La transformation à la ferme : 3 freins à lever !

Pilier indispensable à la conservation et la consommation des produits agricoles, le secteur de la transformation s’est considérablement concentré en un siècle. Aujourd’hui en France, 2% des entreprises du secteur représentent 85% du Chiffre d’Affaires (source : Greniers d’Abondance). Pour reprendre en main leur transformation, certains producteurs ont développé des activités de transformation à la ferme. Les bénéfices perçus sont multiples : ré-intégrer de la valeur ajoutée sur son exploitation, développer un lien plus intime avec ses clients, proposer des produits singuliers se démarquant des produits de grandes marques agroalimentaires. En France, près d’une exploitation sur quatre vend en circuit-court, avec des disparités très fortes selon le type de production.

graphique circuits courts
Source : recensement agricole 2020

Vendre en circuit-court va souvent de pair avec la volonté de transformer soi-même sa production pour pouvoir proposer non seulement des produits bruts mais également des produits transformés à ses clients. La transformation pouvant se faire à plusieurs échelles :

  • A l’échelle d’une exploitation uniquement ;
  • A l’échelle d’un groupe d’exploitations mutualisant des outils de transformation.

Cependant, transformer soi-même ses produits ne suffit pas à réintégrer de la valeur ajoutée, car la transformation est un métier à part entière avec ses compétences propres. Il faut souvent lever plusieurs freins que nous vous décryptons ci-après :

  1. Investissements et coûts masqués de gestion d’un outil de transformation
  2. Difficultés à trouver des débouchés commerciaux suffisant
  3. Difficultés à assurer soi-même la logistique de livraison des clients

Quelques initiatives émergent néanmoins depuis quelques années pour tenter de lever ces freins et permettre aux producteurs d’accéder plus facilement à la transformation.

Frein #1 — Investissements et coûts masqués de gestion d’un outil de transformation

Construire un outil de transformation à la ferme (ex : légumerie, conserverie, yaourterie, biscuiterie, huilerie, etc.) peut représenter un investissement de départ conséquent (> 100k€), et nécessiter des connaissances spécifiques sur les normes sanitaires, obtenir un permis de construire, etc. La petite taille de l’outil peut également induire une productivité plus faible, et donc des coûts de production plus élevés. Enfin, il y peut y avoir la nécessité de recruter du personnel dédié à l’atelier sur l’exploitation, ce qui implique une gestion RH supplémentaire.

FermaLab, standardiser des ateliers de transformation en containers pour les rendre plus abordables
Surfant sur la tendance de la relocalisation de la transformation à la ferme, FermaLab a développé une offre de 6 ateliers de transformation de base en container : huilerie, yaourterie, conserverie, abattoir de volailles, calibrage et emballage d’oeufs, fabrication d’aliments pour volaille. Ces ateliers sont livrés par camion, totalement équipés, aux normes et prêts à fonctionner. L’avantage du container c’est qu’il ne nécessite pas de permis de construire, et permet donc de démarrer rapidement une activité.

fermalab
Extrait du site de FermaLab

Frein #2 — Difficultés à trouver des débouchés commerciaux suffisants
Pour les exploitations commercialisant en circuit-court, la vente à la ferme reste le débouché majoritaire (voir graphique ci-dessous). Cependant, l’expérience pendant les confinements l’a montré, il y a eu un véritable engouement pour la vente à la ferme, qui s’est volatilisé aussi vite que les supermarchés ont rouvert (-15% de CA en moyenne). En effet, faire ses courses à la ferme implique une véritable démarche d’engagement des clients, que la majorité n’est pas prête à faire.

graphique vente directe

62% des achats alimentaires sont effectués en grande et moyenne surface (source : INSEE 2021), c’est donc un canal incontournable dans une stratégie de développement. Cependant, commercialiser en GMS implique de développer de nouvelles compétences qu’il est parfois difficile d’intégrer totalement à l’échelle d’une ferme, comme par exemple :

  • Création d’une marque et d’une gamme de produits
  • Animation commerciale sur le point de vente et déploiement de campagnes marketing
  • Développement et suivi commercial des comptes-clés

Certains producteurs s’organisent en réseau pour mutualiser ces fonctions-clés, comme Invitation à la Ferme par exemple.

Invitation à la Ferme : mutualiser le marketing, la commercialisation et les achats pour le compte d’un réseau de laiteries à la ferme
Invitation à la Ferme s’est lancé en 2014 avec l’objectif de faciliter l’accès à la transformation laitière, pour des fermes bio ou en conversion vers le bio. Aujourd’hui, ce sont près de 45 fermes membres à travers toute la France. L’ensemble des fermes sont associées au sein d’une SAS au coeur du réseau qui mutualise pour le compte de ses associés :
La création d’une marque et d’une gamme de produits
La commercialisation en GMS
Les achats de packaging et d’ingrédients

Chaque ferme se concentre donc sur son cœur de métier, produire du lait et le transformer. Invitation à la Ferme propose des produits sur 3 gammes (yaourts, fromages, glaces) et sur 3 types de lait (vache, brebis, chèvre) :

invitation à la ferme
Extrait du site Invitation à la Ferme

Chaque ferme dispose d’une laiterie et transforme entre 150 000 L de lait pour du yaourt à 300 000 L pour du fromage. Les produits sont ensuite commercialisés dans un rayon de 80 km en moyenne, la logistique étant assurée par la ferme elle-même. La SAS cœur de réseau prélève une commission sur les ventes pour financer son fonctionnement.

Frein #3 — Difficultés à assurer soi-même la logistique de livraison des clients

Développer commercialement sa gamme de produits transformés à la ferme peut impliquer de se mettre à livrer un nombre de points de vente croissant. Bien souvent, les producteurs ne comptabilisent pas le temps passé et les coûts réels de la livraison qu’ils effectuent eux-mêmes. Cette logistique, si elle était comptée, pourrait représenter jusqu’à 30% du CA livré (source : Chambre d’Agriculture Normandie), alors qu’elle ne devrait pas coûter plus de 10% maximum pour permettre une rentabilité. Certains choisissent donc de déléguer cette logistique à des partenaires couvrant déjà bien leur territoire. C’est par exemple le cas de Laurent Haye, le fondateur de GumiGraines, une marque de légumineuses dans l’Eure.

GumiGraines, les légumineuses Made in Normandie
Laurent Haye est un producteur de céréales, lin textile et légumineuses dans l’Eure ; sa ferme est engagée dans une production agro-écologique. En lançant GumiGraines, Laurent souhaitait commercialiser en direct une gamme de produits à base de légumineuses issues de sa ferme. Au démarrage de son activité, Laurent fait le choix de livrer lui-même en direct ses clients. Puis, l’activité commerciale se développant bien, il se retrouve à livrer plus d’une cinquantaine de points de vente. Laurent se décide finalement à faire appel à Pascal Grosdoit, un grossiste en viande spécialisé dans les circuits courts couvrant bien la région Normande, pour se libérer du temps. Ce grossiste ayant une capacité de transport résiduelle mise à disposition de producteurs comme Laurent.

Fondateur de GumiGraines
Laurent Haye, fondateur de GumiGraines

En synthèse, la transformation à la ferme est effectivement un moyen de ramener de la valeur ajoutée sur la ferme. Cependant certaines filières de production sont plus compatibles avec une transformation locale que d’autres. Il est plus facile de transformer des fruits et légumes, des céréales et légumineuses, des produits laitiers, que de la viande. Il y a par exemple sur la filière bovine, des expérimentations en cours sur des unités mobiles d’abattage à la ferme, mais les difficultés à lever sont encore nombreuses : entre les fortes contraintes sanitaires et la faible compétitivité des abattoirs mobiles, le modèle viable n’a pas encore émergé.

A long-terme, chez FoodBiome nous sommes convaincus que le modèle agro-alimentaire de demain sera plus distribué et décentralisé, car c’est la condition sine qua none de la déstandardisation des produits alimentaires et d’une plus grande proximité amont-aval. Mais être plus petit et ancré dans son territoire ne suffit pas à garantir la performance, il est indispensable d’être aussi professionnel et performant que l’agro-alimentaire massifiée, ce qui ne peut se faire qu’en :

  • développant des approches standardisées et modulaires de la conception d’outils de transformation ;
  • mutualisant à l’échelle d’un réseau les compétences nécessaires au développement commercial (ex : marketing produit, achats de consommables / d’ingrédients) ;
  • s’appuyant sur des capacités logistiques existantes de son territoire pour étendre sa zone de chalandise.

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