Les éleveurs de la Charentonne : pour des filières de viande tracées et de qualité

Entretien avec François Lemière, un des agriculteurs fondateur à l’origine des Éleveurs de la Charentonne

Bonjour François, peux-tu nous expliquer succinctement ce que sont Les Éleveurs de la Charentonne et nous raconter un peu l’origine du projet ?

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Avec plaisir ! Les Éleveurs de la Charentonne, c’est un projet de structuration des filières de viandes tracées et de qualité, qui se traduit aujourd’hui par des ateliers de découpe et de transformation locaux, ainsi que de points de vente à Paris, dans l’Ouest & le Centre de la France.

éleveur bovin
François Lemière et son élevage

Il est le fruit d’une réflexion commune entre 5 éleveurs bovins, dont je fais partie, qui ont acquis en 2005 un petit atelier de découpe de viande à Gacé, dans l’Orne (61), pour garder la main sur la transformation de leurs produits et les commercialiser en direct. A l’époque, il y avait déjà un abattoir sur le territoire, mais on s’est vite rendus compte que le maillon indispensable pour une filière locale et tracée, c’était l’atelier de découpe. On a d’abord vendu en direct aux particuliers dans un petit magasin attenant à l’outil et tenu par mon épouse, puis on a rapidement fait face à un fort engouement. C’était une démarche assez novatrice à l’époque, mais déjà en 2005 on répondait à une attente de la part des consommateurs, qui faisaient la queue pour venir acheter nos produits.

Cette demande, couplée à un fort attrait de notre part pour l’entrepreneuriat, a peu à peu permis de référencer d’autres structures partenaires de viandes bovines, porcines, ovines et de volaille, partageant toutes le même amour du bon produit, bien fait, et au meilleur prix.

Avec le temps, on a fédéré 80 éleveurs implantés en Normandie dans la Sarthe et la Mayenne, qui fournissent l’entreprise et sont engagés dans cette démarche, aujourd’hui nationale.

Cartographie des éleveurs partenaires
Cartographie des éleveurs partenaires, à retrouver au complet ici (source : site web des Éleveurs de la Charentonne)

Quelles sont les différentes infrastructures (transformation, distribution, logistique…) que vous avez développées pour structurer ces filières viandes ?

Aujourd’hui on dispose de trois sites de transformation : l’historique situé à Gacé (61) pour la viande bovine, celui de Château-Renard (45) pour tout ce qui est salaison, fumaison, et découpe de fromage, et le dernier dans lequel on a récemment pris des parts à Volvic (63), qui est plus spécialisé sur les plats cuisinés.

A l’origine et dans le premier atelier, nous, éleveurs, transformions nous mêmes nos produits. Avec le développement du projet et l’ampleur qu’il a pris, on s’est depuis doté d’une équipe de salariés : ce sont aujourd’hui 220 personnes qui font vivre la structure, depuis les ateliers de découpe jusqu’aux magasins. En amont on travaille avec des abattoirs locaux (un spécialisé bovin, un porc, un agneau et trois abattoirs de volaille), qui sont économiquement robustes et qu’on sécurise via nos volumes. Ce sont des structures qu’on connaît bien, qui respectent les réglementations et le bien être animal.

Préparation des produits
Préparation des produits (Source : Page Facebook des Éleveurs de la Charentonne)

Concernant la logistique, on l’a internalisée pour plusieurs raisons : d’une part le transport de produits carnés est assez contraignant et réglementé, et d’autre part on souhaite livrer nos clients efficacement, en A pour B. De plus, la Normandie étant un territoire assez rural, on s’est rapidement dit qu’il valait mieux garder la main sur le transport, pour garantir la qualité et la traçabilité que nous souhaitions.

Les produits sont aujourd’hui principalement commercialisés en vente directe (65% de nos ventes) dans nos 37 magasins, situés en majeure partie en Normandie, Pays de la Loire et région Centre. Nos autres débouchés sont les magasins de proximité partenaires, la restauration collective et commerciale.

Magasin de Paris Chemin Vert
Magasin de Paris Chemin Vert (Source : Facebook)

Quels sont les valeurs et engagements que vous prônez ?

Notre démarche s’articule autour de 3 piliers. 

Le premier, c’est l’engagement des éleveurs, qui pratiquent une agriculture dans le respect de l’animal, toujours élevé en plein air et nourri à l’herbe, au sein de structures familiales. On se refuse d’être dogmatique sur certaines pratiques ou labels, également car on souhaite éviter l’uniformisation : chaque producteur fait du bon travail à sa façon, et connaît ce qui est le mieux adapté à son modèle d’élevage.

Cheptel d’Angus de François Lemière
Cheptel d’Angus de François Lemière (source : Facebook)

En termes de race, on valorise les croisements pour maintenir la diversité dans les cheptels. A titre d’exemple, on essaie en ce moment de développer un schéma de croisement Angus et Limousine, avec un abattage à 2 ans et une découpe brute spécifique, dite “à l’américaine” pour voir si ça plaît au consommateur. C’est aussi l’avantage d’être une structure à taille humaine, on a beaucoup plus de flexibilité pour expérimenter des choses que ne pourraient pas se permettre de gros opérateurs.

Le deuxième pilier, c’est le développement de filières territoriales tracées et de qualité. Aujourd’hui en France on manque clairement d’abattoirs et d’ateliers de découpe, et certaines régions sont même dépourvues d’élevage, il serait donc vain de vouloir proposer de la viande locale et en circuit court sur tous les territoires. Ce qu’on recherche au travers de notre démarche, c’est avant tout de travailler avec des producteurs français engagés, de re-synchroniser de façon cohérente les élevages et les outils de transformation les plus proches, tout en garantissant la transparence sur les pratiques et le chemin que parcourt l’animal depuis le champ jusqu’à l’assiette.

Enfin, on a à cœur de travailler sur la valorisation complète des bêtes et l’équilibre matière. Une des problématiques des filières carnées, c’est qu’après l’abattage, l’intégralité des morceaux d’un animal ne sont pas toujours consommés : les parties arrière fournissent généralement des viandes à griller, tandis que les parties avant sont plus des viandes à bouillir. L’ennui, c’est qu’elles sont intégrées dans des plats qui ne sont pas forcément consommés au même moment de l’année (grillades en été, pot au feu en hiver…), et que les autres parties des bêtes (abats, rognons…) sont bien moins consommés. Pour tenter de relever ce défi, on s’est doté de nombreuses lignes de découpe différenciantes au sein de nos ateliers (machines pour émincer, mariner, fumer, préparer de la saucisse, des brochettes, des préparations bouchères etc…) de sorte à proposer un éventail de produits finis très large, se conservant longtemps, valorisant l’ensemble des pièces, et répondant à une grande diversité de besoins.

 

Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?

On va continuer de poursuivre notre développement et mener à bien tous les projets qui se présenteront à nous et seront en rapport avec nos valeurs. Je suis toujours autant passionné de challenge et convaincu de la pertinence de cette démarche, qui constitue déjà une partie de la réponse aux enjeux alimentaires de demain et aux attentes des consommateurs.

Exemple de produits vendus
Exemple de produits vendus

On prévoit par exemple de compléter nos gammes actuelles avec d’autres produits. Dans un premier temps, les produits cuisinés et prêts-à-consommer, car ils vont peu à peu devenir la norme (ils sont très demandés et attendus dans nos magasins parisiens). Dans un second temps, on réfléchit à de la diversification sur d’autres filières, pourquoi pas le poisson, les produits de boulangerie, et les filières de gibier, chevreuil et sanglier. Ces dernières sont particulièrement intéressantes à valoriser, car 70% de notre consommation de gibier est importée, alors qu’on en produit énormément en France. 

De nombreux défis de structuration de filières restent encore à relever, et on va continuer de mettre toute notre énergie et notre persévérance au service de ces projets !

 

L’avis de FoodBiome

La structuration des filières de viandes françaises soulève de nombreuses questions d’ordre économique, social et écologique. Elles connaissent aujourd’hui une crise, de par la raréfaction progressive des élevages et des outils de transformation (abattoirs et ateliers de découpe), déficitaires sur presque tous les territoires. A titre d’exemple, le cheptel bovin français a perdu 9,5% de ses effectifs les 6 dernières années (source : Idele), et 32,9% de ses établissements d’abattage bovins depuis 2005 (source : Agreste).

Face à ces enjeux, Les Éleveurs de la Charentonne constitue un très bel exemple d’initiative lancée pour et par le monde agricole, répondant à un double besoin : celui des éleveurs de garder la main et la valeur sur le devenir de leurs produits, et celui des consommateurs d’avoir accès à une alimentation tracée et de qualité.

Cette aventure humaine et entrepreneuriale nous démontre le potentiel de remailler les territoires d’outils de transformation complémentaires, judicieusement dimensionnés, et travaillant en collaboration les uns avec les autres, au service des éleveurs engagés dans des démarches transparentes et responsables. C’est d’ailleurs dans cette optique que FoodBiome souhaite travailler sur les filières végétales, au travers de notre filiale Cuisinons nos Paysages.

En savoir plus sur Les Éleveurs de la Charentonne, visitez leur site internet.

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