Pour une restauration collective savoyarde et durable, avec Leztroy

Entretien avec Jean Rémy Oriol, Directeur général de Leztroy restauration

logo de Leztroy

Bonjour Jean-Rémy, peux-tu nous dire en deux mots ce qu’est Leztroy et nous parler de la genèse du projet ?

Oui avec plaisir ! Leztroy est une société de restauration collective locale, située sur le territoire de la Savoie et de la Haute Savoie. Nous étions 3 associés fondateurs : Michel Grebot, Serge Sandrin et moi même, tous historiquement issus du monde des SRC (sociétés de restauration collective) traditionnelles. Avant de monter le projet, nous étions tous les trois cuisiniers chez Expresself (actuel Compass) et Mille et Un Repas (actuel Convivio). Etant tous les trois papas, et ne trouvant pas dans nos cuisines la qualité des produits que l’on souhaitait pour les  enfants, on a créé Leztroy, pour remettre trois éléments clés dans nos cantines : des cuisiniers qui cuisinent, des produits locaux, de saison et durables.

Tout cela s’est déroulé en 2009, et le modèle a un peu évolué depuis. En plus de notre activité de SRC nous avons créé en 2018 Lezsaisons, une plateforme de transformation, de logistique et un laboratoire d’expérimentation culinaire situé à Saint-Pierre-en-Faucigny en Haute-Savoie (74).

KAKEMONO RSE CERCLE

Si je comprends bien, l’objectif est de pouvoir intégrer une démarche durable depuis la réception des matières premières jusqu’à l’assiette des convives. As-tu quelques chiffres à nous donner sur Leztroy ?

Aujourd’hui, Leztroy est bien implanté et identifié localement en tant que société de restauration collective. Nous disposons de 9 sites de production (4 cuisines centrales et 5 sites de restauration concédée), pour environ 27 000 repas livrés chaque jour dans près de 320 sites en Savoie et Haute Savoie. 95% de nos clients correspondent à la restauration collective scolaire, de la crèche au primaire.

En termes d’approvisionnements, nous pratiquons la politique de l’escargot : on priorise bien entendu le local, dans la limite des denrées disponibles sur notre territoire (49% de nos approvisionnements viennent des Pays de Savoie en direct des producteurs). On élargit au régional voire au national quand cela s’avère nécessaire, mais toujours avec cette logique de circuits courts (nous sommes en direct avec 100+ producteurs) et de durabilité de la part de nos fournisseurs (47% de nos produits sont bio). 

Des producteurs partenaires (Source : page Facebook Leztroy)
Des producteurs partenaires (Source : page Facebook Leztroy)

Ce qui nous permet de garantir un tel engagement tout en étant économiquement compétitifs c’est en partie notre périmètre d’implantation. On est convaincu que l’échelle bi-départementale est assez pertinente : assez grande pour couvrir une zone de production et de distribution intéressante, assez petite pour nous permettre d’être flexibles notamment sur les volumes que l’on commande. Par exemple, les grosses SRC brassent des volumes de produits tels, qu’elles sont obligées de passer par des grossistes nationaux, les seuls en mesure de fournir du volume, du prix, et une logistique efficace. Chez Leztroy, on n’a pas cette contrainte : on peut commander un seul produit auprès d’un seul fournisseur, référencer deux producteurs différents sur un même produit pour livrer deux cuisines centrales différentes, si elles sont chacune plus proches de leur exploitation respective etc. Cette agilité et cette adaptabilité aux contraintes de notre territoire est vraiment l’une de nos plus grosses forces.

Peux-tu rentrer plus en détail dans le modèle Lezsaisons, votre plateforme d’approvisionnement et de transformation de territoire ?

Assez rapidement dans le projet Leztroy, on s’est dit qu’on aurait tôt ou tard besoin d’internaliser une légumerie, pour “externaliser mais en interne”, toutes les étapes de parage et découpe qui sont chronophages pour nos cuisines centrales.

Quand l’opportunité s’est présentée de créer un outil à Saint-Pierre-en-Faucigny (74), on a voulu y intégrer des modules complémentaires pour avoir un atelier de transformation performant et une plateforme logistique intégrée.

Ainsi, Lezsaisons a ouvert en 2018 et regroupe sur 2 000 m2 : 

  • Une légumerie de 900m² pour produire de la 4ème gamme (c’est à dire des légumes pelés, égouttés, coupés en cubes, en rondelles ou en lamelles et emballés crus sous vide)
  • Un atelier chaud de 300 m2 pour produire de la 5ème gamme (c’est à dire des légumes pré-cuits sous vide, mais aussi des soupes, compotes, confitures etc)
  • Un atelier de découpe de fromage, pour proposer des produits piécés
L'atelier de découpe de fromage et la légumerie Lezsaisons (source : Lezsaisons)
L'atelier de découpe de fromage et la légumerie Lezsaisons (source : Lezsaisons)

Au total, ce sont près de 800 t de produits qui sont transformés chaque année dans les ateliers.

  • Un entrepôt logistique, comme point de livraison consolidé pour nos producteurs à la fois pour Leztroy et Lezsaisons
  • Un laboratoire de R&D permettant d’expérimenter de nouvelles formulations : nous avons développé plus de 200 recettes depuis le début du projet

Cette plateforme est aujourd’hui clé dans notre modèle, et permet d’être un support pour l’activité de Leztroy, qui bénéficie d’un seul point pour commander des produits bruts comme transformés.

Vous avez choisi de vous spécialiser sur le segment de la restauration collective scolaire. Pourquoi ce choix ?

En effet, c’est une des particularités de notre modèle. Nous servons la restauration collective scolaire, de la crèche aux écoles primaires, pour les enfants entre 6 mois et 11 ans. Il nous arrive de faire un peu de portage à domicile et d’adresser des centres aérés et de loisirs mais cela reste marginal.

Pourquoi la restauration scolaire ? Car on pense que c’est un levier clé et prioritaire à adresser pour éduquer les enfants, qui sont les consommateurs de demain. C’est aussi un des segments qui valorise le mieux les démarches faites sur le local et le durable (notamment via EGALIM) et qui bénéficie d’un soutien politique très fort. On n’aurait pas eu autant de succès si les communes locales ne s’étaient pas engagées pour faire ce pas vers une SRC plus responsable.

De plus, le marché de la restauration collective scolaire est assez profond pour que l’on puisse se contenter de l’adresser sans s’éparpiller à essayer de couvrir des segments complémentaires : on préfère être excellents et spécialisés dans un domaine.

La principale contrainte de la restauration collective scolaire c’est la saisonnalité : les écoles sont ouvertes 36 semaines sur 52, et on a des périodes de creux pendant les vacances, surtout en été. Mais pour le coup, on considère plutôt ces périodes moins denses comme un avantage : cela permet aux équipes de se reposer, de dédier du temps pour des expérimentations R&D et des nettoyages plus spécifiques des outils avant la reprise au mois de septembre, et on continue de livrer quelques établissements comme des centres de loisirs et des crèches, donc on s’y retrouve plutôt bien.

Une partie de l’équipe Leztroy (source : site internet Leztroy)
Une partie de l’équipe Leztroy (source : site internet Leztroy)

Félicitations en tout cas, car votre projet est vraiment exemplaire ! Quels sont selon toi les facteurs clés de succès d’un modèle comme le vôtre ?

Je retiens 3 éléments clés qui contribuent aujourd’hui à notre réussite : 

  • Le soutien des collectivités, et notamment des premières qui nous ont fait confiance et ont permis de montrer l’exemple et de convaincre les suivantes de changer de modèle de restauration. Aujourd’hui nous privilégions le suivi clients et convives pour faire évoluer nos prestations avec les besoins des  enfants
  • Le recentrage de l’activité, pour se concentrer sur un segment très spécifique qui est celui de la restauration scolaire, et ne pas se perdre dans une trop grande diversification : on préfère faire moins mais mieux pour être très compétitif
  • La philosophie du projet, qui est plus proche du “faire mieux” pragmatique que du militantisme. On savait dès le début qu’on aurait pas un modèle parfait de bout en bout, surtout au démarrage, mais qu’il faut bien commencer quelque part, faire des choix et faire de mieux en mieux, mais petit à petit
Cuisiniers de l'équipe Leztroy (source : Leztroy)
Cuisiniers de l'équipe Leztroy (source : Leztroy)

Après 14 ans d’activité, on est très fiers de ce qu’on a développé, cela représente une petite révolution de la restauration collective scolaire à l’échelle de notre territoire ; des 200 emplois que l’on a créés et des 20M€ de CA qu’on génère annuellement.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?

A court terme, on attend impatiemment la finalisation des travaux de la cuisine centrale de Saint-Pierre-en-Faucigny (prévue pour mi-août 2024), qui nous permettront d’adresser de nouveaux clients dès la rentrée. A moyen terme, on souhaite développer de nouveaux sites de production pour produire davantage de repas avec Leztroy, car le projet fonctionne très bien et nous serons bientôt saturés avec nos cuisines existantes !

L’avis de Foodbiome 

Le projet Leztroy et Lezsaisons est un formidable exemple d’initiative locale qui révolutionne complètement notre façon d’appréhender la restauration collective. La pertinence de leur modèle résulte en la complémentarité de leurs activités, qui sont pleinement intégrées à l’échelle de leur territoire :  

  • D’un côté, une société de restauration collective éco-responsable, qui consolide la demande locale et permet de démontrer qu’il est possible de manger local et durable dans les cantines scolaires
  • De l’autre, une activité de transformation et de logistique relais, qui facilite la pré-préparation dans les cuisines centrales et consolide une offre alimentaire en direct producteurs

Comme l’évoque Jean-Rémy, une partie de l’avenir de nos enfants se joue dans leurs assiettes, et nous espérons que ce projet pourra inspirer d’autres territoires ! 

Ce sujet vous intéresse ?

FoodBiome accompagne la conception et la mise en œuvre d’ateliers de transformation alimentaire locaux.

Partagez notre article