimentation, une nouvelle manière d’habiter la ville et de faire société.

 

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

Même si notre ferme urbaine ne pourra nourrir que 150 personnes, nous voulons tout de même pouvoir donner accès à des produits sains au plus grand nombre. 

Parallèlement à cette envie, cela fait maintenant plusieurs années qu’un bâtiment qui est attenant à la friche nous fait de l’œil. C’est une ancienne usine textile qui a été reconvertie en faculté dans les années 80 et dont le promoteur ne sait pas quoi faire. 

Nous avons plein d’idées pour faire de ce lieu un “tiers-lieu nourricier” , même si c’est un peu un mot valise : faire une épicerie, installer les locaux de la ferme, faire un lieu de formation à la cuisine… Nous  souhaiterions aussi pouvoir faire cohabiter différents acteurs dans ce bâtiment qui pourraient soutenir notre modèle économique.

Alors ce qu’on peut nous souhaiter c’est que demain la ferme soit un succès et qu’après demain ce bâtiment puisse voir le jour !

Plan de la ferme
Plan de la ferme (source : ferme urbaine du Trichon)

L’avis de FoodBiome

Recréer du lien entre les urbains en (ré)-inventant de nouvelles manières de s’alimenter : c’est tout un programme ! Et pour s’y attaquer, l’approche de la Ferme du Trichon nous semble très pertinente.

En particulier, l’idée de recréer le cycle de la matière organique à l’intérieur de la ville est particulièrement séduisante. Elle montre aussi la difficulté qu’il y a à créer des modèles économiques durables et le rôle clé que peuvent jouer les institutions publiques dans cette création. 

On dit que l’on reconnaît une bonne solution à ses retombées positives dans des champs variés. A cet égard la Ferme du Trichon coche un certain nombre de cases : insertion de personnes loin de l’emploi, création de lien social, éducation alimentaire, augmentation de la biodiversité … c’est plutôt bon signe !

Si vous voulez en apprendre plus sur le concept de ferme urbaine et les enjeux d’installation d’une ferme urbaine en milieu pollué, nous ne pouvons que vous recommander de consulter notre article sur l’agriculture urbaine.

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