Pour le développement d’une chaine alimentaire en « flux poussés »

L’attractivité des consommateurs pour les circuits alimentaires de proximité n’a jamais été aussi élevée : 77% des acheteurs se disent prêts à privilégier des produits locaux (IRI Shopper Q4 2020) et 43% se disent prêt à payer 10 à 15% plus cher (étude Food 360 Kantar, 2020). Pour autant, la flambée inflationniste de ces derniers mois a brisé la dynamique qui s’était créée durant la crise du covid-19 et tous les baromètres indiquent une ruée des consommateurs sur les 1ers prix et les MDD en grande distribution (+11% en mars, +16% en avril, IRI en valeur).

Dans notre schizophrénie collective, nous sommes profondément attachés à défendre les agriculteurs de notre territoire mais nos choix restent guidés par le prix et la praticité des offres avant tout, par l’argent et le temps disponible.

Dès lors, comment renforcer la compétitivité des circuits alimentaires de proximité ?

Le sujet est délicat et suppose de combiner de nombreux leviers : la mutualisation et l’agrégation des flux logistiques, la conception d’unités de transformation de proximité à la juste échelle et au bon niveau d’automatisation, le développement d’une approche « low marketing » qui défend la singularité, l’authenticité et la praticité des offres, des canaux de vente omnicanaux, incarnés et expérienciels… Mais le principal levier est certainement celui dont on parle le moins : le développement d’une chaine alimentaire en « flux poussés ».

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Pourquoi développer une chaine alimentaire en « flux poussés » ?

En fait, il s’agit d’industrialiser la cuisine de marché comme l’évoquait Arnaud Daguin dans son édito de janvier 2022 (« connaissez-vous l’histoire de l’arbre à 2 troncs ? ») car la cuisine de marché a 3 bénéfices économiques :

  • Elle permet de valoriser 100% des productions agricoles ; L’ADEME évalue à 32% des volumes liés aux écarts de tri en production (soit 3,2 millions de tonnes) et 21% dans les étapes de transformation (Income Consulting, AK2C – 2026). Qu’il s’agisse de produits hors calibre, de produits ayant un défaut ou d’une surproduction agricole, une chaine alimentaire en « flux poussée » doit permettre de transformer et de valoriser l’ensemble des productions disponibles et d’adapter son offre en temps réel pour ne rien gâcher.
  • Elle permet d’intensifier les approvisionnements sur les produits au meilleur prix et au meilleur de la saison. La volatilité des prix agricoles est très importante, les volumes étant fixes. Adapter l’offre alimentaire à la disponibilité des matières (quantité et qualité) est l’assurance d’un rapport qualité-prix optimisé. Le coût d’achat est maîtrisé tout en améliorant la rémunération des agriculteurs.
  • Elle permet la réduction des coûts d’incertitudes et des stocks. Les acteurs d’une chaine alimentaire en « flux tirés » doivent planifier la demande et constituer des stocks pour se couvrir face aux aléas. Le producteur doit ainsi prévoir de produire plus pour être certain d’honorer son contrat (en quantité et en calibre) et les intermédiaires doivent constituer des stocks pour absorber des évolutions de la demande. Tout ceci a un coût et génère du gaspillage sur toute la chaine comme l’illustre le graphique de l’ADEME.

Les 3 leviers à actionner pour inverser la logique de la chaine alimentaire…

Industrialiser la cuisine de marché suppose d’agir sur différents leviers simultanément :

1. Resynchroniser les flux entre les producteurs et les transformateurs-distributeurs du territoire ; il s’agit ici de développer une planification et une logistique efficace qui actualise en temps réel les prévisions de production pour adapter l’offre à celle-ci ; plusieurs modèles de néo-grossistes ou de market-place en « flux poussés » commencent à explorer cette voie en proposant de mettre en marché les productions agricoles déclassées auprès des restaurateurs : Beesk ou Stokelp, se déploient sur toutes les catégories de produits alimentaires et tout le territoire, Atypique, créé en 2020, développe une offre ciblée sur les Fruits et Légumes et la restauration collective en Rhône-Alpes. Par ailleurs, des groupements de producteurs comme Résalis dans les Deux-Sèvres (notre édito sur Résalis) ou Sur le Champ en Eure-Et-Loir développent des solutions logistiques qui livrent sur pré-commande la restauration collective pour le compte des agriculteurs.

2. Concevoir des outils de transformation polyvalents au service des productions agricoles de leur territoire ; Un producteur a un lot de carottes hors calibres sur les bras ? Imaginez que la légumerie locale puisse les incorporer dans sa recette de salade mélangée, voire les transformer dans sa soupe ou purée de la semaine, distribuée localement dans un réseau de points de vente partenaires. Les projets d’Unités de Transformation de Proximité se multiplient sur tout le territoire souvent dans le cadre des Projets Alimentaires Territoriaux. Souvent pensés à une échelle trop modeste et restreints à la restauration scolaire, on peut tout de même citer quelques outils qui se distinguent. Agriviva, la légumerie basée sur le MIN de Montpellier a récemment augmenté significativement son capacitaire de production et cible différents canaux (restauration scolaire municipale, départementale et régionale, mais aussi les grossistes en restauration et la GMS). Écolience, une unité de transformation de 3 600 m2 associée à une ferme de 250 ha près de Poitiers, visant à trier et valoriser près de 10 000 t de céréales et légumineuses bio sur 5 ans, sous forme de pain, huile, pâtes, bières, biscuits…

3. Développer une ingéniosité culinaire qui adapte les offres à la disponibilité des matières ; à l’instar de la tendance du « no recipe », cela suppose de développer des gammes souples pouvant décliner une vaste combinaison d’association et de modes de transformation sur la base d’un buffet de matière, sans s’enfermer dans un registre de recettes figées. C’est le savoir-faire qu’ont développé Minjat (notre édito consacré à Minjat), La Récolte (notre édito consacré à La Récolte) ou Mûre (notre édito consacré à Mûre) pour adapter leur menu du jour au buffet de matière issu de leur magasin ou de leur ferme. C’est également l’un des bénéfices du logiciel Maïa qui permet aux chefs de la restauration collective d’adapter leur menu facilement selon les opportunités d’approvisionnement (notre édito consacré à Maïa).

Les solutions telles que celles cités plus haut se multiplient sur tout le territoire comme à l’international. Elles sont autant de prototypes inspirants qui illustrent le potentiel d’une chaine alimentaire inversée. Certaines initiatives sont ambitieuses et ciblent des modèles déployables susceptibles de permettre un changement d’échelle. Toutefois, en flux tirés ou en flux poussés, la force d’une chaine est toujours celle du maillon le plus faible. Souvent trop isolées, ces projets devront constituer autour d’eux des alliances, des protocoles de coopération et des écosystèmes pour jouer leur plein potentiel. 

C’est dans cet esprit que FoodBiome souhaite jouer un rôle et permettre que se structurent des écosystèmes et des infrastructures sur lesquelles ces projets pourront s’appuyer. A suivre donc…