Mayenne Bois Énergie, une filière bois locale, solidaire et durable

Entretien avec Emmanuel Lelièvre, Président de Mayenne Bois Energie

Logo Mayenne Bois Energie
Logo Mayenne Bois Energie - Source : Mayenne Bois Energie

Bonjour Emmanuel, peux-tu présenter Mayenne Bois Energie ?

 

Bonjour, avec plaisir. J’ai été enseignant pendant une dizaine d’années avant de devenir agriculteur en 2001 puis membre fondateur et Président de la structure Mayenne Bois Energie.

Mayenne Bois Energie n’existe pas par hasard, il s’agit d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) créée en 2008, à l’issue d’un mouvement citoyen politique en Mayenne (53) qui vise à structurer une filière de valorisation du bois agricole. Elle est constituée de 180 sociétaires (une trentaine à sa création), principalement des agriculteurs, auxquels nous achetons du bois énergie  issu de leurs haies (bois/branches déchiquetés, destinés à la combustion pour alimenter les chaudières). Ce bois est ensuite distribué dans notre réseau de plateformes avant d’être séché et vendu pour alimenter les chaufferies locales. Lorsque nous parlons de local, nous entendons un approvisionnement dans un rayon de 20 km autour de chaque chaudière.

Concrètement, Mayenne Bois Energie comptait 5 chaufferies et 500 tonnes de bois en 2008. Aujourd’hui, nous alimentons 43 chaufferies et vendons près de 7000 tonnes de bois, ce qui illustre la croissance et l’importance de notre projet au fil des ans.

Fonctionnement entre tous les acteurs de la chaîne - Source : Mayenne Bois Energie
Fonctionnement entre tous les acteurs de la chaîne - Source : Mayenne Bois Energie

Quelle est l’origine et l’objectif principal du projet ?

 

À l’origine, Mayenne Bois Energie est le fruit d’une collaboration entre plusieurs collectifs qui cherchaient une alternative crédible au nucléaire et aux énergies fossiles en utilisant la biomasse. À cette époque, nous manquions de recul ; nous avons simplement défini les contours, les valeurs et les objectifs de l’organisation pour mettre en place une filière biomasse-énergie locale. Notre objectif était d’assurer un approvisionnement local à partir d’une gestion durable des haies. Ces idées, bien que simples, ont nécessité un travail de mise en œuvre conséquent, car nous avions tout à construire. En 2008, la filière bois-énergie n’existait pas, et il n’y avait que très peu de chaufferies en France. Nous avons donc créé une structure à partir de laquelle nous avons appris au fur et à mesure de notre progression.

Nous souhaitons établir la crédibilité d’une filière locale en proposant un produit de qualité, à savoir le bois, qui répond aux besoins énergétiques tout en étant compétitif par rapport aux énergies fossiles et nucléaires (surtout depuis la récente montée des prix du gaz). Parallèlement, nous cherchons à conférer des valeurs sociales à notre bois en collaborant avec des structures d’insertion via des chantiers de bûcheronnage.

Le séchage du bois déchiqueté est une étape nécessaire avant sa valorisation en chauffage, voici une plateforme du réseau Mayenne Bois Energie - Source : Mayenne Bois Energie

Comment est organisée la gouvernance de Mayenne Bois Energie et qui sont les acteurs qui participent au projet ?

 

Nous avons fondé l’une des premières SCIC du département à l’époque, et avec le recul, je pense aujourd’hui que c’était le meilleur choix de statut juridique pour notre projet. En ce qui concerne la gouvernance, nous avons organisé cinq collèges réunissant tous les acteurs locaux qui avaient leur place autour de la table :

  • Les fournisseurs de bois (agriculteurs et propriétaires forestiers)
  • Les usagers (clients et porteurs de projet de chaufferie biomasse)
  • Les collectivités publiques (pratiquement toutes les communautés de communes mayennaises)
  • Les partenaires techniques et le monde du soutien (chambres d’agriculture, CUMA, etc.)
  • Les salariés

En tant que président, j’anime ce collectif d’acteurs qui, a priori, n’ont pas les mêmes intérêts, ne serait-ce que financiers, mais partagent tous des valeurs communes, notamment la préservation du bocage. Je répète souvent que « la réussite de Mayenne Bois Energie ne se mesure pas en chiffre d’affaires mais en nombre de kilomètres de haies préservées ».

Représentants des collèges lors d’une Assemblée Générale - Source : Mayenne Bois Energie

Comment Mayenne Bois Energie participe-t-elle à la préservation du territoire Mayennais et notamment des haies bocagères locales ?

 

Pour vous donner un aperçu, le dernier rapport révèle qu’en France, 23 000 kilomètres de haies disparaissent chaque année, tandis que seulement 5 000 kilomètres sont replantés. Ces chiffres alarmants nous incitent à renforcer notre engagement. En effet, notre mission première est de valoriser mais aussi de préserver les haies, car elles jouent un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité, l’enrichissement des paysages, ainsi que dans la capture de carbone et la filtration de l’eau, entre autres.

L’enjeu est donc de continuer à planter des haies mais surtout d’arrêter leur disparition. Mayenne Bois Energie fait partie d’un réseau d’acteurs appelé l’AFAC (Association Française de l’Arbre Champêtre), mandaté par le Ministère de l’Agriculture pour créer un label certifiant la gestion durable de la haie : le Label “Haie”. Cette démarche vise à valoriser et reconnaître le travail de gestion durable des producteurs de bois bocager, tout en apportant aux différents acteurs du marché la sécurité, la traçabilité et la transparence dans la chaîne de gestion et de production du bois bocager.

Source : AFAC

Labellisée depuis 2020, notre société a activement participé aux travaux de création de ce label, qui a permis de faire reconnaître notre bois issu d’une gestion pérenne, à l’instar de nos concurrents. Grâce à cette certification, nous avons pu bénéficier de nouveaux débouchés pour mieux vendre le bois bocager, répondant ainsi aux préoccupations des consommateurs et aux exigences des pouvoirs publics en matière de durabilité et d’écologie.

Tous les sociétaires-agriculteurs de notre structure se sont engagés à obtenir la labellisation «Label Haie». En échange, nous leur assurons un accompagnement dans la gestion durable de leurs haies et une rémunération équitable pour le bois provenant de celles-ci. Cette rémunération comprend également une compensation pour l’entretien de leurs haies, car croyez-moi, cela prend du temps et nécessite des compétences et je sais de quoi je parle, je suis moi-même agriculteur.

Cette certification facilite également notre accès aux appels d’offres des marchés publics, renforçant ainsi notre position sur le marché.

Peux-tu nous éclairer sur le développement du projet?

 

Auparavant, nous avions une liste d’attente d’agriculteurs désireux d’intégrer la SCIC afin de valoriser leur bois, mais nous étions dans l’incapacité de les accueillir faute de débouchés suffisants. Cependant, avec le temps, les collectivités ont reconnu et identifié le label Haie, ce qui a considérablement changé la donne. Pour la première fois, je constate avec satisfaction que notre liste d’attente a disparu, ce qui témoigne de la pérennité de notre activité.

Aujourd’hui, nous sommes engagés dans l’accompagnement de filières locales et durables, que ce soit dans le domaine du bois énergie ou du bois d’oeuvre (produits ligneux nobles destinés à des débouchés comme la menuiserie, charpente..). Nous sommes constamment en quête de partenariats et de nouveaux projets avec des acteurs locaux. Notre activité a connu un développement significatif, tant sur le plan économique que sur notre domaine d’intervention. Bien que le bois énergie soit à l’origine de notre projet, nous avons étendu nos activités pour inclure du conseil pour d’autres acteurs souhaitant développer des initiatives de filières sur leurs territoires.

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Quels conseils donnerais-tu à ces acteurs qui souhaitent développer des initiatives de filières locales? Y-a-t-il une échelle à respecter ? 

 

La Mayenne c’est un petit département, peu peuplé, donc pour nous la bonne échelle c’est le département ! Pour un territoire plus urbanisé, avec une grande densité de population, c’est évident que la question d’échelle est différente ; l’important c’est d’établir un lien entre les différents acteurs moteurs (notamment les collectivités) des territoires

Je suis toujours disposé à partager notre expérience, mais il est important de souligner qu’il n’y a pas de recette universelle. Chaque projet est unique et propre à son territoire. L’essentiel est de réunir tous les acteurs moteurs locaux, de définir leurs valeurs communes et de travailler ensemble sur un projet commun. Même lorsque nous avons rencontré des difficultés financières au début de notre aventure, aucun de nos partenaires ne nous a abandonnés. C’est grâce à cette solidarité que nous sommes là où nous en sommes aujourd’hui.

Bravo Emmanuel pour ce que vous faites, que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

 

J’espère que le collectif portera haut les valeurs de la haie car tous les signaux sont au vert. Jamais auparavant la question des haies n’avait été autant discutée, surtout depuis un an ou deux, notamment avec le lancement d’un pacte national lors du Salon de l’Agriculture. Ce pacte ouvre la voie à la création d’autres initiatives et renforce les actions sur le terrain. Ce dont nous avons grandement besoin, c’est d’un soutien financier pour favoriser l’émergence et le développement de cette filière. Heureusement, les politiques publiques ont enfin pris conscience de l’importance de la haie et de ses enjeux. Bien que je sois alarmiste quant à l’état actuel des haies en France, je reste très optimiste quant aux actions entreprises, allant de l’échelle départementale jusqu’à l’échelle européenne. J’espère vivement que cette dynamique perdurera et se renforcera dans les années à venir.

L’avis de Foodbiome : 

 

Mayenne Bois Energie met en lumière une structuration de filière à une échelle territoriale pertinente. Cette structuration est rendue possible grâce à une gouvernance participative, incarnée par le statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). En réunissant tous les acteurs moteurs locaux autour de la table et en favorisant la prise de décision collective, cette structure assure une représentation équilibrée des intérêts et des valeurs de chacun, contribuant ainsi à la pérennité et à la réussite du projet.

Nous ne pouvons qu’encourager la duplication de ce type d’initiatives sur d’autres territoires. 

L’échelle de cette initiative est soulignée comme étant adaptée aux spécificités du territoire de la Mayenne, mais elle est également présentée comme un modèle potentiellement duplicable dans d’autres régions, tout en prenant en compte les particularités de chaque territoire afin de créer une dynamique solide adaptée aux besoins et ressources locales.

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