Quels modèles logistiques au service des circuits de proximité ?

On entend souvent dire qu’il est plus facile et moins coûteux d’envoyer un colis à l’autre bout de la planète, qu’un cageot de carottes à 50 km d’un producteur. En effet, pour les producteurs engagés dans une démarche de vente directe, la logistique peut représenter jusqu’à 8h de livraison par semaine et 23% du chiffre d’affaires, alors que l’optimum devrait se situer autour de 10% (source : Chambre d’Agriculture Normandie). De plus, les agriculteurs n’ont souvent qu’une connaissance partielle de leurs coûts logistiques, qui ne se répercutent par conséquent pas sur le prix de vente. 

Pourtant, il y a une demande croissante de la part des clients professionnels (restauration collective et commerciale, grande distribution) de pouvoir développer un sourcing de produits locaux. Mais plusieurs freins côté client restent à lever :

  • Difficulté pour connaître l’exhaustivité de l’offre locale et l’état des stocks en temps réel
  • Risque perçu de rupture de stock qui fait privilégier un approvisionnement chez les grossistes
  • Multiplication des factures, bons de commande et autres documents administratifs, qui va de pair avec le développement du sourcing direct producteur
  • Difficulté pour des sites clients de petite à moyenne taille de passer les francos de port chez un producteur
  • Attente des clients de se faire livrer régulièrement et à heure fixe qui fait peser des contraintes organisationnelles sur les producteurs

Pour lever ces freins, il est nécessaire de favoriser la collaboration logistique sous deux dimensions :

  1. La collaboration logistique horizontale : c’est à dire permettre aux producteurs de mutualiser des infrastructures (stockage, transformation), des moyens de transport, et des informations (clients, commandes, mercuriales produits)
  2. La collaboration logistique verticale : c’est-à-dire faciliter la connexion entre les clients et les producteurs pour planifier et mutualiser les commandes, gérer les flux financiers et administratifs (factures, bon de commande), et organiser la collecte des productions, la préparation de commande et la distribution
Schéma général logistique
Source : inspiré de Organisation collective de la logistique dans les circuits courts alimentaires, FNCUMA, 2013

Développer la collaboration horizontale et verticale permet en effet de lever les 3 principaux freins logistiques :

  1. Permettre aux clients de connaître en temps réel l’offre des producteurs locaux disponible et de passer simplement commande
  2. Mutualiser les commandes de plusieurs producteurs et de plusieurs clients pour baisser les franco de port
  3. Simplifier la gestion administrative et financière pour limiter au maximum le nombre de factures, bons de commandes à gérer (éviter le 1 producteur = 1 facture)

De nombreuses initiatives portées par des entrepreneurs, le monde agricole, des acteurs privés ou des associations, émergent pour proposer des solutions permettant de lever tout ou partie de ces freins-là. Nous les avons catégorisées selon 4 grands modèles que nous détaillons ci-après :

  1. Le facilitateur de circuit-court
  2. Le néo-grossiste
  3. La marketplace de proximité
  4. Le hub alimentaire de proximité

Modèle #1 — le facilitateur de circuit-court

Le facilitateur de circuit-court 

  • constitue et anime une mercuriale de produits locaux, et fait l’interface avec les clients pour planifier les commandes, et gérer l’administratif pour le compte des producteurs ;
  • planifie et organise la collecte des productions chez les producteurs dans des points de collecte mutualisés ;
  • fait l’interface avec la solution logistique retenue (internalisée ou déléguée à un prestataire) qui ramasse les produits dans les points de collecte et se charge de la distribution chez les clients ;

La préparation des commandes est faite par les producteurs avant la collecte, le prestataire logistique ne fait que du transport de colis déjà préparés.

Facilitateur
Source : inspiré de Organisation collective de la logistique dans les circuits courts alimentaires, FNCUMA, 2013

Avantages :

  • Relation directe des clients avec les producteurs
  • Traçabilité complète des produits jusqu’aux clients
  • Transparence sur les coûts et les prix de vente
  • Gestion de la relation commerciale avec les clients pour le compte des producteurs

Inconvénients :

  • Pas de mutualisation des factures pour les clients, chaque producteur facture individuellement chaque client
  • Utilisation peu poussée du digital pour fluidifier les interactions
  • Pas d’intégration SI chez les clients, notamment des mercuriales produits

Quelques initiatives remarquables : 

  • Résalis, la plateforme d’approvisionnement de la restauration collective, gérée par des agriculteurs, dans les Deux-Sèvres
  • Réseau Manger Bio, le service logistique de produits frais bio pour servir notamment la restauration collective et les magasins alimentaires

Modèle #2 — Néo-grossistes

Le néo-grossiste

  • effectue un sourcing de producteurs et de produits pour se constituer un catalogue produit propriétaire et différencié ;
  • achète aux producteurs leurs produits qu’il revend avec une marge à ses clients (environ 30-35%) ;
  • gère la prise de commande de ses clients en omnicanal ;
  • opère en propre ou via un prestataire la logistique de collecte, de préparation de commande et de livraison.
Néo-grossiste
Source : inspiré de Organisation collective de la logistique dans les circuits courts alimentaires, FNCUMA, 2013

Avantages :

  • Simplicité pour le client : une seule facture, un seul paiement, une seule livraison
  • Risque de rupture de stock diminué par la mutualisation de plusieurs fournisseurs
  • Optimisation poussée des coûts logistiques dûe à l’agrégation de multiples produits dans une commande (ex : viande, poisson, fromage, fruits & légumes)

Inconvénients :

  • Relation intermédiée entre le producteur et le client
  • Pas toujours de transparence sur les coûts et le prix payé aux producteurs
  • Traçabilité partielle, le grossiste doit faire parfois combiner plusieurs producteurs sur une même référence produit pour garantir la disponibilité de sa mercuriale
  • Pas de collaboration horizontale entre les producteurs

Initiatives remarquables :

  • Promus, un néo-grossiste spécialisés sur les produits locaux pour les restaurateurs et hôteliers
  • CollectivFood, néo-grossiste international spécialisé particulièrement sur la viande et le poisson

Modèle #3 — Marketplace de proximité

La marketplace de proximité

  • agrège sur une plateforme digitale, des producteurs et leurs catalogues produits ;
  • permet à des clients professionnels de passer simplement commande en ligne chez une multitude de producteurs locaux ;
  • gère l’interface avec des prestataires logistiques pour la collecte et la distribution des produits.
Marketplace
Source : inspiré de Organisation collective de la logistique dans les circuits courts alimentaires, FNCUMA, 2013

Avantages :

  • Relation directe des clients avec les producteurs
  • Traçabilité complète des produits et transparence sur les prix
  • Gestion 100% digitalisée de la prise de commande  et des paiements
  • Possibilité d’une intégration SI avec les systèmes de prise de commande (GMS, restauration collective)

Inconvénients :

  • Peu voire pas de collaboration horizontale entre les producteurs, un producteur n’est qu’un fournisseur parmi d’autres sur une marketplace
  • Pas de planification des commandes clients pour permettre de planifier les productions chez les producteurs
  • Pas de gestion commerciale pour le compte des producteurs

Quelques initiatives remarquables : 

  • Direct Market, une marketplace des produits locaux pour les professionnels
  • NectarGo, une plateforme de mise en relation producteurs et commerçants

Modèle #4 — le hub alimentaire de proximité

Le hub alimentaire de proximité :

  • permet à des producteurs indépendants de se regrouper sur une même plateforme physique pour mutualiser la logistique du premier km ;
  • fournit des services de transformation et de conditionnement permettant d’ouvrir aux producteurs l’accès à des marchés avec des exigences spécifiques (ex : RHD) ;
  • organise la logistique de distribution pour le compte des membres du hub ;
  • mutualise la gestion administrative (factures, bons de commandes, etc.) et commerciale.
Hub alimentaire de proximité
Source : inspiré de Organisation collective de la logistique dans les circuits courts alimentaires, FNCUMA, 2013

Avantages :

  • Mutualisation de la logistique du premier et dernier km
  • Accès à des outils de transformation et conditionnement, indispensables pour adresser les marchés RHD / GMS
  • Dimension sociale et d’insertion par l’activité sur certains hubs
  • Possibilité d’intégrer les producteurs à la gouvernance des husb, et donc à la répartition de la valeur ajoutée
  • Véritable ancrage physique dans l’économie locale

Inconvénients :

  • Modèle économique parfois fragile lorsque le hub ne fait que du travail à façon pour les agriculteurs
  • Difficultés à animer et faire perdurer un collectif de producteurs si la gestion est l’animation du hub n’est pas indépendante

Quelques initiatives remarquables

  • La Fabrique à Circuit Court, un pôle d’entreprises de transformation et de distribution en Belgique qui regroupe notamment une légumerie, une bocalerie / conserverie, un atelier de découpe de viande, un petit abattoir coopératif
  • La Coop MIL, un Marché d’intérêt Local (MIL) à Toulouse qui regroupe des acteurs complémentaires sur les circuits de proximité (cyclo-logistique, consigne, compostage, gestion des commandes)

En conclusion, chacun des modèles logistique évoqué ci-dessus s’est développé pour servir un segment de marché spécifique que ce soit la restauration collective (facilitateur de circuit-court), la restauration commerciale (néo-grossiste), la GMS (marketplace de proximité) ou les petits commerces (hub alimentaire). Nous anticipons qu’à mesure que la part des produits locaux ou direct producteur croît, les différents modèles logistiques seront amenés à se rencontrer. A quoi ressemblera l’organisation logistique des circuits de proximité dans le futur ? S’il est difficile de faire des prédictions exactes, voici à minima ce que nous FoodBiome, souhaiterions voir advenir qui regroupe le meilleur de chacun des modèles pré-cités :

  • Donner facilement de la visibilité sur l’offre locale et l’état des stocks, et s’intégrer avec les outils d’achats des professionnels (marketplace de proximité)
  • Permettre de transformer et de conditionner des produits agricoles qui ont besoin de l’être (hub alimentaire)
  • Permettre de livrer une multitude de sites avec des petits volumes de commandes en les intégrant dans des tournées desservant des grands clients (néo-grossistes)
  • Et surtout, une transparence et une traçabilité complète des produits du producteur jusqu’au client (facilitateur de circuit-court)

C’est un modèle que nous sommes en train de prototyper avec Kuupanda et Agriflux, 2 startups accompagnées par FoodBiome qui travaillent respectivement sur la gestion des flux de commande et l’optimisation logistique. Enfin, les coopératives agricoles ont plus que jamais un rôle à jouer dans la recomposition des chaînes de valeur à une échelle territoriale. Elles agrègent déjà l’offre des producteurs, il ne manque plus qu’à agréger la demande et à développer des schémas logistiques de proximité optimisés et transparents. Nous travaillons avec certaines d’entre elles pour bâtir des infrastructures et outils logistiques qui répondent aux enjeux précités. Envie d’en savoir plus, contactez-nous (contact@foodbiome.fr) !