Le MIL du Perche : augmenter la part de produits locaux de qualité dans la restauration professionnelle

Entretien avec Sofian Javich Hadge, coordinateur du MIL du Perche.

logo mil perche

Bonjour Sofian, peux-tu nous présenter la genèse et la démarche du MIL du Perche ?

La démarche a commencé en 2016 quand Jean-Loup Vial s’est mis à faire de la ramasse dans tout le Perche pour trouver des débouchés commerciaux aux producteurs locaux. Il a ainsi rencontré les acteurs locaux de la restauration professionnelle (commerciale et collective), qui sont devenus par la suite ses futurs clients. Face au succès du fonctionnement en direct des producteurs, il a fallu créer une structure pour cette organisation : l’association MIL Perche est alors née. Petit à petit, ce Marché d’Intérêt Local est devenu ce qu’il est avant tout aujourd’hui : un outil logistique territorial.

Initialement au service des producteurs locaux, le MIL s’est finalement spécialisé dans la restauration collective en accompagnant les collectivités dans l’approvisionnement local de ses cantines notamment. Le vrai challenge a été d’introduire des produits un peu plus chers que des grossistes classiques, avec un catalogue pas toujours exhaustif (puisque saisonnier) ni disponible (quantités limitées). Il a donc fallu faire un gros travail de pédagogie pour accompagner et former les collectivités. 

Personnellement, j’ai succédé à Jean-Loup depuis mars 2023 après plusieurs années passées à cultiver des plantes médicinales et aromatiques dans les Alpes Maritimes.

 

Quel est le fonctionnement de votre offre pour les professionnels de la restauration ?

Il faut vraiment voir le MIL Perche comme un “enfant du pays”. Ce qui fait notre succès c’est avant tout la relation humaine qui a été tissée avec les producteurs comme les cuisiniers. Nous les connaissons tous personnellement et une relation de confiance a été établie avec le temps, notamment grâce au lien de proximité créé par Jean-Loup. Les acteurs locaux ne voient pas notre association comme un grossiste mais plutôt comme une reconnection entre la filière agricole locale et les professionnels de la restauration.

Nous avons développé une plateforme associative qui permet aux cantines scolaires, aux restaurateurs privés et aux commerçants alimentaires du Perche de s’approvisionner auprès des agriculteurs et artisans de la région.

Concrètement, nous fonctionnons de la sorte : les producteurs viennent déposer leurs productions tous les mercredis qu’ils stockent pendant quelques jours dans le local prévu à cet effet. Nous livrons ensuite 3 fois par semaine les différents établissements qui avaient passé commande en amont, grâce à notre camion personnel (un deuxième est partagé avec un autre collectif de producteurs locaux). La restauration scolaire représente 60 % de nos clients et le reste correspond à une vingtaine de restaurants privés, traiteurs et épiceries.

Pour trouver de nouveaux débouchés pour les producteurs, notre travail consiste également à faire du démarchage auprès des collectivités et de la restauration privée. Nous ne répondons en revanche pas aux traditionnels appels d’offres. L’avantage du côté des producteurs c’est qu’ils viennent directement à nous comme nous jouissons d’une bonne presse dans la région, nous n’avons pas à les démarcher. Ce sont eux qui fixent leurs prix, les plus justes possibles, et les expliquent aux acheteurs. Ils peuvent ainsi percevoir une rémunération leur permettant de réaliser leur travail en toute indépendance et dans les meilleures conditions.

Visites de fermes
Visites de fermes - Programme Cantines Pilotes (source : site internet)

Quels types de produits propose le MIL Perche et où les stockez-vous ?

Dans la région, nous avons la chance d’avoir une production agricole assez diversifiée. Au sein de l’association, nous travaillons avec une trentaine de producteurs situés dans les départements 28, 61 et 72, principalement au sein du Parc Naturel Régional du Perche (voir carte ici). Cela nous permet de proposer un catalogue composé de plus de 300 produits laitiers (42 %), viande (15 %), légumes (15 %), et le reste en boissons, épicerie, œufs, pain, etc. Nous avons notamment un producteur laitier bio et fermier capable de fournir un volume assez conséquent, d’où la part importante de produits laitiers dans notre catalogue.

Pour vous donner un ordre de grandeur, nous vendons environ 5 tonnes de produits à nos clients chaque mois, en dehors des vacances scolaires évidemment. Ces produits sont stockés dans le local que nous louons à Berd’huis (61), où nous mettons à disposition des chambres froides et espaces de stockage sec pour les producteurs qui viennent y déposer leurs marchandises.

local loué
Local loué pour stocker les produits, avant d’être expédiés par l’association

À ce propos, quelles sont les conditions d’entrée pour les producteurs qui souhaitent commercialiser leurs produits via le MIL ?

Notre association souhaite lutter contre le flou qui existe aujourd’hui autour des nombreux labels (de type “agriculture raisonnée”). C’est dans ce cadre que notre Conseil d’Administration a récemment voté pour distribuer uniquement des produits bio d’ici 2024. Cependant, des “dérogations” sont parfois accordées aux produits qu’on ne trouve pas en bio dans la région : cela concerne notamment des produits d’appel importants pour les collectivités, comme le lait par exemple. On ne souhaite pas non plus se priver d’un produit s’il n’est pas bio, et nous avons rédigé pour cela une Charte de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Concrètement, ce cahier des charges contient les grands principes suivants :

  • Valoriser localement les ressources du territoire (mise en avant de la diversité des produits issus de l’agriculture et de l’artisanat en filière courte du Perche)
  • Mettre le pragmatisme au cœur de la démarche
  • Encourager la coopération
  • Promouvoir l’ouverture à la diversité des pratiques agricoles (réunir producteurs certifiés « Agriculture Biologique » et producteurs non certifiés autour d’un même projet, établir pour chaque production des cahiers des charges qualitatifs et tenables par tous)
  • Préserver la qualité écologique des territoires et des modes de productions (pas d’utilisation d’OGM, utilisation raisonnée et limitée des pesticides, des engrais de synthèse et des antibiotiques dans les systèmes agricoles, transformation de matières premières fraîches et produits exclusivement sur l’exploitation)

Nous avons également mis en place un cahier des charges par type de production (viande, produits laitiers, etc).

producteurs locaux
Quelques producteurs locaux qui approvisionnent le MIL (source : cagnotte de crowdfunding Hello Asso)

Pourquoi avoir ouvert l’association aux particuliers et comment cela fonctionne ?

En 2020 avec le premier confinement, beaucoup de gens se sont tournés vers les circuits alimentaires de proximité. C’est pour répondre à cette forte demande que nous avons ouvert notre plateforme aux particuliers, en créant un site dédié pour la prise et le retrait des commandes. Malheureusement, avec le contexte inflationniste et la crise de la bio, les consommateurs sont petit à petit revenus vers les grandes et moyennes surfaces. Nous sommes ainsi passés d’une centaine de particuliers à moins d’une dizaine livrés chaque semaine… Pourtant, nous n’avons quasiment pas augmenté nos prix.

Il y a également le facteur du délai de livraison à prendre en compte chez nous : les particuliers passent commande avant le dimanche soir et ne sont livrés que le vendredi suivant. Peu de gens sont capables d’anticiper ce qu’ils vont manger dans six jours, mais ça fait aussi partie du jeu : laisser le temps aux producteurs de préparer les commandes puis à notre association de les stocker et distribuer, afin de consommer des produits frais locaux et bio.

le foyer rural de Saint-Hilaire-Saint-Agnan-sur-Erre
Dernier point-relais en date pour les particuliers : le foyer rural de Saint-Hilaire-Saint-Agnan-sur-Erre (source : site internet)

Quel est votre modèle économique ?

Nous appliquons une marge sur les produits que nous achetons aux producteurs qui nous permet de couvrir les frais de fonctionnement de l’association (salaires, loyers, charges). Généralement, elle est comprise entre 9 et 17 % : 9 % pour les produits d’appel (yaourts et viande par exemple) et 17 % pour le reste. Cette marge est de l’ordre de la moitié de celles appliquées par les grossistes traditionnels. Nous avons à cœur de rémunérer justement les producteurs pour qu’ils s’en sortent financièrement et valorisent les débouchés commerciaux en local. Notre système de prise de commande à l’avance leur permet également de prévoir le volume qu’ils vont pouvoir écouler.

L’un des problèmes majeurs de travailler avec la restauration collective est de s’adapter à son calendrier. En France, les vacances scolaires sont très importantes et réduisent les repas pris à l’école à seulement 36 semaines sur 52. Pour l’association, cela représente près de 4 mois d’inactivité par an. Nous ne fonctionnons pas via des contrats signés, ce ne sont que des accords oraux et basés sur la confiance. Ainsi, si un client souhaite arrêter du jour au lendemain, il est dans son plein droit. Mon rôle est justement de comprendre les raisons de son départ afin que cela ne se produise pas avec d’autres acteurs.

Pour les producteurs, ce calendrier en gruyère est également un vrai manque à gagner et une insécurité pour écouler leur production dans ces moments-là. Conséquemment, ils ne peuvent pas compter que sur le MIL et au maximum, nous représentons 5 à 6 % de leur chiffre d’affaires. 

 

Comment est constituée la gouvernance du MIL et en quoi est-elle un facteur-clé de succès ?

C’est l’association qui gère le lieu. Nous avons un Conseil d’Administration, composé à 80 % de producteurs et 20 % de traiteurs et restaurateurs, qui a surtout pour but de donner les grandes orientations éthiques et commerciales de l’association. L’objectif à terme est d’être le plus local possible, mais aussi de stabiliser notre économie. Ce conseil donne également le droit d’entrée aux producteurs et référence ou non leurs produits. La gestion quotidienne est assurée par les trois salariés (dont je fais partie) pour garantir le bon fonctionnement producteurs-MIL-restauration professionnelle.

Notre statut est celui d’une association classique de loi 1901, mais nous ne fermons pas la porte à évoluer vers une autre forme juridique pour devenir moins dépendant des subventions, qui nous permettent notamment de rémunérer nos trois salariés. Nous sommes notamment soutenus par la Région Normandie, la Région Centre-Val-de-Loire, Les Fonds Européens LEADER, la CRESS et le PNR du Perche.

Soutiens politiques et subventions du MIL Perche
Soutiens politiques et subventions du MIL Perche

Quels sont vos axes prioritaires de développement ?

Dans le Perche, les producteurs font face à une forte tension sur les légumes locaux comme il y a déjà beaucoup d’acteurs sur la filière. L’urgence est donc de leur trouver de nouveaux débouchés commerciaux et de fidéliser les clients actuels (notamment les particuliers dont le nombre a drastiquement diminué depuis deux ans).

Il serait également intéressant de mutualiser notre logistique et catalogue produits avec d’autres acteurs locaux afin d’élargir notre offre et pallier les ruptures d’approvisionnement ponctuelles de nos producteurs.

Sur un plan plus personnel, c’est un vrai challenge à relever car succéder à Jean-Loup que tout le monde connaissait n’est pas une mince affaire : il faut gagner la confiance des clients et en fidéliser de nouveaux. Le MIL du Perche est avant tout une affaire humaine dont le succès repose sur la confiance mutuelle entre les acteurs.

Les 3 salariés de l’association
Les 3 salariés de l’association

L’avis de FoodBiome

S’approvisionner auprès de producteurs locaux, c’est donner du sens à leur activité quotidienne et encourager la création de nouvelles productions locales. C’est avant tout une histoire humaine qu’a construite l’association MIL Perche, qui s’occupe notamment de sensibiliser et former les élus, les collectivités et les équipes en cuisine. L’objectif est clair : que de la maternelle à l’Ehpad, les plus jeunes comme les plus âgés bénéficient chaque jour de repas de qualité. En encourageant les échanges de pratiques et de savoirs, l’association souhaite plus largement fonder une communauté de citoyens qui partagent leurs valeurs et œuvrent sur le territoire du Perche.

En reprenant la légumerie Agriviva sur le Marché d’Intérêt national (MIN) de Montpellier, FoodBiome a également été confronté à un calendrier scolaire contraignant et a dû trouver d’autres débouchés commerciaux. À travers sa marque “Cuisinons l’Occitanie”, des légumes de quatrième gamme sont dorénavant disponibles toute l’année dans certaines grandes et moyennes surfaces occitanes. Chez FoodBiome, nous sommes convaincus que l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire devront travailler main dans la main pour passer à l’échelle les circuits de proximité.

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